Chercher à traiter un thème est important, mais tu ne verras pas ce dont parle vraiment l’histoire avant de l’avoir terminée. Ensuite, réécris.
[Que sont les règles d’or Pixar ? C’est expliqué ICI]
Je ne vais pas ici t’expliquer pourquoi développer un thème est un plus très appréciable dans un récit (je l’ai déjà fait dans l’article La morale de l’histoire). Néanmoins…
Cette règle Pixar pointe du doigt un défaut d’auteur trop rare à mon goût : le fait de vouloir « verrouiller » son thème trop tôt.
Si je dis que c’est un défaut « trop rare à mon goût », c’est parce que beaucoup d’auteurs novices pensent essentiellement leurs récits en termes d’action (« c’est une histoire où il se passe ceci et cela »), et très peu en termes de traitement d’un thème (« c’est une histoire qui parle de ceci, et qui signifie cela »). Ils ne se précipitent donc pas sur leur thème : ils n’en développent souvent aucun (du moins, pas consciemment).
En tant qu’auteur architecte, définir le thème de mon récit est la toute première chose que je fais. Autant te dire que l’avertissement de Pixar s’adresse tout particulièrement à des gens comme moi ! Aujourd’hui, même s’il me paraît toujours indispensable de savoir de quoi je parle pour développer univers, personnages et intrigues, l’expérience m’a prouvé que la maxime Pixar est juste une simple et profonde vérité.
Savoir de quoi on veut parler afin de chercher quoi dire… et comment le dire
Prenons l’exemple de ces articles de blog : lorsque je débute la rédaction d’un billet, je choisis un sujet. J’effectue quelques recherches, regroupe mes connaissances personnelles, me note quelques points importants à ne pas oublier… puis j’écris. Choisir le sujet au départ est capital : j’ai besoin de savoir de quoi je vais parler. Et comme le texte est une sorte de voyage, j’ai besoin de connaître la direction vers laquelle je souhaite me tourner.
Néanmoins, la première version de l’article est souvent très fouillie : les informations, arguments et exemples s’enchaînent, pas toujours de façon logique. Et c’est en écrivant, en cherchant à amener le post vers une conclusion propre, que je clarifie mes idées. Ce n’est qu’une fois terminé que je sais vraiment ce que je voulais faire passer dans l’article
Et alors viens la phase de réécriture : le premier jet m’a clarifié les idées, je sais ce que je veux VRAIMENT dire. Je re-structure le billet en ce sens, jette les réflexions qui dérivent ou ne sont pas pertinentes. Je synthétise et cherche des exemples pour appuyer là où je le crois nécessaire.
Un roman de fiction ? C’est pareil.
Néanmoins, je pense que le risque n’est pas exactement le même qu’on soit un auteur architecte ou jardinier.
Les architectes commencent par choisir un thème : le risque est de vouloir y coller à tout prix, même si l’histoire attire l’auteur vers une autre direction. C’est très bien de choisir un thème et de tout bâtir en ce sens, mais 1) on peut se tromper (de thème, ou de façon de le traiter) ; 2) on peut ne pas avoir creusé assez, et réaliser que notre thème en cache en fait un autre, plus profond ou plus subtil ; 3) ou tout simplement découvrir des nuances dans le traitement que l’on n’avait pas imaginé au départ. Il faut donc rester ouvert et à l’écoute de son récit.
Les jardiniers se lancent dans la rédaction d’un récit sans forcément avoir un thème en tête. Parfois, ils n’ont qu’un concept, un lieu, quelques personnages, et savent à peine de quoi parlera l’histoire. Le risque est d’ignorer le thème sous-jacent à l’action, et de ne penser qu’en termes dramatiques (= ce qu’il se passe) sans considérer la thématique (= ce que ça dit, ce que ça véhicule). Au mieux, leur récit ne dit rien de spécial et reste neutre ; au pire, il évoque des choses que l’auteur ne voulait pas dire du tout.
Dans les deux cas, prendre du recul en fin du premier jet est capital. cela permet d’observer la partie thématique de son récit :
– pour le préciser et le corriger si on est architecte,
– pour l’identifier si on est jardinier.
Orienter la réécriture en fonction du thème permettra de resserrer le discours et d’assurer une réelle cohérence à l’ensemble : supprimer les éléments qui s’écartent du thème ; redéfinir ou compléter les lieux ou personnages selon le thème ; vérifier que les lignes narratives soient bien liées au thème ; ciseler les climax et la fin du récit en fonction.
M’enfin, ce n’est que mon avis… ou presque. Parce que dès qu’on parle de distinction architecte/jardinier, je préfère demander l’avis des jardiniers de ma connaissance.
