Protagoniste : donne-lui le choix !

« On fait une introduction ?
— Ben… on n’a pas trop le choix. »


Une histoire tourne autour d’un protagoniste principal (ou de plusieurs) dont le lecteur va suivre les aventures. Il arrive pourtant que ces aventures soient frustrantes pour le lecteur parce que le protagoniste est trop passif, ou parce que ses décisions et actions n’ont pas de conséquences sur le récit. Dans ces livres, le protagoniste n’a pas réellement de libre-arbitre et ne fait pas vraiment de choix.

Voyons ensemble pourquoi c’est important que ton protagoniste dispose d’une marge de manœuvre et « fasse ses propres choix ».

Les histoires que cela concerne

Le sentiment de frustration que j’exprimais ci-dessus peut se manifester dans les cas suivants :

Le personnage est privé de sa liberté d’action

Ex : Le personnage se réveille près d’un cadavre, amnésique. La police arrive aussitôt et l’arrête. On l’emmène en cellule et on l’interroge. Puis un commando armé débarque et enlève le héros. Le lecteur en est déjà à un tiers du roman et le protagoniste n’a toujours pas pris la moindre décision par lui-même, ballotté par les événements comme une feuille dans une rivière.

On donne des ordres au personnage et celui-ci ne fait qu’y obéir

Ex : Le personnage est l’héritier d’une famille importante et ses parents le poussent à se marier avec quelqu’un qu’il/elle n’aime pas. Le personnage ne semble pas vraiment satisfait, mais à part grommeler dans sa barbe il ne fait rien de concret pour y échapper. Il se marie.

Le personnage fait un choix entre deux options, mais l’histoire continue comme s’il avait fait le choix inverse

Ex : Dans un monde opprimé, le personnage a le choix entre rejoindre la résistance ou quitter la ville. Il choisit de quitter la ville, mais les événements tournent de telle manière qu’au final il se retrouve à… rejoindre la résistance.

As-tu déjà joué à des « livres dont vous êtes le héros » ? Ces fameuses histoires où tu es censé avoir le choix de tes actions ? Si tu t’amuses à décortiquer la structure du jeu, tu verras que ces choix sont parfois factices. On te fait choisir entre la porte A, B ou C, mais au final ces portes finissent toutes par rejoindre un même numéro de chapitre. Quand tu le découvres, cela vide l’aventure d’une grande partie de son intérêt, puisque tous tes soi-disant « choix » mènent au même endroit.

Dans un roman, le lecteur doit avoir l’impression que l’histoire se déroule en fonction des choix du héros (grâce à ses choix, ou à cause d’eux). Sinon, ce soi-disant « héros » n’est pas un acteur de l’histoire, mais un spectateur. Ou pire : seulement la caméra – l’auteur se sert du personnage pour raconter ce qu’il se passe au lecteur, mais le personnage lui-même ne sert à rien d’autre qu’à jouer le témoin de la scène. Si le personnage n’avait pas été là, ou s’il avait été différent, l’histoire aurait eu lieu quand même de la même façon.

Pourquoi c’est important ?

Les bonnes histoires ont presque toujours des implications morales qui correspondent au fait de prendre les bonnes décisions ou les mauvaises, de faire de bons choix dans la vie, de « faire ce qui est juste ».

Si un personnage ne prend que des décisions qui semblent stupides au lecteur, mais qu’il gagne à la fin, l’histoire paraîtra n’avoir aucun sens. S’il prend des décisions censées, qu’il est irréprochable moralement et qu’il perd à la fin, le sentiment d’injustice sera trop grand pour la majorité des lecteurs. Ce qui rend un personnage intéressant, ce sont ses choix, les conséquences qui en découlent et comment il les assume. Parfois il fera les bons choix, parfois il fera des erreurs, parfois il ne saura pas s’il doit regretter ses actes ou pas. Parfois il aura ce qu’il mérite (en bien ou en mal), parfois non (par chance ou par l’intervention d’autres personnages). C’est ce mix de causes/conséquences qui donnera de la profondeur, de la chair et du sens à l’histoire.

