Règle Pixar [12] : Puiser tout au fond de la source à idées

Discount the 1st thing that comes to mind. And the 2nd, 3rd, 4th, 5th. Get the obvious out of the way. Surprise yourself.

Mets de côté la première chose qui te vient à l’esprit. Ainsi que la seconde, la troisième, la quatrième, la cinquième. Écarte ce qui te paraît évident. Surprends-toi.


Les règles d’or Pixar sont intéressantes à plus d’un titre, et certains conseils nous surprennent parce qu’on ne les avait pas entendus ailleurs. Ce n’est pas le cas de cette injonction-là : si tu es auteur, on te l’a déjà assénée cent fois. Si tu lis des guides d’écriture, tu l’as peut-être déjà vue chez Stephen King ou Orson Scott Card.

Cette règle 12 pousse les auteurs à se méfier de leurs premières idées : elle part du principe que pour surprendre le lecteur, il faut se surprendre soi-même. Pour cela, mieux vaut ne pas écrire la première chose que notre cerveau imagine. Parce que si c’est la première chose à laquelle on pense, alors il y a beaucoup de chances pour que les autres y aient pensé aussi…

L’imitation comme premier facteur d’apprentissage

Je ne résiste pas à l’occasion de te faire lire cet excellent strip du dessinateur Boulet, élégamment intitulé « Fuck Peter Pan ». Si tu as la flemme de le lire (tu as tort), je te résume : les enfants, contrairement à la croyance populaire, n’ont AUCUNE imagination. Ils sont très forts pour croire à des choses qui n’existent pas, mais très mauvais pour les inventer.

Quand il ne maîtrise pas un sujet, l’être humain apprend soit par essai/échec, soit par mimétisme. Copier les attitudes et mimiques des parents est souvent inconscient de la part de l’enfant ; tout comme reproduire les histoires des autres est souvent inconscient chez l’écrivain novice. Beaucoup d’auteurs sont de grands enfants : ils imaginent un héros, tout fiers de l’avoir « inventé », sans réaliser que le personnage en question n’est qu’une copie d’un personnage déjà existant ; sans réaliser que tout ce qui lui arrive n’est qu’une succession de situations clichées.

Pour écrire nos propres histoires, il nous faut donc « grandir » et réussir à faire preuve d’imagination à notre tour.

Écarter les premières idées

« Je fais un personnage qui marche dans la forêt… Qu’est-ce qui lui arrive après ?
— Y rencontre un loup ! »

En dépit de mon âge, je l’avoue bien volontiers : à la mise en situation de Boulet, l’espace d’une demi-seconde, la première image qui vient à mon esprit d’adulte est bel et bien un loup. Pas toi ? Et si ce n’est pas le loup, quelle est la première chose qui fait « pop » dans ton cerveau à la mention de la forêt ? (ça m’intéresse tiens, dis-moi en commentaire.)

Le personnage rencontre-t-il quelqu’un (une sorcière, un bûcheron, une fée) ? Croise-t-il un animal (un cerf, un sanglier, un corbeau) ? Ou se voit-il confronté à un problème lié à sa situation (il se perd, tombe sur un ravin ou une rivière infranchissable) ?

Le point commun de toutes ces idées est que je n’ai pas eu besoin d’y réfléchir pour te les citer. Ce sont des éléments qui me viennent spontanément à l’esprit si on me propose de raconter l’histoire d’un personnage en forêt… et donc, si je devais raconter l’histoire de ce personnage, je ne choisirais AUCUNE de ces idées-là. Pourquoi ? Parce que si elles me viennent si spontanément, c’est parce qu’elles ne sont pas MES idées. Ce sont des situations déjà tellement usées jusqu’à la corde qu’elles font partie de notre ADN de conteurs. Des automatismes.

Faux ? Si c’est ce que tu penses, regarde un peu les séries de fantasy où l’un des héros est lié à un animal de la forêt. Combien ont pour allié un écureuil et combien ont un loup ? Des Stark de GRR Martin à Oeil-de-nuit chez Robin Hobb, de Princesse Mononoké de Miyazaki jusqu’à plusieurs ouvrages autoédités que j’ai vu passer récemment (déjà deux rien que cette semaine) : la fantasy est littéralement infestée de loups (grâce à la magie d’internet, j’espère pour de vrai que quelqu’un me citera un livre où l’allié du héros est un écureuil).

