Réussir sa phase de bêta-lecture

« Ton lecteur là, il m’a tout l’air d’un gros bêta.
— En effet. »


[Article publié dans sa première version le 11/01/2016, complété le 09/12/2016]

J’ai déjà cité ici mes bêta-lecteurs. Ou sur ma page FB. Ou sur Twitter. Mais je n’ai pas expliqué ce qu’ils sont, à quoi ils me servent, et pourquoi je leur dois tant. Il est l’heure de leur rendre hommage… et d’en profiter pour te donner quelques conseils pour faire de ta bêta-lecture un exercice vraiment profitable.

QUOI ?

Un bêta-lecteur est une personne à qui l’auteur envoie une « bêta » de son livre (une version non définitive, mais très avancée) afin qu’il le lise et en fasse un retour. C’est un « lecteur test ».

POURQUOI ?

Pour la même raison qu’on teste n’importe quel produit avant de le mettre sur le marché : pour vérifier qu’il « fonctionne » comme on l’espère. Ce principe de lecteur test ne se limite pas aux auteurs débutants ou amateurs : la plupart des écrivains ont recours à un ou plusieurs bêta-lecteurs.

QUI ?

La plupart des auteurs conseillent d’éviter de les choisir parmi les amis ou la famille ; la plupart des auteurs le font pourtant. Le fait est qu’un bon bêta-lecteur est avant tout une personne en qui on a confiance et qu’on connaît assez pour savoir qu’on est « sur la même longueur d’onde » : pas étonnant alors que plusieurs auteurs célèbres reconnaissent se faire relire par leur conjoint(e).

Pourtant, il y a de bonnes raisons d’éviter de faire appel à des proches : malgré toute leur bonne volonté, ils ne seront jamais objectifs, et seront soit complaisants, soit au contraire signaleront des « problèmes imaginaires » (des éléments qu’ils n’auraient jamais considérées comme des problèmes s’ils les avaient lus chez leur auteur préféré).

Le mieux est encore de traîner dans des cercles d’écriture ou de lecture (réels ou en ligne) et de sympathiser avec d’autres auteurs avec qui on se sent bien : cela permet d’envoyer son manuscrit à des gens :
— bienveillants ;
— assez éloignés de nous pour qu’ils restent objectifs, et osent dire ce qui doit être dit.

COMBIEN ?

À brûle-pourpoint, je serai tenté de dire qu’on n’en a jamais trop. Les bêta-lecteurs ne courent pas les rues, et rares seront les fois où un auteur sera amené à refuser d’aussi bonnes et généreuses volontés. Évidemment, questionner des lecteurs signifie « prendre le temps d’étudier leurs réponses » : avoir vingt bêta-lecteurs, c’est accepter d’étudier vingt retours. Autant dire que, si on a la chance de pouvoir choisir, mieux vaut sélectionner ses bêta-lecteurs de façon stricte. Le but est tout de même de pouvoir croiser des retours multiples. Au moins quatre ou cinq me semblent un minimum.

COMMENT ?

La plupart des auteurs se contentent d’envoyer leur manuscrit à leurs bêta-lecteurs, leur demandant de faire remonter tout type de remarques (sur le fond, sur la forme). En général, c’est déjà tellement sympa qu’un bêta-lecteur fasse ce travail qu’on ne lui impose rien sur la méthode ou le résultat. Certains répondent en une impression générale de quelques lignes ; d’autres annotent tout le manuscrit.

Pourtant, ce n’est pas la meilleure façon de procéder. À ton avis, qu’est-ce qui est le plus efficace pour tester un logiciel : un kit de vérification listant les principaux points à checker ? Ou lâcher un utilisateur devant en disant « dis-moi ce que tu en penses ? ».

Évidemment, la première solution est de loin la plus pertinente : je laisse mes bêta-lecteurs libres de me dire ce qu’ils veulent, mais j’exige aussi d’eux qu’ils répondent à un « questionnaire de lecture » spécialement créé pour l’occasion. J’y aborde différents sujets : des points clefs de l’histoire, des personnages majeurs. Je leur pose des questions pour vérifier qu’ils ont bien compris l’intrigue, ou les motivations du héros, ou certains aspects de l’univers. Cela me permet de croiser les réponses. Ainsi, même si tu n’as que trois bêta-lecteurs, tu auras clairement trois avis sur chacun des sujets qui te semblent importants… alors que si tu ne demandes rien, peut-être qu’aucun d’eux n’abordera les points qui te tiennent à cœur. Pouvoir croiser des réponses multiples sur des thèmes précis n’a pas de prix. Et si certains bêta-lecteurs soulignent d’autres choses « en plus », c’est du bonus.

POUR QUEL RÉSULTAT ?