Il est donc capital que ton personnage :

1) fasse ses propres choix et décide de ses actions ;

2) que ses actions aient bel et bien des conséquences sur l’histoire, qu’elles la créent.

Les situations à risques

Un personnage qui ne veut rien

Quel est le désir qui motive ton personnage ? Dans son livre L’Anatomie du Scénario, John Truby dresse une « hiérarchie des désirs », du moins puissant au plus puissant. Ce classement est très discutable, mais un point est clair : le plus bas sur l’échelle, c’est le basique « désir de survie ». Cela renvoie le personnage à un état animal. C’est une motivation primaire, qui a peu d’intérêt narratif. Si la seule chose que ton personnage veut, c’est ne pas mourir, de quelles natures seront ses choix ? Ce seront soit des choix évidents (« je reste bêtement devant le monstre à ne rien faire ou je m’enfuis ? »), soit des choix sans conséquences narratives (le personnage fuit pour ne plus être en danger, mais évidemment il sera de toute façon bientôt en danger de nouveau, etc.).

Un personnage qui n’a pas les compétences en lien avec les obstacles rencontrés

« Avoir le choix », cela signifie « avoir le pouvoir d’agir ». Si ton personnage n’a pas le caractère ou les compétences pour agir face aux obstacles du livre, ses choix se réduisent comme peau de chagrin : il sera condamné à ne rien faire ou à se reposer sur d’autres personnages plus doués qui surmonteront les problèmes à sa place (et ce n’est jamais bon). Si c’est un récit à propos de magie, fais de lui un magicien. Si c’est un récit d’action, fais-en un personnage d’action. Si c’est un récit de journalisme, place-le dans le domaine des médias. Sinon, tu seras obligé de lui accoler un magicien, un soldat ou un journaliste pour lui faire surmonter les problèmes « qui comptent vraiment » dans le récit.

Un auteur qui se perd dans son exposition

Parfois, l’auteur veut tellement mettre l’accent sur une situation qu’il en oublie le protagoniste. Il est si concentré sur son exposition qu’il se sert du personnage comme d’une caméra pour raconter la scène au lecteur, mais le personnage garde une attitude de potiche ; il voit ce qu’il se passe, mais n’agit pas. Le plus souvent, ce point est lié aux deux autres risques ci-dessus : si le personnage arrive dans une nouvelle ville, qu’il ne veut rien de spécial et n’a pas de talent particulier, l’auteur passera plusieurs chapitres à nous exposer la ville sans que le personnage n’y agisse vraiment. Le lecteur s’ennuie. Alors que si le personnage est là pour chercher quelqu’un, l’exposition pourra se faire au travers des actions que mène le personnage pour retrouver ladite personne.

Un auteur qui ne veut pas que le personnage résolve le problème

Parfois, si le personnage ne fait rien, c’est parce que cela arrange l’auteur. S’il agissait, il résoudrait un problème critique pour la tension de l’histoire, alors l’auteur fait en sorte que le personnage retarde son action et n’agisse pas vraiment. Cela est fréquent dans les intrigues policières, où le héros trouve un indice capital mais néglige de s’en occuper pour faire autre chose de moins important.

Un auteur amoureux de ses personnages secondaires

Plus fréquemment que ce qu’on croit, l’auteur se trompe de protagoniste principal. Il en invente un, mais au fur et à mesure qu’il développe son récit et ses autres personnages, il centre en fait l’intrigue autour d’eux (j’ai lu un nombre incroyable de manuscrits où le « vrai » héros du récit était en fait le compagnon de voyage du prétendu protagoniste principal). Dans ces histoires, ce sont donc les autres personnages qui font tous les choix importants et qui ont vraiment un impact sur le récit. Le soi-disant protagoniste n’est que leur faire-valoir.

Comment faire ?

Afin de limiter les risques de tomber dans le panneau, veille donc aux points suivants (tu verras, rien de bien nouveau, on en a parlé cent fois sur ce blog) :

Premièrement : donne des objectifs clairs au personnage. Il doit vouloir quelque chose. S’il ne veut rien de spécial, il risque fort de se laisser porter par l’histoire plutôt que de la provoquer et d’en prendre le contrôle. C’est parce qu’il souhaite quelque chose que l’histoire se lance, parce qu’il agit pour l’obtenir qu’elle se développe, parce qu’il l’obtient (ou pas) qu’elle se termine.

