La fin du début

« Tu as commencé à bosser sur le tome 2 ?
— Oui, il y a quelques semaines.
— Tu en es à combien de pages ?
— Je n’ai pas écrit une ligne. »


J’ai participé cette année à l’excellent atelier virtuel d’écriture DraftQuest, animé par le très sympathique David Meulemans. J’ai ainsi échangé avec de nombreux autres auteurs, et découvert avec stupéfaction que tout le monde ne créait pas comme moi.

Il semble que je sois ce qu’on appelle un auteur « architecte » : fidèle à mes mentors de table de chevet comme Lavandier ou Truby, je ne débute la rédaction d’un récit qu’après un long et minutieux travail préparatoire. Lorsque je formule ma première ligne, je sais très bien vers quelle fin se dirigera mon histoire, et par quelles grandes étapes elle transitera. À mon sens, auteur, c’est le cumul de deux métiers distincts : scénariste, et écrivain. On peut être très bon dans une discipline et médiocre dans l’autre, ou vice versa. En ce qui me concerne, je suis d’ailleurs scénariste avant d’être écrivain. Je planifie d’abord, je mets en forme ensuite : dans quel film le réalisateur lancerait-il la caméra face à des comédiens sans script en criant : « ça tourne ! Allez-y, improvisez, on gérera tout au montage ! » ? (1)

Or, il semble qu’il existe une autre caste d’auteurs : celle des « jardiniers ». Eux « laissent pousser », et taillent après. Ils se lancent dans la page blanche comme on part à l’aventure, s’embarquant sans carte, sans boussole et sans prévision météo. Ils découvrent leurs personnages en route, se laissent porter par les courants de l’intrigue, et voient bien où ça les mène. Je pensais que ceux qui œuvraient ainsi étaient simplement des écrivains en manque de compétence, un peu naïfs et grandement inconscients. Pourtant, ils sont nombreux à agir de la sorte, et si certains se perdent effectivement en mer, il semblerait que d’autres reviennent au port avec de sacrées belles histoires.

Je ne comprends toujours pas comment ils font, et j’avoue que je persiste à douter quand ils prétendent avoir improvisé leur chemin depuis le début. « Ce roman de 600 pages ? Oh, je suis parti sur un truc au feeling, je ne savais pas trop où j’allais, je me suis laissé porter par mon instinct. Je ne m’attendais vraiment pas à remporter ce prix littéraire… ». Que veux-tu : j’ai l’impression que c’est un peu de la frime. Ne fais pas attention : c’est ma crise de foi à moi.

Mais loin de moi l’idée de déclencher des querelles de chapelles : je suppose que pour ce qui est de l’acte créatif, chacun doit laisser parler sa nature. Je suis sûr que tout petits déjà, les auteurs jardiniers étaient du genre à entamer une partie de jeu de société sans prendre le temps d’en lire les règles. Alors que moi, si je dois assembler un meuble Ikéa, je vais décortiquer la notice trois fois avant d’empoigner le moindre tournevis.

Mais après tout, tant que la bibliothèque tient debout malgré le poids des livres, et qu’il ne te reste pas en main ce fameux écrou B5 en trop, peu importe comment tu t’y es pris pour la monter, n’est-ce pas ?


(1) Pas dans Avatar, en tout cas.

(3 commentaires)

  1. Je découvre donc que je suis un auteur jardinier 🙂
    Et oui, j’improvise réellement des histoires de 300 pages XD Il m’est impensable (à part pour de très courtes nouvelles) de commencer une histoire en en connaissant la fin 🙂 Après, ça ne veux pas dire que je ne travaille pas et ne rationalise pas tout ça ^^ Je le fais juste en cour de route, en quelque sorte. D’ailleurs, il n’est pas rare que je sente que mon histoire à pris un mauvais tournant, et que je revienne en arrière pour changer à un croisement, ou que je découvre une thématique intéressante, une situation que je n’avais pas jusque là envisagé, qui soudain deviens mon centre d’intérêt. Après, je repasse derrière pour adapter ce qui a besoin de l’être. 🙂

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