Règles Pixar [2] – Un livre intéressant, mais pour qui ?

Keep in mind what’s interesting to an audience, not what’s fun to do as a writer. They can be very different.
Garde à l’esprit ce qui est intéressant pour le public, pas ce qui est fun à faire en tant qu’auteur. Cela peut être très différent.


[Que sont les règles d’or Pixar ? C’est expliqué ICI]

Je dis souvent qu’une activité artistique doit avant tout être un plaisir, et j’aime entendre un écrivain dire qu’il s’éclate à rédiger son roman en cours. Seulement voilà…

Cette règle Pixar met en garde les auteurs contre une vérité toute simple : ce qui est amusant à imaginer/concevoir/écrire pour l’auteur n’est pas forcément ce qui intéressera/divertira/questionnera le lecteur.

Risque 1 : le sujet

L’inspiration ou l’envie d’écrire une histoire peut provenir d’un fait réel, d’une anecdote ou d’un témoignage ; d’une passion de l’auteur pour quelque chose ; d’un lieu qu’il affectionne en particulier. Hélas, il n’y a rien de plus faux que de penser que, parce que tu adores un sujet, tes lecteurs le trouveront aussi passionnant que toi. Il est alors facile de tomber dans le péché d’orgueil, et d’assommer le lecteur avec des passages que tu auras pris un pied terrible à écrire. Mieux vaut appliquer les conseils de Stephen King : ta passion et tes travaux de recherche ne doivent servir que de contexte à ton histoire, et c’est à ton histoire de focaliser l’intérêt du lecteur ; pas l’inverse.

Ex : dans un roman historique, l’Histoire (avec un grand H) doit servir de contexte à l’intrigue et aux personnages. Mais il faut que le récit possède un vrai intérêt, et ne soit pas qu’un prétexte de l’auteur pour faire étalage de ses connaissances universitaires.

Risque 2 : le défi technique

Un auteur peut être amateur de technique, et se lancer des défis très intéressants en termes d’exercices de style : employer une narration à la seconde personne du singulier, s’imposer un champ lexical particulier, changer de personnage de point de vue à chaque chapitre, créer une structure narrative complexe, etc. Tout peut avoir un intérêt, mais la question à garder en tête est : « un intérêt pour qui ? ». Si cela sert l’histoire ou l’ambiance, et a pour objectif d’avoir un impact particulier sur le lecteur, c’est parfait. Si c’est juste parce que l’auteur trouve cela intéressant à faire, la prudence est de mise. C’est quelque chose que j’ai souvent pu constater en bêta-lecture de confrères : hélas, ce sont les parties dont l’auteur a le plus de mal à se séparer, car il en est fier ; le lecteur, lui, reste de marbre devant un exploit technique dont il ne comprend pas l’intérêt… ou qu’il ne perçoit même pas.

Ex : cela me rappelle La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. Si vous regardez les notes des lecteurs sur une librairie en ligne, vous constaterez que ce chef d’œuvre de fantasy recueille de nombreux commentaires à 1 étoile. Sa narration éclatée sur plus de 20 protagonistes, les expériences littéraires de l’auteur, son vocabulaire : ce livre est un tour de force incroyable. Et pourtant je ne le conseillerai pas à n’importe qui : pour beaucoup de monde, il est juste illisible.

Risque 3 : le mystère

Tu te souviens de mon article sur le mystère et la gestion du suspens ? Je t’y expliquais en substance que le plaisir de celui qui pose une énigme n’est pas le même que celui qui en cherche la solution. L’auteur jubile en bâtissant son récit sur un mystère : cela l’amuse de caser des indices ou sous-entendus, qui ont un sens pour lui, mais qui seront anodins pour le lecteur (à moins d’une hypothétique seconde lecture). L’auteur se pense très malin mais ne réalise pas que, de l’autre côté du miroir, l’expérience de son lecteur est bien moins fun que la sienne.

