Au secours, mes lecteurs n’aiment pas mon personnage !

« Tu ne m’aimes pas ?
— Non.
— Pourtant je me trouve super !
— On ne doit pas parler de la même personne… »


Une bonne histoire n’accroche le lecteur que si elle concerne un bon personnage. Et un bon personnage, c’est un personnage auquel on s’attache, d’une façon ou d’une autre. Hélas, parfois, nos lecteurs n’ont pas le même coup de foudre que nous pour notre protagoniste. Bien sûr, tes lecteurs n’ont pas besoin d’être raides dingues de ton personnage pour apprécier l’histoire, mais imagine : tes bêta-lecteurs te disent que ton héros est agaçant voire insupportable ! Là, c’est le drame. Comment est-ce possible ? Que dois-tu changer pour remédier à la situation ? Voici quelques pistes de réflexions.

« Mes lecteurs sont nuls : ils n’ont rien compris. »

J’ai récemment adapté en français un excellent article de Chris Winkle pour la plateforme Scribbook. Le post évoque (entre autres) un principe intitulé « l’auteur est mort », qui dit que l’avis de l’auteur n’a plus d’importance une fois le livre publié. L’auteur ne peut pas être derrière l’épaule de chaque lecteur pour lui expliquer le livre, et l’histoire est obligée de parler pour elle-même. Si ton lecteur pense que ton personnage est agaçant, argumenter du contraire et prétendre « qu’il n’a pas compris » est vide de sens. S’il a mal compris, c’est que tu t’es mal exprimé, point.

« Il est hors de question que je modifie mon personnage ! »

Dans cette situation, l’auteur se braque souvent car il a la sensation qu’on lui demande de changer son personnage pour faire plaisir à ses lecteurs. Pourtant, ce n’est pas vraiment ce qu’il se passe.

Pourquoi ce personnage est-il ton personnage principal ? Sans doute parce qu’il te touche, que tu y es attaché(e). Cela signifie que ce personnage possède des qualités et des bons côtés qui le rendent appréciable à tes yeux.
Pourquoi tes lecteurs ne l’aiment-ils pas, en ce cas ? Il n’y a qu’une seule réponse possible à cette question : c’est parce que le personnage qui est dans le livre n’est pas le même que celui qui se trouve dans ta tête.

Neuf fois sur dix, le problème est un problème de représentation.

representation

Ainsi, la question « dois-je modifier mon personnage ? » est ambiguë. En fait, tu n’as pas forcément à modifier le personnage que tu as en tête, mais à modifier celui qui se trouve dans ton livre afin que les deux correspondent. Cela passe par l’acceptation du fait que, si tes lecteurs n’aiment pas ton personnage aujourd’hui, c’est que (pour le moment) tu n’as pas su le représenter dans ton texte tel qu’il est dans ta tête. Sinon, tes lecteurs l’apprécieraient autant que toi.

« Je ne veux pas lui retirer ses défauts ! »

Tu penses que tes lecteurs rejettent ton personnage pour ses défauts ? C’est possible, mais c’est peu probable. D’abord parce que les lecteurs n’aiment pas les personnages lisses et « parfaits » ; ensuite parce que ce sont les défauts qui caractérisent le mieux un personnage ; enfin parce que quand tu aimes quelqu’un, ce n’est pas pour « son absence de défauts » mais pour ses qualités. Si tes lecteurs n’aiment pas ton personnage, c’est peut-être parce que tu n’as pas su mettre en avant ses bons côtés (les raisons pour lesquelles le lecteur devrait l’apprécier en dépit de ses défauts). C’est fréquent : on est si accaparé par l’intrigue, par l’écriture du drame, par la mise en scène des obstacles, qu’on oublie de souligner les qualités du personnage. Si tu l’aimes, c’est qu’il en possède. Alors montre-les.

Exercice : liste trois qualités de ton personnage qui font que toi, tu l’aimes. Vérifie alors ton texte : à quels moments voit-on ces qualités ? Est-ce qu’elles sont bien mises en avant ? Est-ce qu’elles sont montrées, plutôt que racontées ? Est-ce qu’on les voit à l’œuvre à plusieurs reprises, ou est-ce qu’on n’en a qu’un bref aperçu en une phrase et puis plus rien ?

