Les facteurs d’engagement sont les éléments qui agrippent le lecteur et l’intéressent à une histoire. Il ne s’agit pas des moyens qu’un auteur utilise (comme le worldbuilding, les personnages ou l’intrigue) mais les effets qu’il cherche à obtenir. J’avais déjà présenté un article sur les quatre principaux facteurs d’engagement que sont Attachement, Nouveauté, Tension et Satisfaction… mais il en existe d’autres, moins universels mais intéressants à considérer néanmoins. Réflexions.
Message de service : Pour rappel à toutes les personnes qui se trouvent cette semaine dans la région de Perpignan, je suis invité au Festival Méditerranée Polar & Imaginaire vendredi 13, samedi 14 et dimanche 15 juin, sur le paquebot ensablé le Lydia à Barcarès. J’aurai tous mes romans à la vente et la dédicace, et même des jeux de rôle à montrer. Si vous êtes des lecteurs du blog, venez m’en parler ! Tout le programme du festival se trouve ici.
En préambule de cet article, je rappelle que l’acronyme ANTS vient à l’origine de l’éditrice et théoricienne en dramaturgie Chris Winkle, de Mythcreants.
Ce blog fait souvent référence aux éléments de l’acronyme ANTS, qui sont quatre piliers favorisant grandement l’engagement du lecteur dans une histoire. L’article qui explique cela en détails se trouve ici, mais pour résumer, ces quatre points sont :
A – L’Attachement émotionnel, généralement envers les personnages
N – La Nouveauté, l’angle intéressant ou le vent de fraîcheur apporté par le livre
T – La Tension, liée au suspense et au côté captivant du récit
S – La Satisfaction, qui survient lorsque les événements s’imbriquent bien ou se terminent bien
Personnellement, je trouve l’acronyme ANTS incroyablement utile, et il m’aide beaucoup à définir des directions claires lorsque je crée mes histoires. Non seulement ces quatre points sont bel et bien importants pour susciter l’engagement du lecteur, mais en plus ils fonctionnent à de nombreux niveaux, macro comme micro.
- Évaluer l’engagement général d’une histoire ? ANTS.
- Renforcer l’intérêt d’un chapitre qu’on vient d’écrire ? ANTS.
- Améliorer la façon donc le lecteur s’investit dans un personnage en particulier ? ANTS.
Cependant (j’ai envie de dire « évidemment »), les gens sont très différents, et tout le monde n’a pas les mêmes goûts. Ainsi, les quatre éléments du ANTS ne sont pas les seuls éléments intéressants d’une histoire : ce sont seulement les principes les plus universels, ceux qui sont le plus souvent vrais pour la plus grande partie des gens. Cela induit qu’il existe d’autres facteurs d’engagement qu’il est possible de considérer en tant qu’auteur… même s’ils sont moins universels, et même si j’ai le sentiment qu’en creusant un peu, on finit toujours par retomber à un moment sur l’un des quatre piliers du ANTS.
1 – Les intérêts spécifiques de l’auteur
Quand un auteur est un expert dans un domaine et qu’il concentre sa fiction sur ce domaine, il existe un véritable levier d’intérêt et d’engagement pour le lecteur. Il y a probablement un risque à en faire trop, à être trop spécifique ou à verser à l’excès dans le documentaire, mais il y a aussi et surtout de fortes chances de donner un côté « réel » à la fiction et d’être intéressant. Les gens passionnés sont souvent enthousiastes et impliqués, et leur passion même en devient captivante. Un arboriste qui écrit un roman de SF au sujet d’arbres extraterrestres ennuiera peut-être certains lecteurs, mais je pense qu’il en fascinera beaucoup d’autres, et pas forcément les amateurs de botanique. Un auteur a tout intérêt à se servir de ses connaissances et passions dans les textes qu’il écrit, car c’est en soi un excellent facteur d’engagement.
Dans l’article Conserver son intérêt pour ce qu’on crée, j’évoquais déjà l’importance qu’il y a pour un auteur à travailler sur ce qui l’intéresse vraiment. On pourrait argumenter qu’il y a un risque à repousser les gens qui ne sont pas intéressés, mais :
- Centrer un texte de fiction sur une passion donne généralement un angle novateur au récit, rejoignant ainsi le N de l’acronyme ANTS.
- Centrer un texte de fiction sur une passion apporte un surcroit de réalisme et de crédibilité à l’histoire, et ce n’est pas anodin (ce n’est pas un hasard si de nombreux auteurs de polar affichent ouvertement être d’anciens policiers/enquêteurs/gens du milieu).
