La gentille technique contre le grand méchant romantisme

« C’est un conte de Noël ?
— Je ne crois pas, non.
— Dommage, le titre était d’enfer. »

En ce 24 décembre et dernier post de l’année 2021, cet article dévie (un tout petit peu) de la ligne éditoriale à laquelle ce blog s’astreint généralement – mais pas tant que cela, puisque j’y  parle d’écriture et de son aspect technique… et t’exprime en quoi cette technique (si souvent décriée) te permet de lutter contre les effets néfastes du romantisme littéraire. Tout un programme.

Dramaturgie et narration

C’est un choix personnel pour ce blog que de me concentrer sur deux aspects de l’écriture : la dramaturgie d’une part, et les différents aspects de la narration d’autre part (je t’ai expliqué pourquoi dans l’article « Apprendre à écrire : à quoi s’intéresser vraiment ? »). Les réseaux sociaux s’écharpent régulièrement sur le fait qu’il y ait ou pas des « méthodes » d’écriture, ou du fait que chaque écrivain doive trouver la sienne. Comme souvent, les mots impropres renvoient à des débats stériles : non, il n’existe pas de « méthode » pour écrire un bon livre, pas de procédure générale ; ce serait comme demander s’il existe une recette pour « cuisiner un bon plat ».

En revanche, il existe tout un ensemble de savoir-faire techniques, des compétences à acquérir, tout comme la peinture peut nécessiter de maîtriser les perspectives ou le travail de la lumière ; tout comme la musique peut nécessiter de connaître des bases d’harmonie, du solfège ou du solfège rythmique ; tout comme en cuisine il est très différent de vouloir cuire une viande à la poêle ou du poisson au four.

L’écriture, ça s’apprend, mais c’est très long car il y a un nombre invraisemblable de choses à maîtriser pour produire un bon texte.

Technique vs Romantisme

Au-delà du fait de penser que c’est la vérité, je crois que voir l’écriture comme « un (large) ensemble de compétences » a plusieurs avantages, et en particulier celui d’écailler le vernis de romantisme qui recouvre la création littéraire, et qui est responsable de tant de souffrances chez les auteurs novices. Un débutant guitariste sait bien qu’il ne sera pas en concert au Stade de France l’an prochain ; or, la plupart des débutants écrivains espèrent bien que leur premier roman sera sans faille.

L’éditeur David Meulemans me disait déjà (il y a sept ou huit ans de cela) « le monde du livre perd ses nuances, il n’y a plus de gris ». Tout est noir ou blanc, qu’on parle des gens ou des œuvres. Ce livre ? Il est génial et c’est une pépite (cinq étoiles) – sinon, « c’est nul » et ne vaut pas la peine d’être lu. Il en va de même pour les auteurs en personne, d’ailleurs : untel est fantastique et tu peux lire tout ce qu’il a écrit les yeux fermés – sinon, bloque-le sur Twitter (et j’exagère à peine).

En conséquence, il n’est pas étonnant que les auteurs intègrent cela en eux :

  • Leurs attentes envers eux-mêmes sont trop élevées : leurs textes et eux-mêmes se doivent d’être parfaits, sinon ils ne méritent pas d’exister.
  • La moindre remarque ou critique – puisque remettant en cause cette perfection – devient synonyme de « c’est nul ». Les auteurs sont incapables de les entendre, et donc de travailler sur ces défauts, et donc de s’améliorer.

C’est d’autant plus prégnant chez les auteurs qui rejettent l’existence des aspects techniques de l’écriture : ceux-ci croient en quelque chose qu’ils nomment « le talent », quelque chose d’inné qui ne peut pas s’acquérir. Si jamais ils acceptaient que leurs histoires aient des défauts, ce serait pour eux quelque chose d’irrémédiable.

La technique, elle, te remet les pieds sur terre. Si tu considères l’écriture comme tous les autres arts et artisanats – pour lesquels il te semble évident qu’on ne peut pas devenir bon sans y travailler sérieusement quelques années – alors la perspective change. Ce n’est pas plus facile, mais c’est (émotionnellement) bien moins douloureux.

M’enfin, ce n’est que mon avis.

Image d’auteur et avantage des blogs

L’expérience de ces sept dernières années sur Twitter prouve que je ne suis pas spécialement très doué pour donner de moi une bonne impression sur les réseaux : pas assez de smileys, trop direct et pragmatique, trop de flemme pour caser systématiquement « mais ce n’est que mon avis » à chaque message posté comme je le copie-colle en fin de chaque article ici. Je crois que j’en ai vexé, des gens (pardon).

Heureusement, c’est l’avantage des blogs : un blog, ce n’est pas intrusif, les gens ne voient pas débarquer ma prose devant leurs yeux sans l’avoir demandé. Celles et ceux que ça intéressent viennent, les autres non, et c’est très bien ainsi. Merci à toutes et à tous, vous qui étiez plus nombreux à venir ici cette année que l’an dernier (j’ai la chance de pouvoir répéter ça tous les ans depuis sept ans).

