Focus : les adverbes

« Tu l’attendais celui-là, hein ?
— Carrément ! »


[Que sont les articles « focus » ? C’est expliqué ICI]

C’est presque un poncif quand on parle d’améliorer son style : la traque aux adverbes. Si tu es auteur, tu as déjà lu ce conseil moult fois : « traque les adverbes, supprime-les ! ».

On les met tous dans le même panier, or il existe plusieurs catégories d’adverbes (c’est une grande famille, mais je ne donne pas de cours de grammaire, je te laisse chercher). Ceux que l’on peine à supporter en littérature sont ceux formés en –ment à partir d’un adjectif (« méchamment », « silencieusement », « doucement », etc.).

Longs à écrire autant qu’à lire, leur profusion alourdit les phrases et rend le texte indigeste. Mais surtout, comme nous allons le voir ci-dessous, ils sont un indice de vocabulaire pauvre et d’un manque de recherche dans les structures de phrases, raison pour laquelle les éditeurs écartent les manuscrits qui en abusent.

Sans devenir paranoïaque, à chaque adverbe en -ment dans ton texte, il peut être intéressant de se poser les questions suivantes :

1) Est-ce que mon adverbe apporte un réel complément d’information ?

Au moins une fois sur deux, tu réaliseras que tu peux le supprimer purement et simplement sans que ça ne change le sens de ta phrase. Certains adverbes « réflexes » fournissent des compléments déjà sous-entendus ou évidents. Tu peux les rayer, sans autres formes de modifications.

Ex : Lui, personnellement, préférait le vin. > Lui préférait le vin.
Il aurait probablement pu réussir. > Il aurait pu réussir.

Ces exemples soulignent l’emploi d’adverbes abusifs puisque pléonasmes. Les retirer ne fait qu’alléger la phrase sans rien changer au sens.

Ex : Elle se blottit amoureusement contre lui. > Elle se blottit contre lui.

Cet exemple rappelle l’article Montrer plutôt que raconter (« show, don’t tell »). Ici, le terme « amoureusement » est du pur raconté, seulement une idée. Un cinéaste qui devrait mettre la scène en image filmerait exactement la même chose avec ou sans cet adverbe. Sans, la phrase se contente de montrer, de sous-entendre, et c’est suffisant.

2) Si mon adverbe apporte bel et bien une information utile, puis-je amener celle-ci d’une autre façon ?

Si tu as lu l’article focus sur les verbes ternes, tu supprimes sans doute déjà certains adverbes de toi-même : les adverbes en -ment viennent souvent combler le déficit d’information d’un vocabulaire pauvre et imprécis.

Ex : Parler doucement > chuchoter, murmurer, susurrer
Regarder attentivement > détailler, scruter
Marcher aléatoirement > errer, déambuler

Tu peux parfois remplacer l’adverbe par un verbe qui en souligne le sens.

Ex : Il servit soigneusement son maître. > Il s’appliqua à servir son maître.

Si le verbe complété par l’adverbe peut être changé en nom, tu peux remplacer l’adverbe par un adjectif.

Ex : Après avoir vigoureusement récuré la salle de bain, il s’attaqua à la cuisine. > Après un vigoureux récurage de la salle de bain, il s’attaqua à la cuisine.

Enfin, si tu n’as pas déjà trouvé mieux, tu peux toujours remplacer l’adverbe par un « avec » suivi d’un qualificatif. C’est la solution du pauvre, mais c’est presque toujours plus élégant.

Ex : Il répondit intelligemment. > Il répondit avec intelligence.
Il ouvrit la porte précautionneusement. > Il ouvrit la porte avec précautions.

À noter que ces exemples soulignent encore une fois l’emploi d’adverbes qui racontent au lieu de montrer. Si la réponse du personnage est effectivement intelligente, est-ce besoin de le préciser ? Lorsqu’il réalise une action « avec précautions », n’est-ce pas plus parlant de montrer lesquelles ?

Les adverbes en -ment tracent des raccourcis faciles : parfois utiles, ils sont souvent dispensables, ou remplaçables par d’autres tournures plus courtes, plus précises, et/ou plus musicales.

M’enfin, ce n’est que mon avis.

PS : si tu es un visiteur habitué et un lecteur attentif, tu auras remarqué que je n’ai pas fourni de taux d’adverbes de référence. Hélas, je n’en ai pas trouvé malgré mes recherches. Il est possible que ce soit lié à la difficulté de distinguer les adverbes en -ment des autres (les adverbes englobent un grand nombre de mots, et les logiciels d’écriture comptent tout sans discernement). Si jamais tu as des chiffres et des sources, ça m’intéresse.

