Prendre son temps

« Pfff… ça fait des jours qu’il est sur cet article !
– Il faut le temps qu’il faut. »


Récemment, j’ai lu un article d’auteur indépendant qui m’a interpellé : en substance, l’auteur y encourageait ses pairs à écrire vite, et à publier vite.

J’ai été surpris de ce texte volontiers militant, car il était rédigé comme si les auteurs avaient une propension à écrire trop lentement ; comme s’il était nécessaire de les secouer un peu. Or, pardon, mais c’est un peu le contraire : la grosse tendance actuelle, avec les nouvelles technologie et l’autoédition, est plutôt « sitôt écrit, sitôt publié ». Avec des plateformes de type Wattpad, c’est même souvent publié avant d’être fini d’écrire.

En tant qu’auteur indé, je trouve d’ailleurs cette pression écrasante. J’ai beau accorder au minimum 10 à 15h par semaine à mes activités littéraires, j’ai besoin d’un an et demi pour sortir un roman : quand certains publient trois livres dans l’année, c’est un peu pesant. On se sent à la traîne.

Et pourtant, si tu es auteur toi-même, j’ai envie de te dire : résiste. Résiste !

Prends ton temps (qu’il soit court ou long : accorde-toi celui dont tu as besoin). Et garde à l’esprit que ceux qui publient à outrance – s’ils sont forcément plus visibles que les autres – restent des exceptions, qu’ils soient auteurs traditionnels ou autoédités.

Écrire vite ne me choque pas (et c’est même souvent un bon exercice, comme par exemple de se lancer dans le NaNoWriMo une fois dans l’année). Publier vite, en revanche, est à mon avis une terrible erreur. Il faut énormément d’expérience pour écrire vite et bien du premier coup. Et encore, ce n’est même pas la question : ton texte peut avoir été écrit vite et être bon ; cela ne signifie pas pour autant qu’il soit judicieux de le diffuser immédiatement. La question est : ne serait-il pas meilleur en le laissant reposer un peu et en le retravaillant plus tard, à tête reposée ? Publier vite, c’est s’interdire de prendre du recul sur ses écrits, de se poser des questions, de porter un regard critique, de réfléchir. Tu peux écrire trois romans par an si tu veux : si tu en es capable, fais-le. Mais si tu les publies tous les trois dans l’année, clairement, ils peuvent « ne pas être mauvais », mais ils ne peuvent en aucun cas être les meilleures versions dont tu étais capable.

Tout dépend ensuite de tes objectifs. Il y a autre chose qui ne me choque pas : c’est d’avoir des bouches à nourrir. Dans les années 1910-1920, le courant pulp était alimenté par des auteurs qui écrivaient à un rythme effréné, payés au mot. Il fallait produire énormément de texte en peu de temps pour en vivre. De nos jours, auteur, ça ne paye pas mieux. Ceux qui n’ont que leur plume (ou qui voudraient pouvoir s’en contenter) savent compter : il est bien plus rentable de sortir trois livres dans l’année qu’un seul, et l’autoédition permet ce tempo de publication que l’édition traditionnelle ne permet pas. Un auteur indé me l’a clairement dit, en face à face, et j’accepte volontiers le discours, tant qu’on appelle un chat un chat. Inutile (et hypocrite) d’essayer de dissimuler des raisons économiques derrière un masque d’intérêt artistique…

En résumé :

– écris vite si tu peux ;

– publie vite si tu dois.

Dans tous les autres cas, accorde-toi le temps que ton texte réclame.

M’enfin, ce n’est que mon avis.


