Règle Pixar [18] : Le diable est dans les détails

You have to know yourself : the difference between doing your best and fussing. Story is testing, not refining.

Tu dois apprendre à te connaître, à trouver la nuance entre faire de ton mieux et douter de tout. Écrire c’est faire plusieurs essais, pas raffiner un unique matériau.


[Que sont les règles d’or Pixar ? C’est expliqué ICI]

Les conseils Pixar se découpent en deux catégories : ceux qui abordent des points clairement liés à la dramaturgie et la narration, et ceux qui sont plus de l’ordre de la réflexion interne, voire du développement personnel.

Ce conseil N°18 aborde le délicat équilibre à trouver entre faire de son mieux et devenir un maniaque qui perd son temps à tourner en rond sur des détails.

Il rejoint à mon sens le conseil N°8 sur le lâcher-prise.

Faire de son mieux

Écrire un livre est long et difficile. Cela nécessite des compétences diverses, dans lesquelles il nous reste toujours des choses à apprendre. Un roman, c’est un sacré paquet de signes couchés sur le papier, et à chaque relecture tu trouveras toujours un mot à changer, une tournure à modifier, une virgule à déplacer. Tout ça pour dire qu’une histoire n’est terminée qu’au moment où tu le décides ainsi.

L’instant crucial est donc ce point de bascule où tu considères que le récit est prêt à rencontrer ses lecteurs.

Le risque est double :

– d’un côté, il y a les auteurs qui publient trop vite. Ces écrivains se débarrassent de leur récit à peine démoulé et encore fumant, comme une patate chaude ; le livre n’est pas vraiment fini qu’il est déjà publié. Quelle que soit sa qualité initiale, le texte n’est pas la meilleure version dont ces auteurs étaient capables. Ils n’ont pas pris pas le temps « de mieux faire », que ce soit par flemme, par vanité, ou peut-être par crainte de ne pas aimer ce qu’ils devaient relire.

– d’un autre côté, il y a les auteurs qui ne lâchent jamais prise et mâchonnent la même histoire des années sans jamais la laisser quitter le tiroir de leur bureau. Ils la retravaillent encore et encore parce qu’ils veulent toujours faire mieux, et qu’ils y voient toujours un défaut à corriger. C’est un cercle sans fin où, pour s’autoriser la publication, l’auteur attend que son texte soit parfait : il court vers une ligne d’arrivée qui n’existe pas.

Le diable est dans les détails

Voici quelques prises de conscience qui peuvent t’aider à ne pas pousser le bouchon trop loin dans la maniaquerie.

1) Un livre est un « tout »

En tant qu’auteur tu vois ton livre comme un assemblage de centaines de milliers de signes, dont chacun est important. Le lecteur ne voit qu’un récit unique, et les détails se noient dans la masse. Lorsque tu changes un mot ou une virgule, neuf fois sur dix (999 fois sur 1000), tu ne le fais que pour toi, et personne d’autre ne s’en rendra compte.

Si lors d’une relecture de chapitre tu procèdes à une multitude de petits changements, alors sans doute ton texte mérite-t-il encore de la réécriture. Continue donc de travailler. En revanche, si tu en es au point où tu relis encore ton livre pour ne changer qu’un mot ou deux par chapitre, saches que tu travailles désormais pour rien.

C’est un peu triste à dire mais c’est la réalité : si une grosse faute d’orthographe unique peut marquer et choquer un lecteur, remplacer un terme correct par un synonyme (par exemple pour éviter une répétition) sera quelque chose que personne ne remarquera. Fin 2016, lors de la sortie du tome 2 des Mémoires du Grand Automne, j’ai publié une réédition largement modifiée du tome 1 pour en améliorer le style. Au final, il y avait l’équivalent de 10 pages de modifications, dont la suppression de paragraphes entiers. Certains de mes proches ont relu le livre à cette occasion, et tous m’ont demandé ensuite : « Mais… tu as changé quoi, en fait ? ». Même aujourd’hui, si je le parcoure, j’ai envie de supprimer un adverbe ici, de retoucher une forme passive là, mais cela n’a plus de sens.

Ce qui m’amène au point suivant.

2) Un livre est une histoire

La forme est importante, évidemment, mais une autre vérité est que les lecteurs lisent d’abord une histoire. Les changements les plus marquants seront ceux qui affectent l’intrigue et les personnages. Tant que tu ressens le besoin de modifier le déroulement du récit et que tu n’en es pas satisfait, alors fais-le. En revanche, saches que si tu en es au point de ne modifier que le style sans changer le sens du texte, ce sera la plupart du temps invisible (sauf si, comme dit ci-dessus, tu opères ces modifications à grande échelle).