Edit du 31/08/2017 : un grand merci à Chat Noir pour ses recherches et stats (cf. commentaires sous l’article) ! Son étude a ressorti les taux suivants pour deux œuvres de fantasy très différentes :
– 7% d’adverbes pour Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban de JK Rowling (0,7% d’adverbes en -ment) ;
– 5,4% d’adverbes pour La Horde du Contrevent de Alain Damasio (0,6% d’adverbes en -ment).

De ces données et de ma propre expérience, j’ai tendance à penser que :
– entre 7 et 8% d’adverbes, tu te trouves dans un taux raisonnable ;
– que si tu peux descendre sous les 6%, ce n’en est que mieux ;
– qu’au-delà de 10%, il est sans doute nécessaire de te poser la question sur ta façon d’employer les adverbes, et de faire quelques efforts pour en réduire la fréquence dans tes textes.



« Cela me rappelle le bon vieux temps. Pas de taux d’alcoolémie officiel…
— Et il se passait quoi ?
— Ben… on picolait. »


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(14 commentaires)

  1. Objet: cas désespéré. Olé.

    Cher Mister Arnier (dont je raffole des conseils et autres missives pétries d’astuces pour écrivaillons ratés),

    Il se peut comme le précise l’objet de ma dépêche, que je devienne pessimiste, pour ne pas dire complètement bredin avec le temps. (Mortecouille, une tournure impersonnelle, un adverbe dans la même phrase, ça commence bien mon précieux).
    Telle que vous ne me voyez pas, je traque sans relâche les « focus » de mon récit et je me rends compte avec horreur-malheur que ceux-ci pullulent, littéralement (Aaarrrgggh! Another fucking adverbe qui puir!!!! Ce n’est point possible, dites moi pas que ce n’est pas vrai, c’est…c’est hideux mes aïeux, c’est…)

    Des pronoms relatifs, plus nombreux qu’un troupeau de mouches tsétsé sur un rôti ficelé, des participes présents présents à chaque coin de page; des adverbes, insidieux, qui se sont glissés, crotales du désert, à l’insu de mon plein gré… J’en passe et des meilleures.

    Certes, me suis-je alors questionnée, all along the day que fut cette grasse journée. Que faire face à tant de médiocrité, ô mon vieux Roulio faisandé?
    Je sais!, ai-je répondu à mon bon ami le cervelet. Je vais prestement, de ce pas:

    1) Travailler, suer sang et eau, m’acharner sur mon saligaud de manuscrit et ce, encore et encore. Et encore.

    2) Pondre un roman potable en 2084,c’est à dire juste avant ma mort. Si tant est que je puisse sauvegarder mes neurones jusque là et vivre 102 ans, ça va de soi.

    3) Me mettre à croire aux lutins, farfadets et autres trolls des Pyrénées aux grands pieds. Les prier fortement pour qu’à mon réveil, j’aie pondu l’équivalent.. allez des « Misérables », de Victor Hugo.

    4) Bon du dernier Pancol alors.

    5) Du Musso?

    6) Bordel mais même « Martine a des hémorroïdes et s’en va acheter un tube de Biafine » ferait l’affaire! Putain!

    7) Engloutir trois douzaines de tablettes de Crunch, sept paquets de chips au paprika et une meule entière de comté, pour me consoler le beignet. Arroser le tout d’une bouteille de pastis pur et d’un flacon de tequila. Sentir le gras et l’alcool se fondre en moi, délicieusement, langoureusement. Oublier jusqu’à la moindre contrariété, ah yeah. Je veux dire Olé. Huiiirp!

    8) Houiiiirp!

    9) Sombrer dans (le coma éthylique) un sommeil sans rêves, ponctué de rots sonores et autres filets de bave saumâtres.

    10) Me réveiller avec une gueule de bois carabinée. Répéter comme une litanie grecque qu’on ne m’y prendra plus, à mélanger alcool de Provence et bouteille de Roscoff.

    11) Me lamenter parce qu’en l’espace d’une nuit, une ribambelle de bourrelets disgracieux, doublés d’une culotte de horse énorme m’ont poussé sur la nouille. Ronchonner du fait que maintenant, je ne peux plus me voir le pistil du Mont Ventoux, autrement qu’en tendant un miroir entre mes jambes, c’est fou.