La bêta-lecture apporte des commentaires, qui doivent permettre à l’auteur de prendre du recul sur son texte, chose qu’il a bien du mal à faire tout seul alors qu’il bosse dessus depuis des mois. De mon questionnaire, j’attends de vérifier que mes lecteurs ont bien compris le livre comme je l’espérais. Ce que j’attends de mes testeurs, c’est qu’ils m’indiquent où ils ont été gênés, et m’obligent ainsi à m’interroger. Cela apporte de la remise en question, et j’ai systématiquement des remarques sur des éléments qui me semblaient limpides et immuables.

Souvent, les bêta-lecteurs ne peuvent s’empêcher de faire des suggestions de changements : c’est toujours intéressant à lire, même si la plupart du temps je les trouve hors de propos. J’ai lu un jour une citation d’un auteur américain qui disait en substance : « si un lecteur te signale qu’il y a un problème à un endroit de ton livre, neuf fois sur dix il aura raison ; s’il te suggère une solution pour remédier au problème, neuf fois sur dix il aura tort ». D’expérience, je trouve cela très vrai.

Voilà à quoi me servent mes bêta-lecteurs : non pas à savoir s’ils ont « aimé » ou pas, ni à me donner des idées de modifications… mais savoir si mon texte a produit les effets désirés aux endroits désirés ; s’ils ont apprécié les personnages que je voulais qu’ils apprécient ; s’ils ont compris le message que je voulais faire passer ; s’ils ont été surpris quand je voulais les surprendre ; s’ils ont compris mes descriptions. Bref : si le livre « fonctionne ».

On a construit la machine : il est temps d’effectuer les réglages avant publication. On comprendra donc qu’une bonne bêta-lecture oblige presque toujours l’auteur à une profonde remise en question de son texte. C’est le point de départ de la phase de réécriture la plus importante du job d’auteur… qui peut aussi être la plus longue.

RÉCAPITULATIF

Les six clefs d’une bonne bêta-lecture :

1) de « bons » bêta-lecteurs : bienveillants mais francs (et donc pas trop proches) ;
2) en quantité suffisante : la principale utilité est de croiser les avis. Je pense qu’on n’en a jamais vraiment trop (tant qu’on est un peu organisé).
3) avec un temps suffisant : à évaluer en fonction du texte. Personnellement, pour un roman, je laisse au moins 1 mois aux lecteurs : il faut du temps pour faire du bon boulot.
4) avec un texte bien abouti : si c’est pour qu’ils signalent des choses que l’auteur sait déjà et a déjà l’intention de modifier, ce n’est pas la peine, tout le monde perd son temps. On n’envoie donc pas un « premier jet », mais un manuscrit bien travaillé.
5) avec un questionnaire précis : surtout ne pas être feignant en voulant rédiger un questionnaire générique réutilisable (les questions posées auraient peu d’intérêt). Prendre le temps de rédiger un questionnaire spécifique au texte. Les miens font plusieurs pages, et comportent toujours de gros spoilers : j’avertis bien mes bêta-lecteurs de ne les ouvrir qu’après avoir terminé le livre.
6) avec du temps de réécriture prévu ensuite : si l’auteur demande aux bêta-lecteurs de rendre leur avis pour le 15 du mois parce qu’il publie le 30, il leur fait perdre leur temps. Cela signifie qu’il n’a pas l’intention de modifier son livre de façon profonde, et c’est leur demander beaucoup de boulot pour rien. Une bonne bêta-lecture (qui respecte tous les critères ci-dessus) pousse presque toujours à de profondes modifications. Il faut avoir conscience qu’après la bêta-lecture débute la partie la plus importante de la réécriture, qui peut vite se révéler la plus longue : mieux vaut prévoir plusieurs semaines voire plusieurs mois entre la bêta-lecture et la sortie du livre ! (**)

M’enfin, cela ne reste que mon avis   😉

PONCIF

Mes livres n’auraient pas été ce qu’ils sont sans leur travail : oui, c’est un poncif, mais c’est « vraiment vrai ». C’est une tâche ingrate, car on demande aux bêta-lecteurs de lire un texte non définitif ; ils font des remarques dont on ne promet pas de tenir compte ; et même si c’est le cas, personne ne saura jamais quel impact ils ont vraiment eu. Ils sont des « lecteurs de l’ombre ». Merci à eux.


(*) Sur mon roman « La Colère d’une Mère » (460 pages — fantasy), ma team de bêta-lecteurs était composée de 8 personnes : 5 membres de la communauté DraftQuest (rencontrés lors du MOOC « Écrire une œuvre de fiction », dont la saison 5 débute en 2017) ; 1 autrice autoéditée de fantasy ; 1 blogueuse littéraire ; 1 amie proche très douée en orthographe.