Je n’invente rien : c’est exactement ce que nous dit l’adage d’écriture bien connu « écrivez ce que vous connaissez ».
2 – L’accomplissement de souhaits
J’en ai déjà rédigé un article, intitulé Quand l’écriture exauce les souhaits. Le principe est de dire que certains éléments captivent les lecteurs parce qu’il s’agit de choses qu’ils aimeraient voir se produire « pour de vrai ». Ces choses participent ainsi à une sorte de rêve/fantasme, à un plaisir par procuration. Par exemple, qui n’a jamais rêvé étant gamin de disposer d’un super pouvoir ou de pratiquer la magie ? Ce n’est pas pour rien que les littératures de l’imaginaire incluent presque toujours ce genre d’éléments.
Ainsi, réfléchir à développer son récit autour de quelque chose « qui fait rêver les gens », c’est intéressant. Hélas, ce n’est pas un concept si facile à manœuvrer : d’un côté, cela peut inclure bien des choses différentes ; d’un autre côté, cela peut vite devenir très spécifique et n’intéresser qu’une petite partie du lectorat – ce n’est donc pas aussi universel que les autres éléments du ANTS. De plus, je pense que les points saillants de cet élément sont déjà inclus dans le ANTS :
- Quand l’auteur imagine quelque chose de nouveau et cool que les lecteurs adoreraient voir se produire en vrai, ça rejoint le N de Nouveauté.
- Disposer de pouvoirs magiques, trouver le grand amour, renverser une dictature : tous ces éléments sont bel et bien du wish-fulfilment, mais ils apportent un « plus » à l’histoire essentiellement parce qu’ils sont porteurs du S de Satisfaction.
Ce n’est donc pas inutile de connaître l’existence du concept de wish-fulfilment, même s’il est probablement plus efficace de le considérer au prisme de l’acronyme ANTS original.
3 – L’Humour
L’humour est bel et bien un facteur d’engagement fort. Tout le monde aime s’amuser ou rire un bon coup : peut-être que ce n’est pas ce qu’un lecteur cherche spécifiquement dans sa lecture du moment, mais si le livre est vraiment drôle, il y a quand même pas mal de chance de l’accrocher.
Évidemment, tous les livres ne peuvent pas être drôles et certains gagnent à ne pas l’être. Mais surtout :
- Tout le monde n’a pas le même humour, et l’humour n’est pas universel. Il existe plusieurs formes d’humour et tout le monde n’y réagit pas de la même façon.
- L’humour est une compétence technique, et il n’est pas si facile d’être drôle (j’aime à dire que c’est quasiment un métier à part entière).
Néanmoins, un auteur qui pense avoir les compétences pour s’adonner à l’humour (et qui a envie de le faire, évidemment) ne devrait pas se gêner pour s’en servir. C’est un excellent moyen d’inciter le lecteur à poursuivre sa lecture jusqu’au bout et à en garder un excellent souvenir. C’est aussi un argument simple et percutant à l’aide duquel un lecteur recommande sa lecture autour de lui.
4 – Le Désir de Relations
On touche ici à un élément déjà inclus dans le ANTS, mais justement tellement dilué à l’intérieur que ça me semble pertinent de lui accorder un paragraphe à part. Cela fait longtemps que je suis censé écrire un post sur ce sujet, et l’excellent article de mon comparse Léonard Bertos sur les personnages me l’a rappelé récemment : les personnages ne sont pas seuls, et les arcs relationnels entre les différents personnages du récit font pour beaucoup dans l’engagement du lecteur. Il est clair que de nombreux membres du public veulent voir des personnes se rencontrer, apprendre à se connaître et à se respecter, se rapprocher – devenir amis, amoureux ou amants, devenir ennemis, aussi.