    12) Me dire qu’au pire, si ça continue comme ça, à défaut d’être écrivain, je pourrai toujours m’exiler au Japon et devenir ainsi la première femme sumotori, de type caucasien et qui plus est, frisée. Et gagner par la même occasion, plein de soussous et de gras billets. Olé.

    13) Me lamenter, chouiner, trépigner, maudissant la terre entière et tous ses habitants grégaires. De Valérie Damidot à Giscard d’Estaing, en passant par Casimir et Cyril Lignac le cuistot, tous autant qu’ils sont les abhorrer pour mon manque de talent en pot.

    14) Me venger sur le gouda et autres joyeux tonnelets de Chardonnay.

    15) Réaliser que je n’ai pas les moyens pour le Chardonnay.

    16) Chouiner. Trépigner. Me rouler par terre de désespoir et de rage mêlée.

    17) Ecrire à Mister Arnier, le bienfaiseur des écrivaillons ratés.

    18) Le supplier de me refiler une fiole de verre minuscule contenant trois décilitres purs de son talent. Histoire de le boivre jusqu’à plus soif n’est ce pas et devenir à mon tour, un vénérable scribe accompli, empilant les romans comme autant de tartines au brie dans mon assiette, la nuit*.

    19) Adjurer le monsieur pour un centilitre de talent brut.

    20) Allez, allez pour un millilitre.

    21) Ouha zy va, lâche ton lent-ta quoi!

    22) Radinas satanas.

    23)…

    Désolée, j’arrive maintenant à la fin de mes propositions (avinées) désespérées.

    Bref. Tout ça dire que la folie me guette. Mais alors la vraie hein, pas la douce, la vénérable, celle qui vous colle bien profond au cervelet et à la languette. Au secours?

    Bien à vous (oui mais au secours),

    Roulio de printemps, future sumotori de type caucasien et qui plus est,
    frisée, en partance pour le Japon, la pêche aux soussous et aux gras
    billets.
    Olé.

    Fin de la transmission satellite.
    Au revoir.

    *Oui, il m’arrive voyez-vous, d’avoir rondement faim, la nuit.

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  2. Chère Roulio.

    Ce qu’il y a de bien avec internet désormais, c’est le partage. Par exemple, sans ce commentaire, je n’aurais jamais pu savoir qu’il était possible d’écrire sur wordpress des commentaires plus longs que l’article lui-même (on n’arrête pas le progrès). Morale : on apprend tous les jours.

    Puisque je tiens à ne jamais laisser les bafouilles de mes lecteurs sans retour, j’aurais tendance à répondre ceci :
    1) parmi la liste de vos actions potentielles, je trouve la N°7 particulièrement pertinente (en tout cas, ça va dans le bon sens, et c’est ce que moi je ferais à votre place).
    2) concernant votre espoir que je vous fournisse en talent, c’est un peu comme les clopes : on n’en a jamais assez pour en filer au voisin (en plus, je ne fume pas). Sachez que si j’écris tous ces articles sur ce blog, c’est autant pour vous tous que pour moi, comme des pense-bêtes. Parce que, comme beaucoup d’entre nous, je suis un fervent adepte du « faites comme je dis, pas comme je fais ».

    Puisque j’aime rire, mais que des fois je suis sérieux aussi, j’ajouterai les points suivants :
    4) je rappelle qu’on a droit à (un peu) de tout dans nos textes, et qu’il ne faut jamais se fixer une cible de 0% (d’adverbes, de tournures impersonnelles, de voix passives, de verbes ternes…). Parce que la seule façon d’obtenir ça, c’est une page blanche.
    5) pour ne pas criser devant tous ces focus, il faut bosser petit à petit, un chapitre à la fois, en cours d’écriture. Plus on y fait attention, plus ça devient naturel, moins il y a à jeter dans nos premiers jets. Après, bien sûr, oui, c’est un apprentissage (= c’est long). Mais on ne devient pas virtuose de la guitare ou danseur étoile en se contentant de cours du soir.
    6) pour ceux qui penseraient que je privilégie la forme au fond, je précise que j’appartiens plutôt au camps opposé : je pense que vos lecteurs vous pardonneront vos petites imperfections de style si votre histoire est super. Il paraît qu’il y a un max d’adverbes chez plein d’auteurs à succès très connus.
    3) non, je n’ai pas oublié le point N°3. Il est ici. Suivre les règles, ça va bien cinq minutes.

    Bon courage !