Deuxièmement : donne assez de compétences au personnage pour qu’il puisse agir et ainsi être le moteur du récit. Il n’a pas besoin d’être un super-héros : il faut juste qu’il ait « ce qu’il faut » pour ne pas être obligé de rester les bras ballants face aux situations.

Si jamais, à la lecture de ces deux conseils, tu réalises que ton protagoniste actuel n’a ni objectifs ni compétences, prend un peu de recul : es-tu sûr(e) que ce personnage est le « bon » protagoniste principal pour ton récit ?

Troisièmement : crée des obstacles qui peuvent être confrontés de plusieurs façons, afin qu’ils n’appellent pas de solution unique et que les choix du protagoniste révèlent des choses sur lui et aient des implications différentes selon les cas. Sinon, ce ne sont pas vraiment des choix. Garde à l’esprit que les obstacles à dilemmes sont plus intéressants que les obstacles infranchissables.

Rappel : fais en sorte que ce soit bien le protagoniste qui franchisse l’obstacle (il peut être aidé de quelqu’un d’autre, mais au final ce doivent être ses efforts et ses décisions à lui qui permettent de surmonter l’épreuve).

Enfin : assume les conséquences de ses choix. On ne crée par une intrigue de A à Z sans personnages avant d’y placer le héros en guise de simple spectateur. C’est lui qui, par ses choix, façonne l’intrigue. Ses choix doivent compter.

Tout cela est important « tout le temps » mais encore plus :

  • au début, lors de l’événement perturbateur du récit : les meilleurs débuts d’histoire sont ceux où c’est le choix du personnage qui lance l’aventure, où sa décision fait basculer sa vie.
  • lors du climax : les meilleures fins sont celles où c’est un choix du personnage qui clôt le récit, où une décision cruciale fait basculer sa réussite d’un côté ou de l’autre. S’il est inactif, s’il n’a rien à faire ou si c’est un autre personnage qui résout le climax, c’est à se demander pourquoi c’est lui le héros du récit.

Dans un monde où l’on parle de plus en plus de libertés individuelles, où les gens cherchent à reprendre le contrôle de leurs vies pour y donner plus de sens, ces notions devraient être aisées à acquérir pour les dramaturges. Personne n’a envie de s’identifier à un protagoniste qui ne décide rien de lui-même et reste passif face aux événements. Libère tes personnages : donne-leur le choix de leurs actions et fais en sorte que ces choix comptent. Ce n’est qu’ainsi que tu créeras du sens à leurs histoires.

M’enfin, ce n’est que mon avis…


« Et donc, la conclusion ?
— Nope. Toujours pas le choix. »


(13 commentaires)

  1. Ce qui est vexant avec tes articles, c’est qu’à les lire ils sonnent comme des évidences tout à fait basiques… Mais je me rends compte que mon histoire n’intègre encore que très imparfaitement ces « évidences » 😉
    Je trouve très intéressant le point sur les compétences. J’ai voulu avoir une héroïne active et déterminée mais c’est vrai qu’elle justifie souvent ses actions en disant ne pas avoir le choix et en s’appuyant sur d’autres personnages.
    Je vais garder cet article ouvert et y réfléchir. Merci 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. Attention : la question n’est pas de savoir si elle se justifie ainsi ou pas, mais de savoir si c’est vrai. L’intérêt des choix est qu’ils nous révèlent *qui* est vraiment le personnage. Un personnage qui prétend ne pas avoir le choix (alors que d’évidence, il en a d’autres qu’il feint d’ignorer) c’est intéressant. Mais si en effet le personnage n’a pas le choix *pour de vrai* cela signifie que n’importe quel protagoniste agirait comme lui. Et alors, quel est l’intérêt du personnage si on peut le remplacer par n’importe qui ?
      Bonne réflexion ! 😉

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