Ex : dans Le ver à soie de Robert Galbraith (alias JK Rowling), l’auteur nous exclut de la tête de son personnage au trois-quarts du récit : le héros découvre l’identité de l’assassin, mais l’auteur souhaite continuer à nous la cacher, à nous lecteurs. Le personnage sait, nous non. Nous sommes soudain coupés de l’histoire : l’auteur situe tout l’intérêt de son récit dans le secret (l’identité du coupable) alors que ce qui est passionnant pour nous lecteurs est le cheminement de pensée du héros. Très frustrant.

[Tu as d’autres idées de risques à éviter concernant le grand écart entre intérêt de l’auteur / intérêt du lecteur ? Parles-en en commentaires !]

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L’écriture : une passion de partage et non d’égoïsme

Certains auteurs prétendent écrire uniquement pour eux-mêmes. Ils en ont le droit. Peut-être même est-ce un devoir, en tant qu’écrivain, de se satisfaire d’abord soi-même. Mais un auteur ne peut se plaindre d’un désintérêt des gens si lui-même ne s’intéresse pas – au moins un peu – à eux : un texte rédigé, couché sur le papier, a un destinataire. Si tu comptes être lu, et si tu espères qu’un lecteur parcoure tes mots jusqu’au point final, écris d’abord pour toi, ne te gêne pas, fais-toi plaisir… mais ne perd pas SON intérêt de vue.

M’enfin, ce n’est que mon avis.



« Et nos conclusions ?
— Oh pas d’inquiétude, elles, elles ne sont intéressantes pour personne… »

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(9 commentaires)

  1. Je suis d’accord avec tout ce que tu dis, et j’ai l’impression que les exemples d’auteurs qui se laissent aller à des coquetteries personnelles en oubliant le lecteur sont nombreux (à un niveau ou à un autre, c’est notre cas à tous, une fois de temps en temps): je me souviens du roman The Scar, de China Mieville, qui semble être sa manière de relever un défi personnel (« est-ce que j’arrive à raconter une histoire avec un protagoniste complètement passif ») en larguant le lecteur au passage.

    Cela dit, je pense qu’il faut aussi garder à l’esprit l’écueil inverse: l’auteur qui va constamment tenter de devancer les attentes du lecteur risque d’être incapable de surprendre.

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    1. 100% d’accord sur ce dernier point : il est du devoir de l’auteur d’écrire pour lui d’abord. Mais, comme le dit Stephen King, il faut être capable de « tuer sa petite chérie » en phase de réécriture, et être capable de placer l’intérêt du lecteur dans l’équation (et en bonne place, si possible) 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. Bien trouvés, ces trois risques. Je pense que le 1 et 3 sont surtout en relation avec l’intrigue, la manière qu’a l’auteur d’aborder son sujet, de révéler des éléments au fur et à mesure.
    Le 2, le risque technique, est bien vu. J’ai écrit pas mal de textes uniquement dans ce but, mais je les ai plutôt considérés comme des exercices. Je pense qu’il y a là des envies contradictoires, celle d’expérimenter, de ne pas rester dans une zone de confort, et celle du résultat final, de la lisibilité. Et c’est dur en tant qu’auteur de pouvoir passer d’un point de vue à l’autre.

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    1. C’est exactement ça ! C’est la différence qu’il faut faire entre textes qu’on rédige pour travailler, et textes qu’on diffuse et publie. Pour les exercices de style, il y a des forums, des cercles d’écriture, des ateliers où l’on partage avec d’autres auteurs (qui, EUX, perçoivent l’intérêt du texte pour ce qu’il est). Quelques AT ou concours très spécialisés, peut-être aussi : ne le nions pas, ça peut marcher avec certains jury 😉 Mais le « lecteur lambda » a surtout l’intérêt des bonnes histoires. Travaux de recherche, techniques d’écriture ou méthodes narratives ne sont là que pour en favoriser le récit.

