« J’écris de la fantasy.
— Ah, le truc avec les dragons et les elfes, là ? »
Les articles du genre « X conseils pour écrire de la fantasy » fleurissent sur internet. Un ami m’en a fait passer un récemment, et m’a demandé « c’est ce que tu écris non ? Quels sont tes conseils, à toi ? ».
J’y ai réfléchi, prêt à écrire une thèse. Et puis je me suis rendu compte que, finalement, mes suggestions étaient peu nombreuses et très simples.
1) Pas d’elfes
Il ne me viendrait jamais à l’idée de prénommer l’un de mes personnages Gandalf ou Aragorn, de même que vous tiqueriez à la mention d’une contrée s’intitulant Mordor. Et pourtant, cela ne choque personne de retrouver des elfes, nains, gobelins et autres trolls dans une proportion gigantesque (et un peu alarmante) des récits de fantasy. Ce n’est pas Tolkien qui a inventé les elfes, d’accord. Que ce soit une tradition pour le genre de prendre racines dans les mythes et légendes, soit. Mais nous sommes des auteurs en littérature de l’imaginaire ! Ne pourrions-nous pas faire preuve d’un petit peu… d’imagination ? Personnellement, si une quatrième de couverture mentionne l’un des mots clefs précités (ou encore les termes dragons, mages ou sorciers), je repose l’ouvrage sur son rayonnage illico. Non pas que ces livres soient forcément mauvais, et des écrivains talentueux se débrouillent fort bien pour nous divertir encore (et encore, et encore) avec des elfes. Mais il ne faut pas s’étonner que les éditeurs fatiguent et refusent poliment de nouvelles sagas de fantasy : des comme cela, ils en ont déjà tout un stock en attente dans leurs comités de lecture. Le genre « fantasy » est extrêmement vaste et libre, on peut y faire n’importe quoi. Donc, règle N° 1 : pas d’elfes.
2) Du merveilleux
J’utilise sciemment ce terme de « merveilleux » plutôt que celui de « magie », car ce dernier est trop souvent pris au pied de la lettre. Pour qu’il y ait fantasy, surnaturel et extraordinaire sont requis. Il faut des choses qui ne peuvent exister dans notre monde réel. La magie est un bon exemple, et auteurs comme lecteurs, nous aimons cela (moi le premier). Sauf que créer une guilde de sorciers n’est pas l’unique moyen d’implanter du merveilleux dans nos univers. La fantasy nous permet n’importe quoi ! Alors cherchons ensemble, à chaque livre écrit, à varier les possibilités. Regardons plus loin que le bout de notre baguette, de notre bâton de mage, de notre incantation de sortilège. Il n’est même pas obligatoire que les personnages puissent faire usage de ce « merveilleux ». Ce dernier peut transparaître dans l’univers et dans les lieux, ou dans les animaux (et avec autre chose que des dragons). Le succès de la série de L’Assassin royal de Robin Hobb tient en partie au fait que la magie y est abordée d’une façon différente de ce qu’on peut voir ailleurs (le Vif et l’Art). C’est en tout cas avec cet argument qu’un ami me l’a conseillé à l’époque, et la raison pour laquelle je m’y suis plongé avec autant de délices (c’est juste dommage qu’il y ait des dragons :p).
3) Technologie et société adaptées
À moins d’un choix conscient et volontaire (comme l’univers de Shadowrun qui mélange cyberpunk et elfes), la fantasy propose d’ordinaire des mondes aux technologies limitées, le plus souvent afin de renforcer l’impact du merveilleux (1). Ainsi, même avec un récit un peu atypique et inclassable, on catégorisera automatiquement un roman en « fantasy » s’il y a une technologie relativement faible associée à des éléments « magiques ». Mais ce n’est pas parce qu’on écrit de la fantasy qu’on doit se réduire au médiéval fantastique ! Nous ne sommes pas cantonnés aux technologies qui ont existé sur Terre dans notre passé. Une bonne piste à suivre, lorsqu’on a décidé des aspects merveilleux de notre univers, est de déterminer en quoi ils influencent la vie quotidienne des personnages (aspect technologique, mais aussi sociétal et culturel). Si éléments extraordinaires il y a dans notre monde, ils ont forcément un impact sur le développement des peuples. Un autre principe à garder en tête est de se rappeler que le progrès technologique dépend beaucoup des matériaux à notre disposition, ou des lois de notre physique : si on crée un nouveau matériau, si on modifie une loi, on s’ouvre des champs de possibilités gigantesques, qui ne sont en rien réservées à la science-fiction.