PS : si à ce moment-là tu réalises que ton personnage a plein de qualités et qu’elles figurent bien dans le livre, fais le même exercice avec les défauts : si le personnage est bourré de qualités et qu’on ne l’aime pas, c’est peut-être parce qu’il n’a aucun défaut (et oui, c’est tout aussi agaçant).

Quelles sont les traits qui font aimer un personnage, et lesquels provoquent l’effet inverse ? J’en ai déjà parlé sur ce blog ici et .

Neuf fois sur dix

Neuf fois sur dix, un lecteur qui va te dire qu’il y a un problème avec ton personnage aura raison.
Neuf fois sur dix, un lecteur qui va t’expliquer quel est le problème et comment le résoudre aura tort.

Si plusieurs lecteurs se plaignent de ton personnage, c’est que le problème est réel et que tu dois absolument apporter des modifications (pas forcément à ton personnage, mais en tout cas à ton texte).

Interroger tes lecteurs peut se révéler instructif, mais seulement si tu sais lire entre les lignes et si tu te méfies des solutions toutes faites qu’ils vont te suggérer. Dans la vie, les gens sont très peu lucides sur ce qu’ils aiment chez les autres ou pas. Quand on n’aime pas quelqu’un, on se contente souvent de jugements vagues du genre « c’est un con » ou « elle est chiante ». Ce n’est pas « la vérité » : c’est uniquement ce qu’on ressent en fonction de ce qu’on connaît d’eux. N’as-tu jamais vécu le cas où ton meilleur ami a une nouvelle amoureuse que tu ne peux pas supporter ? Pourtant, lui, il l’aime. Tu peux toujours partir du principe que vous n’avez pas les mêmes goûts, mais il est plus probable que vous ne connaissiez pas les mêmes facettes de cette personne. Elle est toujours la même. La perception que vous avez d’elle, non.

En conséquence, ton travail d’auteur consiste à trouver ce que tu n’as pas mis dans ton texte, ou ce que tu as mal exprimé, et qui fait que tes lecteurs ont une perception différente de la tienne.

De mon expérience, les deux axes principaux à étudier sont :

– de vérifier que ton personnage n’inspire pas la pitié (la plupart du temps, les personnages jugés « agaçants » tombent dans cette catégorie, cf. article Pas de Pitié pour les Personnages) ;

– de vérifier que les qualités de ton personnage sont bel et bien mises en avant (cf. exercice ci-dessus). Sur le même sujet, je te conseille la lecture d’un autre article de Chris Winkle 12 Traits pour faire aimer votre héros, qui explique bien ces mécanismes et souligne quels traits sont valorisants pour un personnage.

Le reste ? Eh bien c’est du travail d’écriture. Ce qui est vrai pour un dessinateur l’est pour un auteur, et toute la compétence d’un artiste est là : savoir reproduire et transmettre ce qu’il a dans la tête. Si ton lecteur ne voit pas ton personnage comme toi tu le vois, il n’y a qu’une façon d’y remédier, à savoir par les mots.

M’enfin, ce n’est que mon avis.


« Donc si tu ne m’aimes pas, c’est juste parce que tu n’as pas vu mes bons côtés ?
— Quels bons côtés ? »


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(12 commentaires)

    1. Argh j’ai encore oublié de faire cette précision dans l’article (pourtant je sais bien qu’il y a toujours cette question 😉). Il y a toujours cette ambiguïté sur le sens de « aimer ». Ta seconde suggestion est bien sûr la bonne. Le lecteur non plus n’a pas besoin « d’aimer » le protagoniste pour le suivre. Par contre il est important qu’il *ne le déteste pas* et y soit attaché d’une façon ou d’une autre (sinon, tout simplement, il arrête de lire). Cet article et ceux que je cite servent à ça : créer de l’attachement (plus que de « l’amour »).