(**) Le livre, parti en bêta-lecture le 06 août 2016, est paru au mois de décembre de la même année.

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(17 commentaires)

  1. Très bon article récapitulatif ! Le plus dur est effectivement de trouver les bons bêta-lecteurs qui seront capables de relever les points négatifs tout en étant bienveillants. Dans cette idée, je trouve que le questionnaire est un bon guide pour eux et pour l’auteur.
    Tu dis avoir fait appel à 8 bêta-lecteurs, comment as-tu fait pour faire la synthèse ? Tu as envoyé les mêmes questions à chacun et comparé l’ensemble ?

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    1. Bonjour ! Le questionnaire me semble indispensable dans tous les cas, mais plus encore quand les bêta-lecteurs sont nombreux. Si mon questionnaire est spécifique au livre, il est évidemment le même pour tous les lecteurs. Les questions sont souvent précises, et abordent des points qui me semblent importants : je compare ainsi les réponses, question après question. Quant aux remarques « autres » qui ressortent, de deux choses l’une : soit la remarque est solitaire, et alors je ne me fie qu’à mon instinct pour savoir si je dois la prendre en compte ou pas ; soit la remarque revient chez plusieurs bêta-lecteurs, et là je m’oblige à me pencher dessus. Évidemment, le traitement de 8 questionnaires de plusieurs pages prend du temps, mais l’apport est trop important pour s’en passer. Une éditrice de ma connaissance m’a dit, lors de notre rencontre : « je ne crois pas au mythe de l’écrivain solitaire ». Plus j’avance dans le métier, et plus je suis persuadé qu’elle a raison : l’une des caractéristiques d’un bon auteur, c’est d’être bien entouré, et bâtir son cercle de bêta-lecteurs est quelque chose qu’il faut faire avec patience et soin. Mais ce n’est que mon avis 😉

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      1. Merci pour ton retour ! Je note l’idée du même questionnaire pour pouvoir comparer les réponses ! J’avais envoyé des questions différentes selon mes bêta-lecteurs pour ma part et du coup, c’était difficile de savoir si l’idée était partagée !

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        1. En ce qui me concerne, c’est en gros une sorte de questionnaire de compréhension de lecture. Je pense que l’objectif principal de l’auteur n’est pas de plaire, mais d’être compris : ainsi je pose surtout des questions pour inciter les lecteurs à me parler de mon univers, de mes personnages et de mon intrigue. Cela fait un peu scolaire sur la forme, mais ça ressemble assez à ce qu’on faisait au collège ou au lycée. Le but pour moi est de voir si l’image des lecteurs est conforme à celle que je voulais qu’ils aient.
          Exemples de questions :
          – parle-moi du protagoniste principal : comment le décrirais-tu ? Quelle est sa principale problématique ?
          – parle-moi de l’adversaire : qu’est-ce qui le motive ? Pourquoi fait-il *ceci* au lieu de faire *cela* ?
          – au chapitre 18 il y a un gros coup de théâtre : l’avais-tu vu venir ou as-tu été surpris ? Le trouves-tu crédible ou tiré par les cheveux ?
          – spontanément, cite-moi la scène que tu as le plus aimé dans le livre.
          – si tu perçois une « morale de l’histoire », quelle est-elle ?
          etc.
          Comme j’écris de la fantasy, il m’est même arrivé de demander aux lecteurs de décrire ce qu’étaient un monte-vents ou un lucéphore (des termes inventés propres à mon univers) afin de vérifier qu’ils étaient clairs pour tout le monde.
          Evidemment, certaines questions peuvent être réutilisées d’un questionnaire sur l’autre, mais le plus souvent ce sont les questions les plus spécifiques qui sont le plus utiles à la réécriture. Tu remarqueras aussi que je pose le plus souvent des questions ouvertes (les questions du type « est-ce que tu as aimé ? » n’ont aucun intérêt).

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  2. Super enrichissant, merci !

    J’ai une question : avez- vous parfois des bêta-lecteurs techniques et spécifiques, par exemple un ami avocat pour vérifier un passage que vous auriez rédigé sur le droit (exemple purement hypothétique bien sûr) ?

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    1. Merci pour ce commentaire.
      Pour votre question, le type de personne dont vous parlez peut être utile, mais ce n’est pas de la bêta lecture, c’est de la recherche. On peut être amené à consulter un spécialiste sur un sujet précis, mais mieux vaut le faire au plus tôt. La bêta lecture se fait quand le livre est quasiment terminé : un peu tard à mon goût pour demander un avis d’expert qui pourrait remettre en cause l’intrigue ou les personnages 😉

      Aimé par 1 personne

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