Comme les gens sont tous différents, les goûts en matière de relations présentent eux-aussi une grande variation, ce qui peut être difficile à gérer. Néanmoins, je pense qu’une personne ordinaire vit au quotidien un grand nombre de relations différentes, et qu’elle est donc capable de s’identifier à la plupart des relations qu’un auteur peut mettre en place dans son récit. Je suis persuadé que cela génère de l’engagement en soi, en plus de toucher à l’acronyme initial :
- Les relations créent de l’émotion, et cela génère de l’Attachement aux personnages ;
- Il est commun que les protagonistes rencontrent des personnages qui brisent leurs habitudes et les mettent face à des relations nouvelles pour eux, ce qui peut créer une forme de Nouveauté, avec des personnalités très différentes qui se télescopent ;
- La Tension apparaît lorsqu’il y a friction : divergences d’opinions, de valeurs, d’objectifs, des oppositions qui peuvent aller du simple désaccord à la dispute, jusqu’à l’affrontement, avec un fort besoin du lecteur que ces tensions soient résolues d’une façon ou d’une autre ;
- Et évidemment, il y a ici des désirs et du wish-fulfilment à l’œuvre, avec généralement une forte satisfaction quand les personnages créent des liens, deviennent amis, créent à plusieurs un groupe soudé (ce qu’on appelle aujourd’hui le trope « fund family »), ou se mettent en couple. Les gens ont besoin d’amour, au sens le plus large du thème, et quand les personnages le trouvent cela apporte beaucoup de Satisfaction.
De la violence et du cul ?
L’adage connu de tous les raconteurs d’histoires est de dire que les récits n’ont besoin que de deux éléments pour être vendeurs : du sang et des fesses. Il peut donc paraître étonnant de les voir absents de l’acronyme ANTS, ou de cet article censé apporter des facteurs d’engagement complémentaires. Au-delà de la blague, j’ai tendance à penser que :
La violence est parfois une recherche particulière d’esthétisme… et parfois un moyen un peu immature de chercher à produire un récit mature. La violence est loin d’être un élément universel que tout le monde apprécie (c’est peu de le dire), et elle n’est pas non plus la solution permettant de créer une histoire « adulte » : la clef est le plus souvent dans le travail sur la spécificité et le ton – si une histoire est immature, ajouter de la violence n’y changera pas grand-chose. À noter tout de même que ce n’est pas un hasard si de nombreuses histoires contiennent une part de violence : c’est une façon simple (mais ce n’est pas la seule !) de créer de la Tension, le T du ANTS.
Le sexe a souvent été valorisé dans les fictions de média visuels pour son côté aguicheur, avec l’argument que des scènes osées (au cinéma ou à la télé) attiraient le spectateur. Il semble qu’à l’écrit ce soit beaucoup plus compliqué que cela : non seulement il s’agit d’un intérêt spécifique qui n’intéresse qu’une partie du lectorat, mais en plus il a tendance à être plus strictement rejeté par les gens que ça n’intéresse pas. En littérature, le sexe « montré » fait donc l’objet de genres dédiés, et par convention on ne s’attend généralement pas à des scènes trop crues dans la littérature générale. Cela peut néanmoins toucher à l’accomplissement de souhaits (wish-fulfilment) ou au désir de relations… même si on est en droit de se demander si c’est l’acte charnel lui-même qui génère l’engagement chez le lecteur, ou l’émotion / l’affection / l’intimité qui y sont associées.
Un auteur peut intégrer à son roman de la violence et du sexe aux niveaux qui lui plaisent, et il existe bien des raisons intéressantes de le faire, mais ce ne sont absolument pas des facteurs d’engagement sur lesquels on peut compter pour s’assurer que les lecteurs poursuivront leur lecture jusqu’au bout et l’apprécieront.
***
Les quatre piliers qui forment l’acronyme ANTS me semblent assez universels pour inclure énormément de choses. Ils représentent les objectifs, les effets qu’on cherche à obtenir auprès des lecteurs à l’aide de tous nos outils d’auteurs. Le lecteur s’attache, s’enthousiasme d’un aspect novateur, tremble sous la tension et finit le récit satisfait ? Normalement, c’est gagné. Mais il existe d’autres facteurs d’engagement à considérer, peut-être plus spécifiques ou « de niche », mais pas moins intéressants : une passion de l’auteur pour un sujet spécifique risque fort d’attirer l’attention, une rêve formalisé entre les pages peut créer des fans, l’humour est quelque chose dont nous avons bien besoin de nos jours, tout comme la preuve que l’humanité contient encore un peu d’amour et d’affection (au sens large).
M’enfin, ce n’est que mon avis…

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« Qui n’a jamais rêvé étant gamin de disposer d’un super pouvoir… » Je rêvais d’avoir la capacité de me transformer en animal, si possible suffisamment « badass » pour impressionner l’ennemi. Bon. Je me sers peut-être plus souvent de l’humour aujourd’hui que de la lycanthropie. ^^
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