« Hum, ça fait du bien là où ça fait mal…
– Tu es devenu masochiste ?
– Pas trop le choix : je suis auteur. »
À moins de n’écrire que pour soi-même et de ne jamais exposer nos textes aux regards des autres, nous autres auteurs avons une activité publique. Cela signifie qu’il faut s’attendre à avoir des retours sur les histoires que nous publions, et malheureusement certains de ces retours peuvent être moins enthousiastes que ceux escomptés. Oh, bien sûr, « la critique est utile ». Tout le monde sait ça. Cela ne l’empêche pas de faire mal.
Petit guide de survie à l’attention des auteurs qui souhaitent le rester.
Pourquoi la critique fait-elle mal ?
Il y a, je le pense, de profondes raisons culturelles et sociales. Combien de fois, dans la vraie vie, taisons-nous des reproches à des amis ou de la famille, afin d’éviter les conflits ? Oncle Roger a mauvaise haleine, mais on n’ose pas le lui avouer. Tout simplement, ça ne se fait pas. En conséquence, la critique brise les conventions établies : nous avons l’impression de subir une gifle en public et en éprouvons de la honte. Combien de fois ai-je lu « ça ne se fait pas de dire des choses pareilles ! » de la part d’auteurs outrés ?
Pourtant, qui écrit la critique ? Et pour qui ? Le fait est que, en général, les critiques ne nous sont pas adressées. Un commentaire sur Amazon, c’est un lecteur qui parle à d’autres lecteurs. Il avertit les autres qu’oncle Roger sent un peu de la bouche, et pas de chance si Roger tombe sur ce message. Du coup, bien souvent, ce qu’on considère comme une attaque personnelle n’est pas une attaque, et est encore moins personnelle. C’est comme surprendre une conversation entre deux individus qui parlent de nous dans notre dos.
Alors oui, oncle Roger va se sentir très vexé et honteux que l’information sur sa mauvaise haleine soit devenue publique. Mais si ça fait si mal, c’est que la plupart du temps, l’auteur ne s’y attend pas. Pas vraiment. Il n’a pas anticipé la critique : il se sent être « quelqu’un de bien », qui a travaillé dur. Qui critiquerait ça ? Hé, cela ne se fait pas !
Quelques pistes
1) Cesse de croire que tu « mérites » des commentaires positifs parce que tu as beaucoup travaillé. C’est faux. On ne mérite pas des compliments parce qu’on travaille beaucoup, on mérite des compliments lorsqu’on travaille bien. Tu peux avoir mis beaucoup d’efforts et de temps dans un livre, s’il comporte des défauts, tu récolteras des critiques. Et c’est normal. C’est sain !
2) Attends-toi à ces commentaires négatifs. Ils ne manqueront pas de venir, c’est certain, alors prépare-toi. Regarde les notes de tes auteurs préférés sur Amazon : tous récoltent des commentaires négatifs. Aucun de tes textes n’est irréprochable. Et ce n’est pas parce que certaines personnes les aiment que cela « annule » leurs imperfections.
3) Ne les écarte pas. Comme on retire vivement la main de la flamme qui nous brûle, c’est un réflexe de les rejeter. De plus, certains commentaires manquent de tact, sont parfois maladroits ou injurieux. C’est alors tellement plus simple de se braquer ! Pourtant, ces critiques sont des mines d’informations. Regarde-les dans les yeux. Même grossier, un commentaire du type « le personnage principal est un casse-couilles de première ! » est une sacrée piste à suivre. Les commentaires négatifs sont souvent prolixes. Profite-en.
4) Ne te cache pas derrière de fausses excuses. Bannis de ta bouche des répliques comme « cela ne se fait pas de dire ça », « on ne peut pas plaire à tout le monde », « ça n’a pas fonctionné pour lui mais ça plaira à d’autres », « il n’a rien compris, c’était voulu ». Ce ne sont que des tactiques d’évitement.