Tu aimais bien le loup ? Tu peux le garder, si tu veux. Tu es l’auteur : si ça te fait plaisir, tu peux. En plus, plein de gens adorent les loups (parce qu’ils ont lu et entendu les mêmes contes que toi étant petits). Mais pour surprendre ou être mémorable avec un loup, il te faudra surpasser tous ceux qui ont déjà écris des loups (dont des poids-lourds comme Martin, Hobb ou Miyazaki : bonne chance).

Écarter les deuxièmes idées

Si je t’ai convaincu de jeter à la poubelle ta première idée, tu vas donc en chercher une autre. Si tu dois renoncer au loup, peut-être vas-tu choisir un cerf ? C’est classe comme animal forestier, le cerf. Ah zut, cela te fait penser au Patronus de Harry Potter ou à la Chasse Royale de Jaworski (voire aux montures de Mémoires du Grand Automne).

Et oui, le problème, c’est que ce conseil Pixar est très connu, depuis très longtemps, et que beaucoup d’auteurs savent qu’il vaut mieux jeter le loup. En conséquence, les idées qui viennent ensuite ont été – elles aussi – pas mal utilisées.

Écarter les troisièmes idées

En général, à ce stade de la réflexion, l’auteur se met en quête d’originalité à tout prix : adieu loup, cerf et sanglier. Même le lapin et l’écureuil ne semblent plus assez atypiques pour l’auteur agacé. La troisième idée est souvent de prendre l’absolu contre-pied. Genre, un tapir. Ou un rouge-gorge unijambiste qui sifflote l’air de la traviata (« c’est bon, personne ne l’a utilisée cette idée-là ? »).

Non, personne ne l’a utilisée. Tout comme il est rare que la suite d’une histoire débutant par « le personnage marche dans la forêt » soit « il rencontre une soucoupe volante ». Parce que oui c’est surprenant, mais ça manque de logique, de sens, de lien. L’originalité ne doit pas être un objectif en soi ni la raison d’être de tes choix : la plupart du temps, l’originalité ne mène nulle-part.

Ceci étant dit, si prendre systématiquement le contre-pied des clichés peut vite devenir absurde, ce peut aussi être le point de départ d’une vraie réflexion de fond, une vraie opportunité de faire le ménage dans notre esprit d’auteur et de regarder notre récit avec un œil vraiment neuf, sans a priori. Tu écris de la fantasy ? Tu es LIBRE : pourquoi te sens-tu obligé(e) d’y mettre un dragon, des elfes et de la magie ? Je ne te dit pas de ne pas en mettre (bon, en fait si, je t’ai déjà conseillé ça ICI), je te demande de réfléchir à pourquoi tu souhaites en mettre. La vraie raison. Si tu es honnête avec toi-même, tu verras que la réponse sera souvent « parce que c’est la première chose qui m’est venue et je n’ai pas cherché plus loin, je n’ai pas pensé une seule seconde que je pouvais faire autrement ».

Donc : jette tes premières idées. Décider de ce que tu ne mettras PAS dans ton histoire est déjà une forme d’avancement.

À toi de voir ensuite quelles idées neuves pourraient avoir du lien avec ton histoire et combler l’espace laissé vacant par la disparition de ces personnages ou situations convenu(e)s.

Viser « personnel » plutôt que « original »

Viser l’originalité revient à vouloir faire quelque chose qui n’a jamais été fait avant. Outre que c’est quasiment impossible, cela représente beaucoup d’efforts pour un retour sur investissement plus faible qu’on ne le croit : être original, ce n’est pas être bon. Et si personne ne l’a fait avant, c’est peut-être parce que personne n’y a pensé… mais plus probablement parce qu’il y a de bonnes raisons de ne pas le faire.

Non, encore une fois, je ne t’encourage pas à être « original », et je ne crois pas que ce soit le message de Pixar non plus : essaie plutôt d’être « personnel ». Casse la couche de glace qui s’est formée à la surface de ton puits à idées, là où stagnent et se figent tous les clichés. Puise plus profond. Les idées qui dorment là-dessous sont elles aussi des reliquats d’histoires lues ailleurs, mais ce qui est « toi » c’est ce cocktail, ce mix unique d’influences disparates. Que tu aies vingt ans, quarante ou soixante, tu es un assemblage hétéroclite d’expériences. Cherche tes idées « là », dans l’association des différents éléments qui te constituent : combine les lieux que tu visites, les univers que tu apprécies, les gens que tu fréquentes. Cherche ce qui est « toi », développe une thématique qui TE tient à cœur et fais-le à TA façon.