Si tu as tendance à culpabiliser quand tu mets plus d’un an ou deux à écrire un roman, tu peux aussi consulter cette infographie qui détaille le temps mis par les auteurs pour l’écriture de 30 livres célèbres (extrait de http://www.aproposdecriture.com/). Exemples en littérature de l’imaginaire :

Le Petit Prince / St Exupéry : 6 mois (rappel : 120 pages seulement)

Le Hobbit / Tolkien : 2 ans

Les Royaumes du Nord / Pullman : 2 ans

Le Trône de fer / Martin : 5 ans

Harry Potter à l’école des sorciers / Rowling : 6 ans

Le Seigneur des anneaux / Tolkien : 16 ans

(7 commentaires)

  1. Tout à fait d’accord, et je suis même parfois effaré de certains rythmes de production d’auto-édités que je suis. Je ne suis pas en mesure de juger de la qualité sans avoir lu, mais je te rejoins sur la nécessité de laisser reposer un texte. En un sens, je suis content d’être lent et de ne libérer un texte que quand j’en ai vraiment marre de bosser dessus 🙂

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    1. Et quand on voit le succès des ventes de certains, qui publient trois fois plus rapidement, ça fait bizarre, pas vrai ? Je ne veux pas rentrer dans la polémique « écrire vite c’est écrire mal » (trop de contre-exemples mettent à mal cette généralité). Par contre je suis persuadé que publier vite, c’est s’interdire de publier le meilleur de nous-mêmes. Résistons, Olivier (et merci de tes passages et commentaires ici :))

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  2. Tout à fait d’accord. Mon premier roman m’a pris 2 ans (environ 60.000 mots), mais j’ai un job à plein temps et deux enfants à la maison. J’écris en général dans le train. C’est là que j’écris le mieux. j’ai parfois des périodes sans inspirations inspiration et suis parfois resté deux mois sans écrire, mais j’y suis toujours revenu.
    Quand il a été fini, je n’y ai plus touché, ne sachant comment réagir face à la critique d’un de mes bêta lecteurs. Je l’ai intégrée comme j’ai pu mais les corrections changeaient énormément le caractère de mon récit, alors j’ai préféré me faire confiance. Et je l’ai seulement publié quand j’étais à 100 pour 100 sûr du contenu.

    Quelque chose que je ne comprends pas toujours, c’est cette manière de faire des séries. Parfois j’ai l’impression que certains auteurs auto édités publient partie par partie parce qu’ils n’ont pas la patience d’attendre que leur histoire soit finie. Je me trompe ?

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  3. Je ne vais pas t’étonner, je pense, mais je souscris tout à fait à ton point de vue : après avoir auto-publié 4 romans en 2 ans, je me suis rendu compte que j’étais allée trop vite. Cette fois je prends mon temps, 2017 sera une année blanche… ou presque, en terme d’auto-édition, en tout cas 😉

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  4. Très bon billet, qui met le doigt très exactement là où ça fait mal. La vitesse.
    Alors que les progrès technologiques auraient dû nous délivrer de bien des tâches, longues et rebutantes (ce qu’ils ont fait au demeurant, pour certains secteurs d’activités), ils ont, dans le même temps, développé chez nous bien d’autres maux. La vitesse en est un des principaux. La vitesse, qui se fait impatience. Qui cache au regard la ligne d’horizon. Et qui fait dès lors, que le temps long n’existe plus. Seul l’instant vécu, et à l’intérieur duquel nous avons consommé quelque chose, a de l’intérêt. Car notre monde veut tout et tout de suite.
    Je suis tout à fait d’accord quand tu expliques que, si la vitesse en soit n’est pas négative, il faut apprendre à composer avec elle. À lui imposer une cadence. Lui tenir la bride sur le cou. C’est très vrai en matière d’écriture. Parce que ce n’est qu’une fois le premier jet d’un récit couché sur papier, que le véritable travail d’écriture commence ; rapidité dans le premier temps, et « lenteur-rapide » dans le second pour la réécriture. Patience hors-normes pour les séances de relectures, longues et fastidieuses, quasi innombrables. Ensuite, inaction totale durant le processus de maturation du projet ; au minimum six à huit semaines. Enfin, pour vraiment terminer l’histoire, il y a le travail d’ajustement, de polissage… qui peut durer plus ou moins longtemps, selon que l’auteur est perfectionniste ou pas. 🙂
    Bien à toi,
    C.T.

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