Prologue

« C’est exactement ce qu’on est en train de faire, non ?
— De quoi ?
— Un prologue. »


J’ai longtemps hésité à aborder ce sujet : sur les sites d’écriture et les forums, c’en est devenu un thème polémique et un prétexte à chamailleries. Et puis, à nouveau parce que je rencontre le cas en bêta-lectures chez des comparses auteurs, je me suis dit que je pouvais bien te donner mon avis sur la façon d’écrire un bon prologue.

La malédiction du prologue

La rumeur prétend que les éditeurs ne supportent pas les prologues. Une prophétie millénaire annonce que si tu rédiges un prologue, ton manuscrit sera refusé, et que pour chaque page de ce dernier, un chaton brûlera en enfer. Certains articles de blog te traitent d’imbécile si tu penses encore que ton livre a besoin d’un prologue.

J’ai un souci avec les « anti-prologues » : c’est que leur justification unique se résume à « parce qu’il y a trop de mauvais prologues ». Oui, c’est vrai. Mais c’est un peu comme dire : « punaise, tu rates toujours tes œufs à la coque, alors cesse d’en faire ! ». Ne vaudrait-il pas mieux apprendre à les cuisiner correctement, au lieu de s’en passer ? J’adore les œufs à la coque bien préparés…

Les basiques

Un prologue est une scène comme une autre, et tu dois donc d’abord te poser la même question que pour chacune de tes scènes : « à quoi me sert-elle ? »

Demandes-toi « pourquoi ai-je besoin d’un prologue à mon histoire ? ». Rédige la réponse (si si, je suis sérieux, écris-là, force-toi à te justifier en toutes lettres !). Elle doit ressembler, à peu de choses près, à : « ce prologue va me servir à exposer au lecteur des éléments indispensables à la compréhension de mon histoire ».

J’aurais même tendance à préciser « indispensables à la compréhension du début de mon histoire ». C’est à peu près la seule raison pour laquelle tu peux avoir besoin de réaliser cette scène « qui précède le début ». Tu chercheras la définition du mot prologue : ça sert à ça, un prologue. Si ta réponse est différente (du genre « je veux créer une atmosphère mystérieuse », « je veux débuter par une scène d’action », « je veux caser un meurtre gore »), ce n’est pas d’un prologue dont tu as besoin, mais d’un bon premier chapitre. Idem si tu penses que ton prologue servira à éclairer une scène vers la fin de ton ouvrage : si tu as le temps de fournir les informations plus tard, il est probable qu’il soit possible (et pertinent) de les fournir… plus tard.

Si tu n’es pas sûr(e) de toi, il existe une méthode très simple pour savoir si tu as besoin d’un prologue ou pas : ne l’écris pas, et rédige tes premiers chapitres d’abord. Si, en relisant tes trois premiers chapitres, rien ne te choque, c’est que tu n’as pas besoin de prologue. Si tu te dis : « ça n’a pas de sens, le lecteur NE PEUT PAS comprendre ‘ceci’ s’il ne sait pas ‘cela’ », c’est que tu as besoin d’un prologue. Et bravo : tu viens de pré-lister les éléments que tu dois mettre dedans.

Lister les informations nécessaires

Parce que oui, le but de ta scène est de fournir des informations.

Lors de ma dernière bêta-lecture, je me suis retrouvé face à un prologue que l’auteur désirait intrigant : dans un lieu mystérieux, des personnages mystérieux se livraient à des activités mystérieuses (en tenant un discours mystérieux).

Il semble que beaucoup d’auteurs soient terrifiés à l’idée de révéler des choses au lecteur, comme si ce dernier allait perdre tout intérêt en apprenant des éléments sur les lieux, les personnages, l’intrigue. Or, c’est justement tout le contraire : les chapitres rébarbatifs sont ceux où l’on n’apprend rien de nouveau et où il ne se passe rien d’extraordinaire. Compter sur une étonnante révélation à la fin du livre ne fonctionnera pas.

« Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup, boum, explosion. Le public est surpris, mais avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt.»

Alfred Hitchcock

Le suspens ne provient pas des informations que l’on cache, mais bien de celles que l’on fournit.

« La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart – il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène.»

Alfred Hitchcock

Exemple : relis donc l’introduction de « Harry Potter à l’école des sorciers ». Nous y apprenons, de façon extrêmement précise, de très nombreuses informations. Rowling bâtit un véritable contexte. Vois à quel point elle ne nous cache rien ! Réalise le décor qu’elle nous plante, très détaillé ! Lors des chapitres qui suivent, le vécu d’Harry chez son oncle et sa tante a une toute autre saveur ! Avoir lu cette introduction en change tout le sens et la façon dont on le vit, en particulier grâce à cet outil puissant dont je t’ai déjà parlé : l’ironie dramatique (nous n’avons qu’une hâte : que Harry découvre tout ce que nous savons déjà et qu’il devienne le grand magicien que le prologue nous a promis).

Nous en revenons donc aux basiques : le prologue doit modifier la perception que le lecteur aura des premiers chapitres du livre, grâce à des informations qu’on lui  fournit à dessein. Dresse-en une liste claire.

S’y limiter

Ton prologue doit donc contenir ces informations. Pas moins.

Mais pas plus non plus : comme ton prologue n’a pas d’autre but que de fournir ces éléments, tu dois le conclure au plus tôt dès que ces fameux éléments ont été délivrés au lecteur. Plus le prologue est court, mieux c’est. Une fois que le lecteur a les informations nécessaires à la compréhension de ton histoire, tu peux en commencer le récit.

La forme du prologue

Maintenant que tu sais ce que tu dois apprendre à ton lecteur (ni plus, ni moins), vient le moment de rédiger ce prologue. Considère-le comme une mini-histoire à part entière, et prépare-le comme telle. Il va donc te falloir :

choisir la narration la plus adaptée : elle peut être différente de la narration usitée dans le reste du livre ;

— définir les unités de temps, de lieu, d’action : dans presque tous les cas, au moins un de ces éléments est radicalement différent de l’unité du reste du récit (sinon, tu n’en aurais pas besoin). Soit le prologue se déroule dans un autre temps (flash-back, flash-forward) ; soit il se déroule dans un autre lieu que le reste du livre ; soit l’action y est particulière.

— définir quels personnages vont y agir. Pour choisir l’action et les personnages, rappelle-toi bien que ton but est de passer certaines informations : il te faut imaginer la meilleure mise en situation possible pour intégrer au mieux les éléments que tu as besoin de montrer ;

— choisir un bon début, et une bonne fin (si possible avec une chute digne d’une nouvelle) ;

— écrire, en prenant soin de bien montrer au lieu de raconter.

En conclusion

On reproche souvent aux prologues d’être clichés, de ne pas être utiles, de n’être que de l’exposition rébarbative (car « racontée ») : or, ce sont des défauts qui ne sont pas propres aux prologues. Ils menacent toutes les scènes d’un livre ! Si ton prologue cumule tous ces défauts, le supprimer ne sauvera pas ton ouvrage : la suite de tes écrits est probablement dans la même veine.

La solution réside, pour un prologue comme pour toutes les autres scènes, dans un peu de méthode et de préparation : se demander pourquoi la scène est utile, lui définir des objectifs précis, et écrire sans perdre ces derniers de vue.

— en te fixant des cibles spécifiques à ton histoire, pas de cliché ;

— en te posant dès le début la question de l’utilité, pas de scène en trop ;

— en t’efforçant de montrer au lieu de raconter, pas d’aspect « cours d’histoire indigeste ».

M’enfin, ce n’est que mon avis.