En tant qu’écrivain « jardinier », je ne vois le thème qu’à la fin de la première phase d’écriture, lorsque j’ai enfin une vision globale. C’est seulement dans un second temps que je modifie les scènes précédentes pour que tout concourt au grand final. J’ai conscience que mon premier jet n’est qu’une ébauche parce que je ne sais jamais vraiment où je vais en commençant un roman. Pour cette raison, mon travail s’effectue toujours au moins en deux parties, souvent avec davantage de phases de réécriture !Leslie Héliade, autrice
Edit : dans l’émission La Grande Librairie sur France5 du 16/11/2017, l’auteur anglais Philip Pullman explique ne pas se focaliser sur la recherche du thème lors de l’écriture. En substance, il dit que « si un thème doit apparaître, il apparaît ». Lorsqu’il raconte comment lui est venue l’idée des daemon de sa série de fantasy À la croisée des mondes, il dit avoir imaginé ces créatures d’abord, puis avoir réalisé seulement après qu’elles pouvaient servir d’analogie sur le passage à l’âge adulte et la maturité.
— Hum… à peu près tous les habitués du blog ? »
Hello 🙂 je ne le dis pas à chaque fois, mais cet article est super, comme tous les autres!
En tant qu’auteure jardinier (jardinière je suppose), il m’arrive asser souvent, je crois, d’avoir un thème avant de commencer à écrire (mais si je n’y avais jamais réfléchis aussi clairement). La plupart du temps j’ai d’abord des personnages et une atmosphère, voire un moment culminant du récit, mais il m’arrive aussi, surtout pour des nouvelles de sf (où la c’est tout le temps le cas) de me dire plus ou moins clairement « là ça va parler de la guerre » ou de la limite de notre définition d’humanité, ou de la notion de famille, etc… Pour les nouvelles de sf, ça peut même précéder les personnages dans ma tête (mais jamais l’atmosphère je crois)… bref, cette histoire va me trotter dans la tête à chaque fois que je me lancerai dans quelque chose, maintenant ^^
J’aimeAimé par 1 personne
Merci de commenter, ça fait toujours plaisir quand on poste un article ! 🙂
En fait, cette histoire de thème, il faut presque le couper en trois :
1) il y a « le sujet », de quoi on va parler (prenons, pour reprendre l’un de tes exemples, « la notion de famille »). Cela, il arrive souvent d’en avoir une idée arrêtée avant l’écriture.
2) il y a « le débat moral », qui est la question ou la problématique du texte (par exemple, « pourquoi devrait-on se sentir plus proche d’une famille non choisie que d’amis qu’on sélectionne soi-même ? »). Cela, on en a aussi souvent une idée avant de commencer – pas toujours, mais souvent.
3) il y a « notre point de vue d’auteur » (j’utilise souvent le terme de « message », même si ce n’est pas toujours vraiment un message en soi, juste un point de vue, une suggestion, une illustration). Les textes courageux ne font pas que poser une question, ils explorent une ou des réponse(s). Et cela, pour le coup, c’est très difficile à poser de façon précise AVANT d’écrire. C’est dans ce cas que la règle Pixar prend tout son sens : il faut aller au bout du premier jet pour voir ce que raconte vraiment le récit. En tant qu’architecte, j’aime le cerner dès le départ mon point de vue sur la question, au moins vaguement : c’est souvent cela qui oriente ma création d’univers et de personnages. Néanmoins, je sais que je ne dois pas être trop strict, car ça s’affine et se précise en cours de rédaction.
@ bientôt !
J’aimeJ’aime
Ce qui m’intéresse le plus, c’est de se laisser la possibilité de se tromper: j’ai écrit une histoire sur ce thème, puis en la terminant, j’ai découvert qu’en réalité elle parlait de tout autre thème. Se laisser ainsi la possibilité de se contredire et de trouver l’essence du texte me parait essentiel.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est l’une des choses que je préfère en écriture! 😀 Cette possibilité constante d’être surpris-e… Si on se contentait d’écrire quelque chose de tout fait et de tout clair dans notre tête, ça serait vite ennuyeux. Au contraire, je suis souvent devant ma propre histoire comme une lectrice qui découvre quelque chose d’inconnu, d’insoupçonné, d’inattendu!