5) Ne réponds JAMAIS aux critiques : soit tu penses que la critique a du sens et tu t’en sers pour améliorer tes écrits, soit tu la mets de côté. Point. La critique est le ressenti d’un lecteur, tu ne peux pas argumenter contre ça. Il ne peut pas « avoir tort » de ne pas aimer ton livre.
6) Distingue l’œuvre de l’auteur : la critique pointe les défauts de ton histoire, elle ne dit pas du mal de toi (tes lecteurs ne te connaissent pas). Alors arrête de faire ton Calimero, personne ne t’en veux. Essuie tes yeux, relève le nez de ton nombril et repenche-toi sur tes histoires.
7) Sers-toi de ces critiques de façon concrète pour t’améliorer. Essaie pour de vrai de faire en sorte qu’on ne puisse plus te critiquer sur ce sujet à l’avenir. Documente-toi. Travail ce point. Le lecteur a « mal compris » ? Fais en sorte qu’on ne puisse plus te comprendre de travers. Une critique négative dont tu as appris quelque chose n’est plus négative.
8) Persévère. Quoi, tu croyais être bon du premier coup ? Remporter ton premier concours de nouvelles ? Vendre des milliers d’exemplaires de ton premier livre ? Rédige d’autres histoires. Continue. Tu verras, il est plus facile d’accepter la critique avec l’expérience : avec le temps on se connaît mieux soi-même, on acquiert de la confiance dans son travail et dans son jugement ; et on la comprend mieux, cette critique. Il devient alors plus aisé de la considérer pour ce qu’elle est (une opportunité d’amélioration).
9) Recherche la critique. Mieux que de l’attendre, va au-devant d’elle ! Choisis des relecteurs bienveillants mais exigeants et capables de dire les choses. Cela t’habitue, en plus de te faire progresser. S’entourer d’une cours de « béni-oui-oui » qui te répète à chaque bêta-lecture à quel point ton livre est génial n’est pas seulement inutile : c’est dangereux (en ce qui me concerne, un bêta-lecteur dont aucune remarque ne me permet d’améliorer mon livre est rayé de ma liste – no offense).
10) Choisi comme objectif d’auteur le fait de produire de bons textes, pas d’être aimé. Ainsi, chaque critique sera une opportunité d’avancer vers ton objectif, au lieu de t’en éloigner. Les étoiles et les likes ne sont pas des preuves d’amour…
M’enfin, ce n’est que mon avis.
PS : pour éviter que tes bêta-lecteurs ne fassent trop mal à ton Ego hypersensible par inadvertance, rappelle-toi quand même que tu peux leur donner quelques consignes simples à respecter.
« Allez vas-y, fais-moi mal !
– Repose cette cravache tout de suite, et reprends ton stylo ! »
Tu trouves les articles de Stéphane utiles ? Paie-lui donc un café !
Tous ces conseils sont vraiment excellents. Je pense que ton article va rendre service à énormément d’auteurs. En ce qui me concerne, comme je présente une émission de radio au quotidien, les critiques que je reçois en tant qu’auteur ne sont pas difficiles à accepter.
Occasionnellement, on m’adresse des critiques que je ne comprends pas (je me souviens qu’on m’avait par exemple reproché de consacrer trop de place à la description des personnages dans un roman où les personnages ne sont pratiquement pas décrits), mais même ça n’est pas problématique.
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Ah, mais je te confirme que les lecteurs sont parfois des gens étranges ! (rires)
Il m’est aussi arrivé de lire des chroniques de blog où je me demandais s’il s’agissait bien de mon livre. Mais mine de rien, ça aussi c’est intéressant (un peu terrifiant, mais fascinant). Creuser, essayer de comprendre où la divergence a lieu, etc. Moi j’aime bien (mais bon, je suis qualiticien de formation, la recherche d’amélioration continue, c’est mon dada :p)
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Ah la mauvaise critique ! Difficile en effet au début de ne pas en être blessé. Et puis, petit à petit, on fait le tri, on en tire des leçons constructives. Excellent article !