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        1. Je suis tenté de dire que je suis d’accord. Et en même temps non, et c’est amusant de voir les réactions que je récolte aussi sur twitter sur ce sujet, comme si « faire apprécier le personnage » n’était pas important voire même cliché et à bannir. Un truc superflu dont on fait beaucoup de tapage pour rien. Et pourtant : l’attachement au personnage m’apparaît comme primordial pour que le lecteur s’implique dans l’histoire. Donc non, comprendre le personnage est capital, mais ne suffit pas (à mon sens) pour s’assurer l’adhésion du lecteur. Si c’est un pourri sans aucun trait positif, le lecteur auras beau le comprendre, il aura bien du mal à garder le livre en main jusqu’au bout (mais « attachement » n’est pas « amour » hein, les gens adorent bien des personnages comme Hannibal Lecter 😉)

          Quoi Julien, tu n’aimais pas Tim Keller ? 😉

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          1. Je pense qu’une réflexion sur l’attachement aux personnages doit parvenir à inclure Walter White dans Breaking Bad, un personnage que le téléspectateurs, à la fin de l’histoire, méprise copieusement et qui n’a pratiquement aucune vertu rédemptrice, et qui reste pourtant fascinant à suivre. Richard III est un autre exemple: il est jaloux, colérique, hypocrite, déloyal, laid, envieux et pourtant il fascine le spectateur. Dans les deux cas, on comprend ce qui les anime, mais on a pourtant bel et bien affaire à deux pourris sans traits positifs.

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          2. Je ne connais pas assez Richard III, mais pour Walter White tout le travail des scénaristes est de créer l’attachement *au début* de la série. C’est là que le lien est créé. Idem avec Daenerys dans Game of Thrones : au début elle est une petite sœur opprimée, et le spectateur s’attache à elle *avant* qu’elle ne devienne une chef de guerre sans pitié.
            C’est tout le travail de l’exposition.
            Sachant que la psychologie prouve que certains traits rendent les personnages appréciés indépendamment de leur attitude (cf. mon article « les personnages qu’on aime »). Un méchant rusé, qui respecte un code d’honneur et est capable d’autodérision gagne beaucoup d’attachement, par exemple. Même s’il se conduit comme un salopard. J’ai d’autres exemples en tête, ça me donne envie de faire un post complémentaire juste avec des exemples.
            😁

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          3. Je serais très intéressé à le lire.

            On pourrait aussi réfléchir à un article consacré au concept du « revirement »: qu’est-ce qui fait que le lecteur perd son attachement à un personnage, et comment un auteur peut créer ce genre de moment-clé.

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          4. Sujet super intéressant que tu nous proposes là. Le cas des « héros » qui basculent complètement sont peu fréquents, mais ça peut aider à mieux comprendre ce sujet. Autre que Breaking Bad je pense à l’anime Death Note.
            Dans mon article « Les personnages qu’on déteste » je rappelle que le public n’a aucun souci avec la violence ou les actes illégaux… mais tant que le personnage a une bonne raison, que c’est pour « une bonne cause », et que ses victimes « le méritent ». Les héros qui basculent finissent par franchir cette limite : Walter fabrique au départ de la drogue « pour sa famille », les premiers morts de la série sont des méchants. Puis ça glisse. Idem dans Death Note : tant que le héros utilise son pouvoir pour tuer des criminels, tout va bien. Puis il se met à tuer pour se couvrir, pour ne pas être découvert. Je pense que l’une des clefs repose dans la légitimité de leurs actions aux yeux du spectateur.

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    1. Merci ! En fait, j’ai ciblé cet article sur les personnages parce que c’est le cas de « braquage » le plus fréquent de la part des auteurs, mais c’est valables pour tous les éléments du livre (univers, intrigue). Se souvenir de cela permet de s’ouvrir de nouvelles voies lors de la réécriture : oui, parfois le personnage est réellement problématique et doit être modifié ; mais non ce n’est pas la seule possibilité, et très souvent le mécontentement du lecteur vient d’une forme de quiproquo qui peut être résolu en modifiant quelques éléments du texte sans toucher à l’ADN du personnage.

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