Brandon Sanderson, une référence de la fantasy anglo-saxonne, est mondialement connu pour ses systèmes de magie innovants, imaginatifs et particulièrement bien conçus. Afin d’aider les autres auteurs, il a tenté de regrouper ses réflexions en trois grands principes. Nous avons déjà passé en revue les deux premiers :
Loi 1 : « La possibilité pour l’auteur de résoudre un conflit par la magie est directement proportionnelle à la manière dont le lecteur comprend cette magie. »
Loi 2 : « Les contraintes sont plus importantes que les capacités. »
La Troisième Loi
La troisième loi est un peu plus difficile à mettre en œuvre, car il s’agit d’une question d’équilibre à trouver, mais le concept est néanmoins capital.
Brandon Sanderson définit sa troisième loi ainsi :
« Développez ce que vous possédez déjà avant d’ajouter quelque chose de nouveau. »
Ce qui signifie : avant de créer de nouveaux pouvoirs, essaie d’approfondir autant que possible ceux que tu as déjà imaginés. En bref, Sanderson nous rappelle que faire plus, ce n’est pas faire mieux.
L’exposition est un art difficile
En littérature de l’imaginaire, l’auteur rencontre une difficulté particulière au genre : en plus de devoir mettre en place ses personnages et son intrigue, il doit exposer au lecteur son univers et son fonctionnement. Les lecteurs adorent plonger dans un nouveau monde (et c’est bien pour cela qu’ils lisent de la fantasy ou de la SF). Néanmoins, ils sont vite perdus si l’univers devient fouillis, et dépassés s’il y a « trop ». Plus tu vas vouloir ajouter des choses dans ton monde, plus celui-ci risque de perdre en cohérence et de gagner en complexité, jusqu’à un point où le lecteur ne te suivra plus. Il en va de même pour la magie : créer un système élaboré est intéressant pour l’auteur, mais le lecteur ne sera-t-il pas déboussolé dans de multiples catégories et des dizaines de pouvoirs différents ?
Approfondir, pas ajouter
Le conseil de Sanderson est donc de se limiter en quantité et de ne pas déployer un système magique trop vaste, mais au contraire de rechercher de la profondeur. Pour cela, il suggère trois axes de réflexions :
– extrapoler
Cela revient à se poser la question « que se passerait-il si ? ». Trop d’univers de fantasy contiennent de la magie sans que celle-ci n’impacte vraiment le monde, ce qui est particulièrement illogique étant donnée son importance et sa capacité à réaliser des choses « hors normes ». Imaginons un monde dans lequel la fleur d’une plante rare permet d’acquérir une super force. Comment cela influerait-il un univers médiéval classique ? Il y a de fortes chances que ce pouvoir ait des applications militaires ou criminelles. Mais dans quels autres métiers cela aurait-il des applications ? Cela ne donnerait-il pas un surplus de statut aux cultivateurs de la plante, ou aux pays mieux exposés que d’autres au niveau du climat ? Que se passerait-il si quelqu’un avait le monopole de la production ? Que se passerait-il pour l’ensemble de cette société si de mauvaises conditions météos empêchaient soudain la plante de pousser ? Ou si un substitut envahissait le marché et que tout le monde avait soudain accès à ce pouvoir ? Etc.
– interconnecter
Cela revient à relier les différents pouvoirs que tu souhaites créer : les lier entre eux, mais aussi avec le thème de ton histoire et les autres éléments du récit. Imaginons que dans l’exemple ci-dessus, tu souhaites aussi développer un pouvoir de télékinésie. A priori, aucun rapport avec la super force. Mais tu pourrais décider que la télékinésie s’acquiert en consommant la racine de la même plante : en liant les deux pouvoirs ensemble (ils découlent de deux parties distinctes d’un même végétal) tu renforces la cohésion du monde. Cela pourrait avoir du sens, en particulier si tu as prévu d’aborder des thématiques liées au développement durable et à la gestion des ressources, par exemple. Et quel pourrait être le lien entre cette plantes, ces pouvoirs, et la religion de ce monde ? Etc.
