« Ah ? Merde, ça n’avance plus.
— Oh non, tu me refais encore le coup de la panne ? »
Tu as sans doute entendu parler (ou vécu toi-même) un blocage d’écriture. En anglais, on parle de writer’s block, étrangement traduit chez nous par syndrome (ou angoisse) de la page blanche. C’est assez révélateur de l’état d’esprit français que d’en faire une maladie : laisse-moi te donner mon avis là-dessus.
Cas N°1
Il peut arriver de se sentir bloqué entre deux projets, entre deux textes : peut-être que le précédent a eu un tel succès qu’il te met la pression ; peut-être qu’il a été si critiqué que tu n’as plus confiance en toi. Bref : rien de ce que tu écris ne te plaît, et tu n’arrives plus à aligner le moindre mot. Ce cas est traité de multiples fois sur le web (par exemple sur le blog Le Fictiologue de Julien Hirt). Personnellement, je classe ça avec le syndrome de l’imposteur, il s’agit d’un manque de confiance, et je pense qu’il mérite son nom français un peu médical. Je pense pourtant que ce n’est pas le blocage le plus fréquent.
Cas N°2
Le plus souvent, le blocage intervient en cours d’écriture, en plein milieu d’un récit… et je pense qu’on va un peu vite en besogne à fusionner ces deux problématiques. Ici, le souci, c’est surtout que le narcissisme de l’auteur l’incitent à considérer que le problème vient de sa petite personne, alors que généralement… il vient du texte.
Le coup de la panne
Imagine : tu fais du vélo sur une petite route de campagne isolée, et ton vélo cesse soudain d’avancer. Tu as deux solutions : soit tu considères que le problème vient de toi, et alors tu t’assoies sur le bas-côté en te lamentant (« je suis nul comme cycliste, je ne vaux rien, je n’ai même pas parcouru dix bornes que je m’arrête déjà, j’abandonne le vélo ! »), soit tu considères que le problème vient du vélo et tu l’étudies pour trouver le souci.
Moi aussi, il m’arrive d’être bloqué dans un texte. Oui c’est embêtant, mais ça fait partie du métier. Si je suis bloqué, c’est qu’il y a un souci dans mon histoire, un grain de sable dans un rouage. Même si j’ai l’impression que c’est juste moi qui ai la flemme de bosser, j’ai réalisé avec le temps que ce sont des conneries : j’aime écrire. Donc si je n’ai pas envie de bosser sur mon projet en cours, c’est qu’il y a un problème avec le projet en cours. Je suis censé avoir de l’enthousiasme à l’idée d’écrire. Si ce n’est pas le cas, c’est que mon inconscient a remarqué (avant moi) que quelque chose ne va pas. L’objectif devient de découvrir quoi.
1. Problème de dramaturgie
Heureusement, j’ai ma boîte à outils d’auteur ! La première réaction à avoir et d’établir un diagnostic, de reprendre le B-A-BA de la dramaturgie, et d’observer l’histoire avec un peu de recul :
– les motivations du personnage sont-elles claires ?
– les enjeux (ce qu’il se passera s’il échoue) le sont-ils aussi ?
– le personnage est-il bien actif, et non passif ? (subit-il l’histoire, ou en est-il le moteur ?)
– les obstacles sur son chemin sont-ils réels ? Est-ce bien lui qui les surmonte ?
– y a-t-il relations de causes à effets dans le développement de l’intrigue ?
– le thème est-il clair dans mon esprit ? Si oui, mon personnage est-il bien lié au thème ? Et mon adversaire ? Et mon univers ? Et le cœur de mon intrigue ?
etc.
J’ai dédié un article à ces questions : 10 questions à se poser quand on bloque sur l’écriture d’une scène
Force-toi à répondre à ces questions à l’écrit et à justifier tes réponses (à l’oral, il est trop facile de se duper soi-même). 9 fois sur 10, ces interrogations de base permettent d’identifier le blocage en un rien de temps (les plus gros défauts des manuscrits sont toujours les mêmes). Et une fois qu’on a trouvé ce qui cloche, crois-moi, ce qu’il faut corriger saute aux yeux, les idées fusent toutes seules, et l’envie d’écrire revient en un clin d’œil avec ce sentiment de fierté propre à celui qui a réparé seul son vélo et reprend la route avec le sourire.
