Magie : Les Trois Lois de Brandon Sanderson (2/3)

Un auteur en littérature de l’imaginaire est plus qu’un écrivain : il est aussi créateur d’univers. Il imagine des mondes dans lesquels le surnaturel et la magie ont souvent une place de choix. Mais comment créer une bonne magie pour son roman ? C’est la question que s’est posée l’auteur américain Brandon Sanderson il y a de nombreuses années de cela. Ses réflexions l’ont amené a rédiger trois essais, correspondant à trois « lois » qu’il essaie de suivre quand il créé ses magies. Or, non seulement ces essais sont très pertinents, mais en plus ils s’appliquent à l’ensemble du worldbuilding d’un univers de fiction, et pas seulement à la magie.

Cet article présente un résumé de la deuxième loi de la magie de Brandon Sanderson. En bas de page, des liens permettent d’accéder à l’essai original (en anglais) ainsi que de télécharger une adaptation française de mon cru.

Rappel de la première loi :

« La possibilité pour l’auteur de résoudre un conflit par la magie est directement proportionnelle à la manière dont le lecteur comprend cette magie. »

La Deuxième Loi

La deuxième loi est très intéressante également, car elle prend à rebrousse-poil plusieurs réflexes créatifs que nous pouvons avoir lorsque nous imaginons des univers fictionnels. En particulier, lorsqu’un auteur invente des pouvoirs surnaturels, il se focalise généralement sur la question suivante : « Qu’est-ce que ce pouvoir permet ? ».

Or, Brandon Sanderson définit sa deuxième loi ainsi :

« Les contraintes sont plus importantes que les capacités. »

Ce qui signifie : lorsque l’on travaille à un système de magie, réfléchir à ce que la magie ne peut pas faire est souvent plus important que de définir ce qu’elle peut faire.

Il est difficile pour les auteurs de créer des pouvoirs vraiment novateurs, que personne n’avait imaginés jusqu’ici. De nombreux héros d’histoires différentes ont des capacités qui se ressemblent, d’un livre ou d’un film à un autre. Certains pouvoirs se retrouvent parfois à l’identique dans de très nombreux récits. Alors qu’est-ce qui rend ces personnages uniques en dépit de capacités similaires ? Ce sont plus souvent leurs faiblesses que leurs capacités.

Pas d’innovation sans contraintes

D’une façon très générale, l’article La technique bride-t-elle la créativité ? évoquait déjà cet aspect de la création : il n’y a pas d’innovation sans contraintes. Le conseil de Sanderson est donc de réfléchir à sa magie par l’autre bout du spectre, en se focalisant sur ses contraintes plutôt que sur ses capacités. Il en liste plusieurs catégories.

1) Les limites

Le personnage peut courir très très vite ? D’accord, mais jusqu’à quelle vitesse peut-il courir, exactement ? Quelle est la vitesse qu’il ne peut pas atteindre ? Quelle est sa limite ?

Exemple : Dans la plupart des histoires où le héros est capable de se téléporter, il ne peut pas se rendre n’importe où. Souvent, il ne peut se transporter que dans des endroits qu’il connaît déjà. C’est une limite de ce pouvoir.

2) Les faiblesses

Est-ce que l’utilisation de ces pouvoirs présente des inconvénients ? Peut-être que le pouvoir a un effet néfaste sur le personnage, ou induit des effets secondaires ? Est-ce que cela le rend plus faible, dans certains cas ?

Exemple : Dans le manga One Piece, un pirate qui mange un fruit du démon obtient une capacité extraordinaire, un pouvoir spécial. Mais en contrepartie, dès qu’il tombe à la mer, il perd toutes ses forces et coule comme une pierre. C’est une faiblesse liée à ce pouvoir.

Exemple : Dans Le Seigneur des Anneaux, Frodon peut glisser l’Anneau unique à son doigt pour devenir invisible de tous… ou presque, car lorsqu’il le met, il devient visible par Sauron en personne.

3) Les coûts

Est-ce qu’il faut payer un prix pour pouvoir utiliser la magie ? Si oui lequel ? Le personnage a-t-il besoin d’ingrédients spécifiques (souvent rares ou chers) ? Puise-t-il dans son énergie personnelle ? Doit-il verser son sang, ou accomplir un rituel long ou compliqué ?

Exemple : dans la série Darker Than Black, les pactisants souffrent de troubles obsessionnels compulsifs qui se déclenchent à chaque fois qu’ils utilisent leur pouvoir. Chaque pactisant « paye » son pouvoir en accomplissant une action spécifique qui lui est propre. Certains doivent corner toutes les pages d’un livre, manger un œuf ou fumer une cigarette. D’autres doivent se briser un doigt ou boire du sang d’enfant. C’est un coût à payer pour l’usage de ce pouvoir.

4) Autres contraintes ?

Afin de trouver d’autres façons originales de contraindre la magie, Brandon Sanderson propose de s’interroger sur différents sujets. Par exemple, d’où vient la magie ? De quelle façon acquiert-on des pouvoirs dans cet univers ? Faut-il être issu d’une certaine lignée ? Ne peut-on se servir d’un pouvoir qu’à une certaine fréquence (par exemple une seule fois par jour) ou à une certaine heure ? Peut-on l’utiliser n’importe où ou seulement dans certains lieux dédiés ? Etc.

Exemple : Dans l’anime Seven Deadly Sins, le personnage d’Escanor est associé au soleil. Sa puissance est liée à la position du soleil dans le ciel, et s’il devient d’une puissance quasiment sans limite à midi (soleil au zénith), il est ridiculement faible la nuit.

Plus de difficulté = plus d’intérêt

Brandon Sanderson argumente que les auteurs ont tendance à se servir de la magie comme un moyen pour leurs personnages de résoudre leurs ennuis, alors qu’il s’agit surtout d’un bon moyen de leur poser des problématiques intéressantes. Créer des contraintes à l’usage de la magie a plusieurs avantages :

  • Cela oblige les personnages à lutter pour obtenir ce qu’ils veulent ;
  • Cela créé de la tension, car l’usage de la magie est d’emblée définie par ses difficultés ;
  • Cela force l’auteur à approfondir à la fois son univers et ses personnages.

Une loi générale de worldbuilding

Comme pour sa première loi, Brandon Sanderson souligne que ce qui est valable pour la conception de la magie est valable pour tout le reste, comme la technologie fictionnelle ou encore la création de personnages. Ce qu’un personnage ne sait pas faire (ou ne veut pas faire) est souvent plus caractérisant que ce dont il est capable. D’une manière encore plus générale, réfléchir à ce qu’on ne peut pas mettre (ou ce qu’on ne veut pas mettre) dans notre histoire est souvent une bonne aide pour développer une intrigue. Réfléchir en termes de contraintes aide à déployer des éléments plus originaux (j’aime à dire « plus spécifiques ») et plus profonds.

M’enfin, ce n’est que mon avis (et celui de Brandon Sanderson).


L’essai de Brandon Sanderson (deuxième partie) :
Version originale (anglais)
Adaptation française (huit pages)

Les autres lois :
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (1/3)
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (3/3)

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