Ne fais pas quelque chose « parce que les autres le font comme ça ». Ne fais pas non plus le contraire « parce que tu ne veux pas faire comme tout le monde ». Fais ce qui te semble bien à toi. Et pour ce faire, rejette tes premiers choix (qui ne sont pas LES TIENS puisque tout le monde les fait).

Je te promets alors que tu te surprendras toi-même. Et nous avec.

M’enfin, ce n’est que mon avis…


« Hey, j’ai une idée pour la conclusion !
— C’est ta première ?
— Euh… oui.
— Alors on ne la fait pas.
— …
— …
— Dommage, elle était super. Avec un loup. »

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(15 commentaires)

  1. Ben oui, pour moi aussi le loup est arrivé direct dans la forêt 😦 …Mais c’est vrai que le rouge-gorge unijambiste est une idée intéressante 😉
    Encore merci pour cet article très bien écrit et très instructif 🙂 (faut juste fermer les yeux sur les quelques coquilles :p ) .
    Qui sait, un jour peut-être, j’aurai assez d’imagination pour écrire quelque chose…? Quand je serai grande 😀 …

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  2. J’adore tes conclusions 😉
    Moi je pensais que le type dans la forêt allait rencontrer un chasseur (traumatisme Bambi ?). Du coup pour varier, ça pourrait être plutôt une chasseuse. En tout cas rien ne l’empêche de siffloter La Traviata.

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          1. Mais une licorne dans une forêt ça se tient, non ? Et elle pourrait avoir des problèmes respiratoires à cause des pollens. Ou alors chercher une plante magique qui puisse la guérir 😉

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  3. Encore un article très interessant! Merci 🙂 je n’y avais jamais réfléchi de cette façon là. En général, j’essaie surtout de réinventer les figures connues, donc j’aurais tendance à mettre un loup (et meme une jeune fille avec un capuchon rouge) et a essayer de le traiter de manière imprévisible, de le réinventer… je me demande si ca ne rejoins pas ton dernier point, en fait 🙂

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    1. Tout comme L’Astre ci-dessus, c’est l’étape 3, à savoir prendre un cliché de façon volontaire et le traiter différemment. Le changement de sexe est devenu un classique (le loup est une louve, et le chaperon est un garçon qui va rendre visite à son grand-père), mais on trouve aussi en vrac : l’inversion gentil/méchant (le loup est le héros et le chaperon le tueur) ; le changement de fin (bon, pour le coup ça c’est déjà fait, entre la version de Perrault et des frères Grimm) ; la même histoire avec un autre animal (je crois qu’en Asie le même conte existe avec un tigre : classe !).
      Mais ça reste dans tous les cas la réinterprétation d’une histoire existante, pas « ton » histoire. Il faut passer à l’étape 4.
      😉

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  4. Note : personne ne m’a suggéré d’histoire avec un écureuil, mais je me souviens désormais que dans l’animé Samouraï Champloo, l’héroïne est accompagnée d’une sorte d’écureuil volant. Bon, il faut avouer, il ne sert pas à grand chose, mais si elle avait eu un loup à la place elle n’aurait peut-être pas eu besoin de s’entourer des deux autres héros de l’histoire… 😉

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  5. J’en ai un autre : l’héroïne Squirrel Girl de Marvel !
    Merci beaucoup pour cet article. Chercher à écrire quelque chose de personnel plutôt qu’original me parait être un excellent conseil. Au fond, ça revient à privilégier le thème par rapport à des « détails » de l’histoire

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  6. Je pense qu’il faut aussi se souvenir que l’écriture est un acte cumulatif, qui produit des construits complexes. Passe encore la jeune fille dans la forêt, mais alors elle ne rencontre pas de loup. Ou alors un loup changé en statue de sucre, qu’il faut retransformer avant qu’il pleuve. Et pour l’aider, on ne va pas chez un magicien, on va chez un alchimiste, etc…

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