2. Problème plus profond
Parfois, le problème est encore un peu plus compliqué que cela : notre cerveau a finalement réalisé que le thème qu’on traite ne nous intéresse plus, qu’on a en réalité choisi le mauvais protagoniste pour notre histoire et qu’un autre nous intéresse plus, que la fin qu’on a prévue ne nous enthousiasme pas des masses. Et si le problème est demeuré inconscient, c’est peut-être parce qu’au fond on sait que la décision à prendre est difficile : soit il va falloir apporter de très lourdes modifications à notre récit, soit – peut-être – la bonne chose à faire est d’abandonner ce projet qui n’est pas sur les bons rails. Et on se le cache. Et on préfère se dire qu’on est nul(le).
Mais avant de te flageller et de te traiter d’auteur médiocre, relève un peu le nez de ton nombril. Cherche plutôt où est le problème dans ton projet : ce n’est pas toi qui est en panne, c’est ton histoire. Si tu ne ressens plus l’envie de travailler dessus, si elle ne t’enthousiasme plus, il y a bien une raison. La trouver et réparer ce qui ne fonctionne pas… c’est juste ton job.
M’enfin, ce n’est que mon avis…
« Alors ?
— Trois fois rien, juste mon protagoniste qui avait déraillé… »
Parfois c’est autant le vélo que le cycliste cependant ! Je crois que ce qui m’arrive le plus souvent ce sont des sorties de route, des égarements qui font que je me retrouve au milieu d’un carrefour ou d’une impasse sans plus savoir où aller. Le mieux alors c’est de revenir sur mes pas et de chercher le moment où je me suis perdue dans mon propre texte. Pour moi c’est une sorte de labyrinthe, et je tiens ferme mon fil d’Ariane. Mais ce qui est vraiment cool, c’est qu’on le sent tout de suite, de la même façon que la panne. Et il faut être fier que ces moments-là se produisent, ça veut dire qu’au contraire on écoute son texte et qu’on est capable de voir quand c’est bon et quand ça ne l’est pas. Ce qui est plutôt bon signe au final !
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Personnellement, lorsque je suis vraiment bloquée dans un texte, je reviens en arrière dans l’histoire jusqu’au dernier « croisement », et je change le cour du récit (je supprime parfois plusieurs chapitres), en gardant en tête ce qui n’allait pas de l’autre côté du chemin.
Cependant, il arrive aussi à mon avis (mais ça dépend peut-être des gens?) que le problème vienne du cycliste, par exemple en période de stress j’ai beaucoup plus de mal à écrire, où après des évènements qui m’ont fait perdre confiance en moi… Il me semble compliqué de séparer totalement l’état d’esprit de l’auteur du texte en lui-même dans ces cas là, surtout qu’il est assez difficile d’être objectif sur ce qu’on écrit. Mais c’est vrai que penser que le problème viens d’abord du texte permet au moins d’aller de l’avant et de ne pas rester stupidement bloqué devant des phrases qui ne veulent pas s’écrire!
Bref, merci pour cet article 😉
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Allo! Je me rends compte que je ne souffre plus du tout du syndrome de la page blanche depuis que je me suis remise à l’écriture (mi-2016) — lire aussi : depuis que j’ai enfin le temps de m’y consacrer! Quand on a très peu de temps pour écrire, ça peut être difficile de ramener son cerveau sur notre projet en cours, et on se met à bloquer dès qu’un passage est un peu délicat. Écrire, comme tout travail intellectuel, peut exiger énormément d’efforts, et il faut avoir le temps et l’énergie disponibles pour faire face… Donc je rejoins Isabelle à cet égard.