J’aimeAimé par 2 personnes
J’entends souvent des auteurs/autrices me dire cela quand j’explique que je suis architecte : « moi si je connaissais d’avance mon histoire, je ne trouverais pas d’intérêt à l’écrire ». Je dois vraiment être un cas à part : ce que j’aime justement, c’est écrire l’histoire que j’ai en tête, donner forme à un projet qui n’existe que dans mon esprit (et ce n’est pas simple : c’est toujours mieux dans mon imagination que couché sur le papier). Quand j’ai envie d’évasion et d’inattendu, je lis les livres des autres 😉
(Plus je discute avec d’autres auteurs plus je me trouve « bizarre » :D)
J’aimeJ’aime
Et moi, plus je te lis et plus je t’envie cette capacité de planification. Si j’avais l’encéphale capable de pondre un bon gros plan détaillé en amont, je suis convaincu que j’écrirai bien plus vite. Hélas, j’en suis tout aussi incapable que de retenir un numéro de téléphone du premier coup.
En ce qui me concerne, la phase « jardinerie » n’est qu’une phase de planification laborieuse. Je ne cherche pas à me surprendre. Ce que je découvre lors du premier jet me déplait souvent, me plait parfois, mais ne me surprend jamais. Je plante, ça pousse, je récolte et je fais le tri. Ensuite, je peux repérer un ou deux thèmes et concocter quelque chose avec tout ça.
Les corrections s’approchent plus du « écrire l’histoire que j’ai en tête » dont tu parles. Et tu as raison, même avec un pseudoplan détaillé de 220 pages ça n’a rien d’évident.
Avec une planification architecturale comme la tienne, je suis convaincu qu’aurais bien moins besoin de « bricoler » (comme dirait Julien). J’ai essayé, mais soit je ne parviens pas à pondre de plan, soit je n’arrive pas à suivre (du tout) le plan prévu.
Profite donc de ta bizarrerie, elle est bien utile !
J’aimeAimé par 1 personne
Oh, ça fait des années que j’ai cette discussion avec plein d’auteurs, et ce qui en ressort, c’est qu’à peu près aucun auteur n’est satisfait de la façon dont il travaille et aimerait pouvoir faire « comme les autres » (alors qu’il est rare de trouver plusieurs personnes qui fonctionnent vraiment pareil :))
J’aimeJ’aime
Ça me fait penser à un conseil de Stephen King dans son livre « On Writing », où il dit procéder exactement ainsi : d’abord, il écrit, et ensuite il affine selon le thème qui s’est dégagé. L’un des rares éléments d’intérêt de ce bouquin, en passant (très décevant par ailleurs, selon moi).
Perso, je suis vraiment hybride jardinière-architecte… Avoir un plan m’empêche d’écrire un truc trop nul qui sera bon pour la poubelle (le destin de mon premier manuscrit, quel gâchis!), mais je découvre aussi beaucoup ma propre histoire à mesure que je l’écris. Souvent, mon plan évolue tout au long de l’écriture. Je fais vraiment un peu des deux.
Je crois que le défaut principal de mon dernier manuscrit rejoint un peu le problème évoqué ici. J’ai fait des études postgrad en science politique, et comme j’avais un thème politique à mon histoire (qui par ailleurs est une romance… ouais, c’est possible!), je me suis un peu laissé emporter par ma propre compréhension académique du sujet, qui n’était pas forcément cohérente avec mes personnages (pas des universitaires, à priori). Je pense qu’on sent mon discours et ma réflexion d’auteure qui se superpose aux purs évènements de mon intrigue, du moins dans le début. Mon défi pour les révisions, c’est de rendre ça un peu moins flagrant… Sinon, dans l’absolu, je ne sais pas si c’était évitable. Je me dis que j’ai réussi à écrire une meilleure 2e moitié (selon l’avis de mon bêta-lecteur) grâce à toutes les explications que contenait la 1e… même si, au final, c’était peut-être juste un échafaudage pour moi-même, et que le lecteur va pouvoir s’en passer.
J’aimeAimé par 2 personnes
Le problème que tu évoques là est plutôt lié à un autre de mes articles (« Excès de zèle »), à un souci que je rappelle dans la règle Pixar N°2 : quand un auteur est spécialiste d’un sujet dont il se sert dans son récit, le péché d’orgueil n’est pas loin, et il va avoir tendance à étaler ses connaissances à outrance, non pas parce que c’est utile à son récit, mais seulement parce qu’il les connaît. King en parle aussi dans son livre, et son conseil est pertinent : les connaissances et travaux de recherche d’un auteur ne doivent servir QUE de contexte. Cela doit servir à donner de la crédibilité au décors et à l’ambiance, à sonner juste. C’est tout. L’important dans ton livre, c’est ton histoire et ton personnage. Tes études de sciences politiques ne doivent te servir qu’à apporter de la crédibilité au tout (tu n’écris pas une thèse : ce que le lecteur veut avant tout, c’est une histoire). Ta démarche d’épuration va dans le bon sens. Bon courage pour la suite ! 🙂
J’aimeJ’aime