Incarnation

« Quel est le personnage qui t’incarne le mieux dans ton roman ?
— Non mais… ce n’est pas un livre dont vous êtes le héros, hein ! »


Une amie (que l’on prénommera Muriel afin de préserver son anonymat) m’a encouragé à me préparer mentalement à cette question.

Je suppose que ceux qui la posent partent du principe qu’un auteur utilise son ouvrage comme un masque, en vilain timide asocial (cf. mon précédent billet). L’écrivain se dissimulerait entre les pages, incognito dans la foule de ses personnages, afin de véhiculer ses messages sans être vu, angoissé à l’idée d’être découvert.

Mouais.

Je ne suis pas psy, donc je ne vais pas prétendre que c’est entièrement faux : évidemment que mon subconscient impacte les êtres de fiction que je crée.

Mais… tout de même.

J’ai toujours cette étrange impression : les gens semblent avoir une vision si romantique de l’acte d’écriture ! Comme si nous, auteurs, n’avions aucune prise sur nos personnages, et qu’ils naissaient « malgré nous » : on nous imagine en transe devant la page blanche, frappés soudain d’une inspiration quasi divine. Pouf : création. Il faut bien admettre que de nombreux auteurs se complaisent à véhiculer ce message (ça fait bien plus classe que d’avouer qu’en fait, on bosse). Du coup, on prête aux personnages de romans un ADN composé de névroses mal digérées et d’angoisses diverses, avec tout le background que les études de Freud nous laissent supposer.

Je ne dis pas que c’est faux à 100 %.

Mais c’est tout de même vexant, car c’est occulter une grosse part de notre travail de scénariste et dramaturge : je crée avant tout mes personnages en fonction du thème que je souhaite aborder et de l’histoire que je veux construire. Leur caractérisation vient d’abord de choix rationnels que je réalise sur des bases logiques. Mon subconscient ajoute sans doute détails, nuances et facettes secondaires, mais leurs traits majeurs, leurs natures et objectifs, leurs faiblesses, sont des attributs que je leur alloue en toute connaissance de cause, et pour des raisons techniques (oui, écrire est une activité technique). Ma foi… si je souhaite cuisiner une daube, je dois y mettre du bœuf et des carottes, et respecter au moins quelques grandes étapes de la recette originale.

Tu veux me retrouver dans mes personnages ? Je t’en prie, cherche : tu m’y débusqueras, dans chacun d’eux. Mais plus en assaisonnement qu’en ingrédient principal.


« Nan mais d’accord, mais… quel personnage t’incarne le mieux, au final ? »

< PAN ! >

(6 commentaires)

  1. Il me semble que beaucoup d’ auteurs reconnaissent mettre un peu d’eux ou de leur vécu, ne serait-ce que pour créer les personnages, les guides, les livres, conseillent souvent de t’inspirer de quelqu’un que tu connais. Dans l’histoire, aussi il y a toujours une anecdote qui va t’inspirer, surtout dans un roman. La lecture de une « Une feuille dans le vent  » me fait poser question et m’amène à cette conclusion : à mon avis, la fiction est bien la seule écriture où tout est complètement inventé, Est-ce que je peux dire et croire que les auteurs de fantasy ou fantastique, je m’y perd un peu, ont l’imagination plus riche, plus singulière que les autres ? D’où une autre question, tout le monde est-il capable d’écrire de la fiction ?

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    1. Non Dominique : ce n’est pas parce qu’on écrit de la fantasy qu’on ne s’inspire pas du monde réel ou d’une anecdote de notre propre vie… c’est juste qu’on transpose alors l’anecdote en question dans l’univers imaginaire. « Comme une feuille dans le vent » n’est qu’une grosse métaphore, qui aborde un sujet universel. Et, à ta seconde question, je répondrai donc logiquement que « oui », tout le monde peut écrire de la fiction, fantasy ou SF. 🙂 De plus, comme je l’explique dans ce post, les personnages (quel que soit le genre de littérature) sont avant tout construits, à 90%, selon des méthodes et techniques d’écriture. Même si tu trouves difficile d’utiliser des anecdotes de la vie quotidienne dans un récit de fantasy, cela ne devrait pas t’empêcher de construire de bons personnages pour une histoire à la Tolkien. Un auteur ne peut pas recycler à l’infini les personnes de son entourage dans ses romans ! 😀

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  2. haha ! vraiment, un régal tes articles ! Je me maaaarre ! 😉
    Tiens en passant, une petite suggestion d’amélioration sur la forme du blog: choisir de mettre un index plutôt que des « archives » par date ? ça permet de naviguer plus facilement de thème en thème, au lieu de lire tous les articles à la suite comme je suis en train de faire 😉

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  3. Je suis d’accord: que les gens arrêtent de penser qu’écrire, ça se fait tout seul, et que les écrivains, finalement, n’ont pas de mérite puisqu’ils ont du talent –‘

    Toutefois, j’ai l’impression de faire un peu l’inverse de ce que tu décris, à savoir qu’il me vient des idées, des personnages que j’aime, des mondes que je trouve fascinant, je les laissent sortir tranquillement -en se bousculant- sur le papier, je regarde où ça me mène, ce que chaque chose implique etc, et là je rationalise, scénarise, dramatise, questionne et finit de construire correctement mes histoires ^^ Je pars très rarement avec l’idée de ce que je veux raconter, et souvent, je me surprend à aborder des thèmes auquel je n’aurais jamais songé en posant mes premiers mots 🙂

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