Voilà mes conseils ! Cela fait un peu « ode à l’originalité », alors que je me tue à dire à mes étudiants en scénarisation que l’originalité en elle-même ne doit pas être un objectif. Mais détrompe-toi : ce n’est pas l’originalité que je motive ici, c’est l’appropriation du genre. C’est rappeler qu’en littérature de l’imaginaire, par définition, TOUT est possible, et que dans ce « tout », chaque auteur a largement de quoi nous présenter quelque chose qui lui est personnel. Son univers. Il n’y a ni dragons, ni sorciers dans La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, et son monde est créé sur mesure pour son histoire. Il n’y a ni elfes, ni guildes de mages dans le cycles Rois du monde de Jean-Philippe Jaworski, et il nous y présente une culture celtes méconnue. Nous n’avons peut-être pas leurs talents, mais on peut au moins garder ces grands principes en tête quand nous créons :
1) Pas d’elfes ;
2) Du merveilleux (pas forcément de la magie) ;
3) Une technologie et une société adaptées ;
4) Pas de putain d’elfes !
(1) « Regarde, je peux illuminer l’extrémité de mon bâton de mage afin de nous guider dans ce donjon obscur.
— Moi, j’ai une lampe torche. »
C’est clair net et précis. Il ne manque que l’idée, mais bien sûr elle va venir !
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Le truc, c’est de ne pas forcément chercher une « idée de fantasy », mais plutôt de dire « tiens, ce thème-là (cette situation-là / ce personnage-là), qu’est-ce qu’il donnerait en fantasy ? ».
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Oh ! ça alors ! C’est dingue, on dirait que tu as formulé ce que j’avais en tête depuis des années ! ça fait 3 ans que je bosse sur un scénario merveilleux mais sans êtres bizarres (un ptit peu) ni magiques, dans notre société moderne ! Bon, et en plus là tu viens de me donner pas mal d’exemples de lectures, et de me donner envie de lire tes bouquins, qui semblent correspondre à mes attentes… Super contente. Bon je passe au prochain article (bruitage de frottage de mains).
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Pour les idées de lecture : pour ce qui est de la fantasy française, on ne peut pas passer à côté de « La horde du Contrevent » ou des ouvrages de Jaworski. Indispensables. Attention cependant, ce ne sont pas des lectures faciles (très littéraires).
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Oui… mais j’adore les dragons :3
Après, je suis totalement d’accord que pour un domaine où tout est permis, beaucoup d’œuvres ne se permettent pas grand chose. Ce n’est pas que je veuille de l’original, j’aime les dragons et les elfes, mais je veux quelque chose de propre à l’univers, d’intrigant, de pertinent, pas d’une notion rapporté d’autre chose, parce qu’on a l’impression que ça fait parti des « impératifs » de la fantasy… Donc, à mon humble avis, des elfes, peut-être, mais pas les elfes de Tolkien! Que ce soit des créatures différentes, avec une logique propre, qui éventuellement, fera penser à des elfes. Que l’idée de base, la cohérence du monde et l’intérêt de l’histoire passe avant le « tient je vais mettre des elfes » …
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Nommer « elfes » des créatures qui sont « différentes » des elfes qu’on connaît, qu’est-ce, sinon une sorte de détournement marketing (on garde le nom pour faire vendre, mais on prétend que c’est différent pour se dédouaner de toute accusation de plagiat) ? Quitte à créer de nouvelles créatures, autant aller jusqu’au bout et les baptiser de leur nom propre, non ? Et si c’est pour utiliser des elfes « tel quel », il faut vraiment que ce soit approprié à l’histoire et au thème à traiter… ce qui est rarement le cas. Mais ce n’est que mon avis 😉
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Alors je me permets d’intervenir ! Les elfes, pour moi, sont ces créatures quasi-merveilleuses, proches des naïades et autres nymphes. Des êtres supérieurs, délicats, intelligents, et BEAUX COMME DES DIEUX (pardon je m’emporte). Avec une caractéristique fondamentale : leurs oreilles en pointe. Maintenant, à partir de cette définition très sommaire et sans doute très subjective, je pense qu’on peut incorporer de tels êtres dans un récit fantasy sans pour autant vomir du cliché. On peut les transformer en elfes de la nuit, pourquoi pas des pierres, des nuages, … jouer avec leurs faiblesses (trop sensibles, trop empathiques, ou orgueilleux, puristes,… ce qui pourrait mener à leur extinction)… Après, je t’accorde tout à fait qu’il y a sans doute plus intéressant à faire, des contrées infinies de l’imagination à explorer qu’il serait dommage de négliger…
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Bonjour et merci pour ton commentaire ! 🙂
L’important est de savoir ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Le souci principal des elfes, c’est que les auteurs qui s’en servent le font essentiellement parce qu’ils sont fans des elfes, et non parce que leur histoire en a besoin.