– rationaliser
Cela revient à combiner ensemble des éléments dont tu disposes déjà, au lieu d’en créer de nouveaux. Tu désires créer une nouvelle peuplade dans ton monde, et tu es tenté de lui créer des pouvoirs magiques spécifiques ? Réfléchis : ne peux-tu pas faire en sorte que ce peuple utilise la même plante de façon différente et innovante du premier peuple, plutôt que de créer une nouvelle magie de toute pièce sans lien avec la première ? L’idée est, à chaque fois que tu as besoin de quelque chose pour ton récit, d’essayer de le puiser dans ce qui existe déjà plutôt que de systématiquement créer du nouveau.
Brandon Sanderson a prouvé que l’on peut avoir un système de magie extrêmement profond et intéressant avec très peu de pouvoirs, tant qu’ils sont bien déployés et exploités à fond. Si tu imagines toutes les conséquences de l’existence de ces pouvoirs (sur la culture, les aspects sociétaux, la politique et la religion), si tu les lies entre eux (et avec ton monde et tes thèmes), et si tu sais rationaliser au lieu d’empiler les originalités, tu te retrouveras au final avec un système de magie vraiment intéressant, crédible, facile à assimiler pour le lecteur, et surtout bien intégré dans ton monde.
Conclusion
Aucun auteur n’aime s’entendre dire que pour créer son monde, il doit « suivre des règles ». Brandon Sanderson s’en défend tout au long de ses essais, expliquant simplement qu’il s’agit de réflexions qui fonctionnent pour lui, et que chacun est libre de faire comme il l’entend.
Ceci dit, son succès et la qualité de ses romans devraient faire réfléchir, tout autant que la logique et la pertinence de ses arguments. Si tu ne l’as pas déjà fait, je t’encourage à lire l’intégralité de ses essais (un peu plus de 20 pages, voir ci-dessous). Ses explications sont limpides, et j’y repense à chacune de mes lectures. En ce qui me concerne, je suis convaincu : les univers où la magie « fonctionne » sont ceux où les auteurs ont su gérer (consciemment ou pas) ces trois « lois » de Sanderson.
M’enfin, ce n’est que mon avis (et celui de Brandon Sanderson).
L’essai de Brandon Sanderson (troisième partie) :
– Version originale (anglais)
– Adaptation française intégrale des trois essais (24 pages)
Les autres lois :
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (1/3)
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (2/3)
C’est crucial, comme conseil. J’aurais dû le suivre, ça m’aurait évité bien des déconvenues.
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Ah, si seulement nous savions tous AVANT DE COMMENCER ce qu’il nous faut savoir !
🙂
Au moins, désormais, pour nos prochains projets, on sait.
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Merci pour cette article 🙂 je pense que j’irais lire cet essai
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N’hésite pas (c’est pour cela que j’en ai fait un pdf téléchargeable). C’est facile à lire, Sanderson explique les choses clairement avec beaucoup d’exemples. Très instructif.
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Ça donne surtout envie de lire ses romans !
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Je n’ai lu que la série « Fils-des-Brumes », qui est excellente. Ce n’est pas vraiment très littéraire hein (moi j’aime bien Jaworski ou Platteau, et là ce n’est pas vraiment le genre). Par contre ce monde de fantasy est unique et repose sur un système de magie incroyable. C’est bourré d’action, et d’une action jamais vue ailleurs puisque régie par cette fameuse magie particulière.
J’ai commencé (les premiers chapitres seulement) sa série « Les Archives de Roshar », et rien que le chapitre d’entrée est une longue scène d’action où il expose les bases de la magie du personnage dans une veine très spectaculaire.
C’est donc de la fantasy « hollywoodienne », si on veut, mais c’est terriblement efficace !
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