    PS : le bon texte, c’est d’abord celui qui est rédigé avec plaisir et passion. So… keep cool, and keep going.
    🙂

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  3. Petit craquage ce WE, j’ai passé mon temps à décortiquer des livres. Véritable acharnée des adverbes et des statistiques, j’ai utilisé Antidote pour me lister tous les adverbes de 2 livres que j’aime beaucoup et j’ai comptabilisé ceux en -ment.
    J’obtient donc 7 adverbes en -ment pour 1000 mots dans Harry Potter 3 et 6 pour la Horde du Contrevent. Je dirais qu’au dessus de 10 pour 1000 mots, c’est trop (perso, j’essaie de me limiter à 5).

    En revanche, je trouve que connaître le pourcentage total est aussi intéressant : les négatives peuvent être limitée (pas sympathique = antipathique, plus faim = repu, rassasié) avec un vocabulaire plus précis, les modulateurs (pas certaine du nom , je parle des « très », « un peu »…) sont aussi des pièges auxquels je fais attention (très fatigué = exténué, stresser un peu = appréhender? Craindre?). Bref, si certains adverbes passent inaperçu, je ne les considère pas moins comme des facilités à combattre pour enrichir son texte. J’essaye de viser environ 15% dans mes propres textes (La Horde est à 17,5% ; HP3 à 16.5%)

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    1. Ah, super, un grand merci pour ce commentaire et cette étude !
      Je vais ajouter ces chiffres à l’article, et ça me semble très cohérent.
      Les remarques sur les autres types d’adverbes sont très pertinentes elles aussi.
      Merci encore !

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    2. Bonjour à nouveau : j’ai vérifié quelques stats personnelles, et je suis surpris des pourcentages cités pour les adverbes « en général ». 15%, cela me semble beaucoup, et je suis surpris qu’il y en ai tant dans les livres que vous avez étudiés. Si je calcule mon taux (nombre total d’adverbes / nombre total de mots du texte), je suis plutôt autour des 7 à 8%, sans effort particulier. Sommes-nous bien raccord sur le mode de calcul ?
      Si on place la cible à 1% d’adverbes en -ment (vos 10 pour 1000 mots, ce qui est déjà énorme), je trouve peu cohérent d’avoir la barre à 15% pour les autres types d’adverbes. Les adverbes en -ment représentent bien sûr une minorité dans la grande famille des adverbes, mais tout de même !
      Merci de cet apport à la réflexion.
      (S’il y en a d’autres qui ont des avis et des chiffres à soumettre ?)
      🙂

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      1. Après vérification, j’ai compris mon erreur : j’ai utilisé le camembert des pourcentages d’Antidote qui ne prends pas en compte tous les mots. En effectuant le calcul moi-même (8943/127235 et 12116/222548), j’obtiens 7% pour HP3 et la horde à 5.4% (ce qui me parait plus logique concernant le niveau de langue employé).
        Ne m’étant pas appuyé sur Antidote, mes calculs sur les adverbes en -ment restent correctes. Merci pour la remarque, ce n’était en effet pas cohérent.
        PS : iIformaticienne, je planche sur un logiciel pour compter les adverbes en -ment… Patience 😀

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        1. Merci beaucoup d’avoir vérifié cela, et je suis content qu’on ait pu éclaircir ce point. Les chiffres sont bien plus cohérents ainsi, merci !
          Quant aux adverbes en -ment, je serai preneur de ta solution dès qu’elle existera !
          🙂
          A bientôt !

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  4. Comme je suis journaliste radio, ma tendance, c’est de penser que le bon nombre d’adverbes, c’est ZÉRO. Aller à l’essentiel, c’est le mieux, en général.

    Il me semble qu’en plus de toutes les choses très précieuses que tu as évoquées ici, une des raisons qui poussent certains auteurs à abuser des adverbes, c’est qu’ils ont en tête une idée claire de ce qu’ils veulent décrire, et refusent au lecteur le droit de laisser son imaginaire en dévier. Or je suis d’avis qu’une bonne partie de la littérature prend vie dans la tête du lecteur, et qu’il ne faut pas trop la museler.

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    1. C’est très vrai. Et ces auteurs-là se trompent d’outil. On l’a vu : la plupart des adverbes dont ils usent pour « préciser leur pensée » sont des pléonasmes et n’apportent rien en termes d’information. Ou alors ils apportent une information « racontée » et non « montrée ». Dans les deux cas, le auteurs souhaitent atteindre un objectif et font le contraire de ce qu’il faudrait. Je prépare d’ailleurs un article sur les descriptions (teaser 😉 qui reprend cette idée.

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