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  3. J’ai découvert ton blogue avec cet article, et c’était vraiment un timing de fou, parce que c’était le jour où j’avais mis le point final à mon manuscrit, et j’ai été soudain saisie d’un vertige : et si personne d’autre que moi ne l’aimait? Je me suis follement amusée à l’écrire, mais je suis une grande geek devant l’éternel, et la plupart des trucs que j’adore laissent les masses de marbre… Bref, on peut dire que ton article m’a donné des sueurs froides, confirmant toutes les peurs de la petite voix dans ma tête! 😛

    Cela dit, même si c’est une réflexion intéressante, j’en suis finalement revenue. Contrairement à Julien, j’ai adoré The Scar, en passant (encore plus que Perdido Street Station); je n’ai pas du tout eu l’impression d’être larguée ou que l’auteur partait dans son délire perso; au contraire, ça m’a parlé profondément.

    Bref. Je pense que cet argument a du poids si on essaie d’être comme Pixar, ie la crème du mainstream, qu’on veut ratisser le plus large possible. Et il n’y a rien de mal à ça, pas du tout… Mais ce n’est qu’une ambition parmi d’autres et, depuis l’essor d’Internet et de l’autoédition, elle a perdu une partie de sa domination. Avant, écrire niche, c’était quand même assez risqué; aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus « possible »… D’ailleurs, on parle de La Horde du Contrevent ou de The Scar en exemples, mais ce sont des bouquins et des auteurs qui ont plutôt bonne presse, et un succès sur lequel je ne cracherais pas! Ce qui prouve que se laisser aller à ses passions est loin d’être une destinée maudite… Et même, à choisir entre être lue par des milliers de gens qui oublieront aussitôt mon bouquin, et être lue par quelques centaines qui deviendront des fans hardcore loyaux, je crois que je préfère la seconde option. Mon but n’est pas la gloire ni la richesse, mais plutôt d’arriver à établir une connexion intellectuelle avec des personnes qui sont capables de penser à mon niveau (et non, ce n’est pas la modestie qui m’étouffe!).

    Mais je dois avouer que je ne suis sans doute pas une « lectrice lambda ». Et, du coup, j’assume de ne pas écrire pour le lecteur lambda non plus… Disons qu’il y a bien assez de Pixar sur terre et que, si j’ai quelque chose à apporter, c’est justement dans une singularité unique, quitte à ce qu’elle rebute un certain nombre de gens. Pour commencer, j’écris du sexe et de la violence graphiques (mon bêta-lecteur a parlé de « sperme et sang », je pense que ça décrit assez bien mon approche), alors on peut dire que je ne joue d’emblée pas dans le même segment de marché que Pixar…

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    1. Ton commentaire me fait réaliser que je n’ai peut-être pas été assez clair sur un point. Quand je prétends qu’un auteur doit faire attention au(x) lecteur(s), je ne veux pas dire qu’il doit s’adresser à tout le monde : il faut prêter attention à « son » lecteur, à « son » audience. Chez Pixar, ce sont des pros, ce qui signifie qu’ils savent clairement quelle est la cible de leurs films. J’ai longtemps donné des cours de scénarisation en master de jeux vidéo, et les étudiants étaient souvent dans le flou quand je leur demandais quelle était la cible de leur projet de jeu. C’est le même principe : sachez « pour qui » vous écrivez, et pensez à eux lors de votre réécriture (tout le monde n’a pas les mêmes attentes). S’interroger sur « qui » sera susceptible d’être intéressé par votre ouvrage est déjà un pas de fait. La démarche est la même, qu’on s’adresse au grand public (enfants et parents réunis) ou à un secteur de niche (avec sexe et sang) : 1) d’abord on écrit l’histoire pour se satisfaire soi-même en tant qu’auteur ; 2) puis on se dit : « est-ce que mes lecteurs (= ceux qui aiment d’ordinaire le genre que j’écris) en auront pour leur argent ? ». M’enfin, ce n’est que mon avis. 😉

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