Et je ne pense pas alors qu’il s’agisse d’un problème de confiance en soi. Au contraire, c’est vouloir tout ramener au texte qui peut engendrer des doutes existentiels, puisqu’on se met alors à penser des choses comme « Si je ne parviens pas à résoudre ce problème de mon texte, est-ce parce que je suis incapable? » En écriture, je trouve qu’on parle trop peu de cela, de l’épuisement et des nerfs du cycliste, et qu’on ne peut pas non plus espérer finir la course si on est déjà à bout de forces sur la ligne de départ (et cela, que notre vélo ait un problème objectif ou non).
Pour ma part, quand je « bloque », c’est rarement un problème de dramaturgie, du moins pas à une échelle aussi large. Il s’agit plutôt de la formulation ou de l’enchaînement de sous-actions ou d’arguments (pour un dialogue) qui ne me satisfait pas, que j’ai du mal à trouver. En général, pour m’aider, je me force à répondre aux questions suivantes : quelle est la fonction de cette scène? qu’est-ce que j’essaie de dire, de transmettre au lecteur, à la lectrice? quels éléments tenais-je à y introduire, et comment faire tenir tout ça ensemble? Ça doit être mon côté « jardinier »… Je ne me pose jamais ces grandes questions (comme celles que tu proposes) sur mon intrigue et mes personnages; je laisse tout venir dans ma tête de façon intuitive, au fur et à mesure, sans forcément analyser. Ce sont les actions des personnages qui me permettent de comprendre leurs motivations, et non leur motivations qui me permettent de décider quelles actions ils poseront… En fait, je n’ai pas le sentiment de « décider »; disons que je décide quoi dire et comment le dire, mais pas le fond de « ce qui s’est passé », qui semble exister en dehors de ma volonté. J’aime bien l’image de Stephen King où il compare l’écriture à la découverte d’un fossile, dont les contours se révèlent progressivement à nous…
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Alors, déjà, merci beaucoup pour le clin d’œil.
En ce qui concerne ton billet, j’adhère totalement et en même temps je suis frontalement en désaccord. Je m’explique.
Tout ce que tu dis me paraît faire sens: non, quand on fait une pause dans l’écriture, ça n’est pas toujours le symptôme d’une épouvantable angoisse ou le signe visible d’insondables blocages psychologiques. Oui, parfois, c’est le texte lui-même qui mérite qu’on s’y attarde, qu’on fasse une pause, qu’on réfléchisse. C’est vrai.
Cela dit, il ne s’agit pas pour moi d’un blocage à l’écriture. Ça ne justifie pas que l’on s’arrête. Un roman, c’est une grosse bête. Si je butte sur une difficulté quelque part, rien ne m’empêche de continuer à écrire ailleurs. Un auteur n’est pas plus malhabile qu’un autre: il peut très bien faire deux choses en même temps, et réfléchir à son texte tout en continuant à travailler dessus. Donc non, ce n’est pas parce que je prends conscience que le personnage de la Marquise doit être retravaillé que cela doit soudain me paralyser face au clavier. Je trouverai bien une solution pour la Marquise en temps et en heure. En attendant, je peux écrire la superbe scène de chasse à courre du chapitre trois.
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C’est fou comme la plupart des commentateurs de cet article emploient un ton de contradiction pour finalement dire (d’une autre façon) la même chose que moi.
😉
Je suis, moi, 100% d’accord avec toi. Et d’ailleurs j’ai rédigé cet article en partie parce que j’étais agacé de lire des messages d’auteurs sur les réseaux sociaux qui se prétendent en blocage d’écriture, et qui en profitent donc pour ne rien faire. Alors que :
1) trouver ce qui bloque et « réparer » le texte fait partie du job (sujet de cet article) ;
2) même si on bloque sur un sujet, on peut en bosser un autre (ton commentaire, que j’approuve tout à fait). Il y a largement à faire sur un roman.
En ce qui me concerne, j’ai deux jours par semaine dédiés à l’écriture, 7 à 8h par jour. Je les utilise toujours, d’une manière ou d’une autre, que je sois en forme ou fatigué, bloqué dans mon texte ou pas. Comme le dit Philip Pullman au sujet du syndrome de la page blanche : « on ne demande pas au plombier s’il se sent dans le bon état d’esprit pour aller travailler. Le matin il part au boulot, c’est tout. »
🙂
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