Après, tout est toujours possible, mais c’est toujours l’éternel paradoxe et le même débat : pourquoi utiliser les créatures que d’autres ont inventées au lieu d’inventer les siennes propres ? Et si tu veux en faire des créatures plus personnelles, pourquoi ne pas leur trouver un autre nom que « elfe » ?
Parce qu’à un moment donné, est-ce que des « elfes des pierres » sont toujours des elfes ?
Ma règle « pas d’elfe » a plutôt un fond humoristique (comme ce post dans son entier), mais j’encourage surtout les auteurs à réfléchir à ce qu’ils font, pourquoi ils le font, et quels sont leurs objectifs. Et après, ce n’est que mon avis.
🙂
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Je viens de découvrir ton blog et notamment cet article qui m’a fait les yeux doux puisque je me suis lancé dans l’écriture d’un roman de fantasy et je ne peux être que d’accord avec toi!
Dans mon histoire, il n’y à pas d’elfes, de mage, ni de magie. Comme tu le dis, si ces éléments sont présents il faut arriver à amener quelque chose de nouveau, un autre vision. Si on n’y arrive pas, bah c’est que c’est pas une bonne idée!
En tout cas quelque chose me dit que je vais passer pas mal de temps dans le coin! 😀
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Tu es le bienvenu ! Bonne visite et à bientôt 😉
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Bonjour cher Stéphane, j’ai découvert ce matin ton blog qui est une véritable pépite. Un grand bravo et merci pour tous ces conseils que je découvre avec de plus en plus d’intérêt. Tu cites en plus mes livres favoris (Gagner la guerre et ses nouvelles qui sont incroyables, la horde du Contrevent, l’assassin Royal, Kvothe, …). En plus tu réponds à bcp de questions que je me pose en ce moment avec une grande justesse. Bravo bravo je vais acheter très vite le premier de tes livres. Bien cordialement
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Que ce genre de commentaire fait plaisir ! Merci et bienvenue, Raphaël. À très bientôt par ici. N’hésite pas à commenter, je prends toujours le temps de répondre aux visiteurs. A+ !
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Top merci beaucoup pour ta réponse rapide, quelle réactivité !
Tu parles de logiciels d’aide à l’écriture.
En recommanderais tu un en particulier ?
Merci d’avance.
J’ai acheté hier Le Déni du Maître-sève, je le commence asap 😉
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Tout dépend ce que tu cherches, mais un outil comme Antidotes est un incontournable pour le temps qu’il fait gagner (et si tu es intéressé par les articles focus et les stats d’écriture, c’est irremplaçable). Après il existe d’autres logiciels d’écriture qui aident plutôt à gérer tes projets d’écriture, du payant Scrivener (très connu) au gratuit mais pratique Scribbook. Je ne suis pas un expert, Word et antidote me suffisent, mais il existe plein d’articles sur le sujet. 😊
Bonne lecture !
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