Le progrès est dans la répétition

Tu souhaites écrire de bons livres ? C’est tout à ton honneur.

Mais c’est un peu comme en cuisine : tu ne peux pas retoucher éternellement un plat avant de le servir. Pour maîtriser une recette, tu n’as pas d’autres choix que de la réaliser plusieurs fois et de t’améliorer à chaque essai. Là est le sens de ce conseil Pixar : tu ne peux pas raffiner un premier roman jusqu’à le rendre parfait, ça ne marche pas comme ça. Pour écrire une bonne histoire, il faut le plus souvent en écrire plusieurs (et en écrire une deuxième, ça implique de déclarer la première « terminée »).

***

Connais-toi toi-même, aie conscience de tes prédispositions personnelles (à publier trop vite, ou au contraire à trop remâcher ton travail). Et alors, prends le temps de faire de ton mieux sans bâcler ton travail, et apprend à admettre quand les modifications que tu apportes à ton texte ne lui apportent plus de valeur ajoutée. Alors publie-le, et écris-en un autre encore meilleur.

M’enfin, ce n’est que mon avis.


« Nos conclusions, on les bâcle ou on les peaufine trop ?
– À ton avis ? »

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(7 commentaires)

  1. J’aimerais mettre l’accent sur un mot de la règle originale: « testing. » Dans la philosophie Pixar, une histoire est comme une voiture: il y en a qui marchent et il y en a qui ne marchent pas, et la mission de l’auteur est de la tester et de la modifier jusqu’à ce qu’elle fonctionne de manière optimale. Une histoire n’est pas comme un minerai dont il s’agirait d’éliminer toutes les impuretés jusqu’à arriver à une illusoire perfection (« refining »).

    Je le mentionne parce que je suis en plein dans ce genre de réflexion: la raison d’être principale des phases de relecture/réécriture, c’est de relire l’histoire et de s’assurer qu’elle fonctionne. Est-ce qu’elle est compréhensible? Est-ce que chaque personnage est à sa place? Est-ce que les motivations de chacun font sens? Y a-t-il des éléments qui ne servent à rien? Etc… On modifie des éléments jusqu’à ce que ça marche, puis on re-teste, et on s’aperçoit parfois qu’en résolvant un problème, on en crée un autre, alors on re-teste et on rafistole à nouveau jusqu’à ce que la voiture roule bien et que le moteur fasse un bruit agréable.

    C’est comme ça qu’on améliore une histoire, selon moi. Y aller à la brucelle en cherchant les petits détails qui ne fonctionnent pas, c’est prendre le risque de se perdre.

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  2. Merci pour cet article ! Pour rebondir sur le commentaire de Julien, je viens tout juste de faire l’expérience de l’importance de l’aspect « test ». J’ai fini la plus grosse partie de mes révisions suite à ma première phase de bêta-lecture, et je suis arrivée dans une phase où je n’arrivais plus à savoir si je devais continuer à modifier certains passages ou non, ce qui marchait ou ne marchait pas. J’ai pris le parti de faire une relecture complète de mon roman, sur ma liseuse pour être le plus détachée possible, et ça m’a vraiment aidée ! J’avais besoin de tester mon roman globalement, et de lever le nez des détails… J’en suis ressortie avec des idées plus claires sur ce qui a encore besoin d’être amélioré (heureusement, plus grand chose^^), et des bonnes pistes de résolution…
    C’est un article qui tombe à point pour moi^^

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    1. Oui, je pense tout à fait qu’il y a de ça dans ce conseil Pixar : comme tu le dis, lever le nez des détails, et prendre le recul nécessaire pour apprécier le fonctionnement de l’histoire. Bon courage pour les derniers ajustements ! 🙂

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  3. « Ces écrivains se débarrassent de leur récit à peine démoulé et encore fumant, comme une patate chaude »
    Moi qui suis très (trop) prosaïque, j’aurai écrit « patate » en cinq lettres. Mais je cite trop souvent Cambronne…

    En tout cas, je fais très clairement partie de la deuxième catégorie. Disons qu’il va falloir que j’admette que mes modifications chirurgicales confinent à l’autopsie. Il serait sans doute temps pour moi de poser ma brucelle et de soumettre ma prose aux éditeurs…

    C’est pas dit que j’y arrive, mais merci d’avoir relayé cette pixarerie. J’avais grand besoin de la lire.

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