  • Je continuerai en 2022 à parler d’écriture, et toujours au prisme de ses aspects techniques ; je n’ai aucune « méthode » à proposer, pas de coaching à vendre, pas de solution miracle à l’équation « qu’est-ce qu’un bon livre ? »… mais j’ai un apprentissage infini à poursuivre et à traduire sous forme d’articles ici. N’hésite pas à glisser en commentaire des sujets qui t’intéressent particulièrement !
  • J’essaie de limiter mes interventions sur les réseaux sur ces aspects-là (avec un succès très relatif, pour l’instant ;)) : c’est terrible que certaines personnes soient tant sur la défensive dès qu’on parle de leurs écrits, mais c’est tout à fait normal (c’est le milieu, la culture et l’éducation qui nous enseignent ce « romantisme littéraire », hélas – et, comme dans une secte, les croyants propagent à leur tour le message à grands renforts de « n’écoute rien ni personne, il n’y a que toi qui sait »).

J’espère que toi, de ton côté, tu as appris plein de choses intéressantes en écriture cette année ici ou ailleurs, que tu as bien avancé sur tes projets, que tu as lu des livres super. Je ne doute pas que d’autres bouquins arrivent sous le sapin. Je te souhaite une excellente fin d’année et de joyeuses fêtes, et te donne rendez-vous ici en janvier pour continuer à causer dramaturgie et narration.

Stéphane.

PS : pour celles et ceux qui s’intéressent à mes projets persos, je mets désormais à jour ma page auteur régulièrement pour évoquer ceux dont j’ai le droit de parler 😉

(8 commentaires)

  1. Il y a ici beaucoup de choses qui gagnent à être rappelées, et tu le fais avec élégance, même si je crains que cela ne suffise pas à convaincre celles et ceux qui profiteraient le plus d’entendre ce message.

    Au delà de l’effet de la figure romantique de l’écrivain transporté par une inspiration mystérieuse et indicible, j’ai aussi l’impression qu’une partie de la résistance à l’aspect technique de l’écriture provient d’un solipsisme adolescent. Une partie des autrices et auteurs qui s’expriment en ligne sont jeunes, ou en construction, et semblent vite déstabilisés par tout avis différent du leur. Lorsqu’on leur suggère de se pencher sur les règles de la narration ou de la construction d’une intrigue, on a parfois l’impression d’être un chat qui renverse imprudemment un château de cartes. C’est dommage parce que s’intéresser à la technique les aiderait justement à renforcer leur confiance en eux, selon moi.

    Aimé par 1 personne

    1. C’est l’avantage du blog : ici je m’adresse surtout à celles et ceux que les techniques d’écriture intéressent (et j’y suis donc bien moins contredit que sur Twitter 😉).
      Ta remarque est pertinente et je suis d’accord. Apprendre la technique derrière une pratique est le meilleur moyen d’acquérir de la confiance en soi, tout simplement parce que peu à peu « on sait ce qu’on fait » et on se débarrasse lentement du subjectif pour un peu plus d’objectif.

      Aimé par 1 personne

  2. Bonjour Stéphane,
    Merci pour ce message qui (re)met les points sur les i technIques et romantIques.
    Merci surtout pour tous vos posts qui me sont très utiles. Je lis avec grand plaisir que vous nous en concoctez pour l’an prochain.
    Pour l’année prochaine (et toutes les autres :-), je vous souhaite tous les bonheurs d’écrivain !

    Aimé par 1 personne

  3. Bonjour, Stéphan!

    Je te souhaite un joyeux temps des fêtes, rempli de santé et de joie (avec un peu d’argent, c’est toujours utile^^)!

    Je laisse rarement des commentaires, mais j’adore ton site. Je l’ai découvert que cet été. Bon sang ce que j’aurais aimé le découvrir plus tôt! Merci pour toutes ces explications et ces cas pratiques! J’ai appris plein de choses et je peux retravailler mes toutes premières histoires sans devoir y revenir mille fois. Maintenant, je vois beaucoup mieux ce que je dois travailler pas juste « y a quelque chose qui ne marche pas et je ne voie pas ce que c’est». Je peux enfin mettre des mots sur mes problèmes et avoir une explication pour travailler sur ce qui accroche.

    Je suis contente de la découverte de ce site qui arrivait justement après que j’ai envoyé un manuscrit (on m’a refusé, mais on m’a expliqué ce que je devais travailler, et ça, c’est génial. Sinon comment on peut s’améliorer?) et avec ce site j’ai pu en faire les modifications et le rendre plus intéressant. Dire que quand je l’avais envoyé j’étais sur que c’était une histoire focalisée, alors que c’était un mélange avec omniscient et même avec une focalisation distante.

    Bon je vais m’arrêter là, j’ai une recette à terminer.

    Joyeux Noël!

    Et au plaisir de te relire l’an prochain!

    Aimé par 2 personnes

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