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Merci beaucoup à vous deux pour vos visites régulières et vos bons mots 🙂
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Merci à vous auteurs et blogueurs de talent qui partagez avec nous vos expériences et conseils si précieux ! 😉
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A reblogué ceci sur kirsteen duval.
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Très intéressant, tellement juste et applicable à bien d’autres domaines que l’écriture. Merci.
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Un article remarquable, et une vision très lucide de la place que doit avoir la critique, aussi bien négative que dithyrambique, chez un écrivain qui a la volonté de s’améliorer. Je connais plusieurs autrices de SFFF connues et primées qui pourraient en prendre de la graine. Toutes mes félicitations pour ce travail de qualité, et surtout, gardez cette attitude très saine !
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Et moi qui m’étais préparé à d’éventuelles critiques sur cet article ! Vous allez tous me faire gonfler les chevilles avec vos commentaires élogieux. 😉 Bon allez, je prends quand même.
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A reblogué ceci sur Laureline Royet a ajouté:
Une critique négative sur votre dernier roman ? Même pas peur, même pas mal, je positive avec Stéphane Arnier !
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J’ajouterai qu’on ne reconnaît pas toujours son texte même quand la critique est positive… LOL C’est le jeu!
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Très vrai ! 😀
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Cet article est très intéressant mais je me permets quand même une petite nuance 😉 Je trouve que toutes les critiques ne sont pas forcément bonnes à suivre, et que de fait on ne peut pas plaire à tout le monde. Parfois un bêta-lecteur va nous reprocher quelque chose, alors que pour tous les autres ce quelque chose est justement un aspects positif. Moi-même en tant que lectrice il y a certains romans encensés par la critique que je n’ai pas aimé, parce qu’ils étaient dans un style qui ne me parle pas. Mais le fait qu’ils ne me plaisent pas n’implique pas forcément une faiblesse, c’est juste mon ressenti. Les critiques sont forcément subjectives, et c’est à l’auteur de déterminer si une critique lui paraît vraiment fondée et/ou si elle est remontée par beaucoup de lecteurs avant de la prendre en compte. L’auteur doit aussi avoir des convictions sur son texte. Quand j’ai reçu les premiers retours de mes beta-lecteurs j’ai eu l’impression que mon texte était plein de défauts et j’ai commencé à vouloir tout changer, et c’est mon éditrice qui m’a finalement fait comprendre que toutes les critiques n’étaient pas pertinentes
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Merci de ton commentaire 🙂
Attention : je dis qu’il faut prendre tous les avis en compte, pas que la critique a toujours raison. Je mets en garde les auteurs sur cette pratique facile qui consiste à rejeter la critique en disant que « le lecteur n’a rien compris », ou à se braquer dès que le commentaire négatif est un peu brutal ou agressif. Mon avis est qu’il faut regarder tous les avis en face et accepter leur existence (après, savoir s’il faut modifier son texte ou travailler différemment pour les prochains livres, c’est l’auteur que ça regarde). Le travail avec les bêta-lecteurs est d’autant plus intéressant qu’il permet d’observer la récurrence (ou non) des avis.
…
Quant à la fameuse maxime « on ne peut pas plaire à tout le monde », elle ne pourrait s’appliquer que si « tout le monde » achetait nos livres. Or ce n’est pas le cas : les gens sélectionnent ce qu’ils lisent, via le titre, la couverture, le résumé, le genre. Tout le monde n’aime pas la fantasy, mais j’estime que tous les gens qui franchissent le pas d’acheter mes livres devraient les aimer. Si ce n’est pas le cas, c’est soit qu’il y a des faiblesses dans le livre, soit qu’il y a inadéquation entre le livre et sa présentation (titre+couverture+résumé) qui fait que le lecteur n’obtient pas ce qu’il était venu chercher. Dans les deux cas, comme je suis indépendant, cela m’incombe. Lorsqu’on est édité de façon plus traditionnelle, c’est plus délicat (je connais un ou deux auteurs qui ont été un peu désarçonnés par la façon dont leurs éditeurs ont présenté leurs livres :D), mais c’est presque un autre sujet.
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