« Et les épilogues, on en parle des épilogues ?
— Tu veux vraiment qu’on évoque l’utilité de NOS épilogues ? »

(20 commentaires)

  1. Salut salut !
    Juste un petit mot pour te dire que je prends toujours autant de plaisir à lire tes articles 🙂 ; je m’endors moins bête le soir, et ça, ça n’a pas de prix 😉
    Bonne continuation !
    Lizette

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  2. tiens, petit commentaire « Marketing »: en recevant tes articles par e-mail, je me dispense par la même occasion de venir sur ton site. => J’absorbe tes bons conseils mais je ne mets pas toujours de commentaire… Est-ce le but recherché = gens pressés ? 😀

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    1. Hello !
      Je rejoins Gloglotte : moi aussi je viens rarement sur ton site, même si je lis avec assiduité tous tes articles. Du coup, peut-être pourrais-tu envoyer juste le début de ton article par mail, en mettant un lien vers l’intégralité dudit article….? Ca permettrait d' »appâter » le lecteur, tout en le faisant venir sur ton site.
      M’enfin, ce n’est que mon avis (pour reprendre un certains S 😉 )

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      1. Oh non, moi je m’en moque : plus c’est simple et pratique pour le lecteur, mieux c’est (le trafic sur cette page ne m’apporte absolument rien). Tant que vous n’hésitez pas à venir commenter quand vous avez une question ou une remarque, ça me va ! 🙂

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  3. Ok boss, alors continue comme tu le désires 🙂
    PS : Je viens de me relire, et un certain ‘s’ traine au bout du mot ‘certain’, justement… toutes mes excuses pour cette coquille !! Suis-je encore digne de corriger tes ‘manuscrits’ malgré cela 😀 ? (s’te plait s’te plait s’te plait, j’aime bien corriger les fautes, en maniaque que je suis… 😉 )

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  4. Toujours ravie de suivre vos articles. Celui-là m’a particulièrement plus car c’est un sujet qui n’est jamais abordé par les auteurs que je lis (Truby, Campbell ne se focalisent pas sur la littérature).
    Je fais affectivement partie des personnes qui ont les prologues en horreur : je passe mon temps à corriger des prologues mal ficelés, mal écrit, trop confus ou inutile.
    Au final, vous m’avez appris à prendre plus de recul sur ce sujet : les prologues sont, comme toute les autres scènes, à travailler de façon pertinente.

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    1. Combien d’auteurs sont issus d’écoles de littérature ? Je serais curieux de le savoir. Pas tant que ça, je pense. Et ce n’est pas mon cas. Mais quand on est curieux on peut apprendre, et j’essaie de retransmettre ici ce que j’apprends ailleurs. Si c’est utile tant mieux 😉 Bienvenue et à bientôt, donc !

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  5. Bonjour,
    j’aime beaucoup votre blog. C’est clair, simple, avec une touche d’humour. Une seule remarque : vous ne parlez jamais du livre de Y. Lavendier, c’est pourtant une référence (même si probablement orienté principalement pour les scénarios).
    J’ai une question de prologue : dans un récit au « je » (point de vue interne), peut-on avoir un prologue avec un point de vue externe ? Le but étant de donner de l’information au lecteur (ironie dramatique) … J’ai l’impression que c’est possible et que je l’ai déjà vu ailleurs, mais je ne suis pas certain.
    Merci !

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    1. Merci pour ce message ! 🙂
      Il est possible que je n’ai pas souvent cité Yves Lavandier, mais en effet il s’agit d’une référence (pour ne pas dire « la » référence française) en termes de scénarisation. Tout comme les ouvrages de Truby (pour les américains), ses guides sont orientés vers l’écriture de scénarios pour le cinéma ou la télévision, mais ils regorgent de bonnes pratiques utiles à quiconque désire forger une bonne histoire. J’en recommande l’étude à tous les écrivains.

      Concernant ta question « prologue » : comme l’article l’explique au paragraphe « la forme du prologue », la narration utilisée dans le prologue « peut être différente de la narration usitée dans le reste du livre ». C’est même assez courant. Le prologue est une mini-histoire à part entière, qui peut se passer en un autre lieu, un autre temps, avec d’autres personnages, et donc une autre narration que celle choisie pour le reste du récit.
      Bonne écriture !
      🙂

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