Sur le blog de la plateforme Scribbook, j’adapte régulièrement en français des articles du site américain Mythcreants (des professionnels de l’édition). Chez eux, un acronyme revient très souvent quand il s’agit de mesurer l’intérêt des histoires : ANTS (pour Attachment, Novelty, Tension & Satisfaction). Comme je le trouve très pertinent et que je n’en trouve pas trace en français, je te présente ça ici.
Lorsqu’ils parlent de l’intérêt du lecteur pour leurs histoires, les auteurs débattent le plus souvent autour de thématiques comme les personnages, l’intrigue ou le worldbuilding. Pourtant, ces différents éléments ne sont que des outils servant à produire certains effets, et ce sont en réalité ces effets qui « accrochent » le lecteur et rendent une histoire populaire. Travailler chaque composante de son histoire au prisme de cet acronyme ANTS permet à un auteur de mieux cerner les forces et faiblesses de son livre et de mieux y travailler.
1. Attachement
L’attachement représente en quoi les évènements importent au lecteur. Si l’attachement est fort, le lecteur va espérer que certaines choses arrivent (que le héros sauve le monde, que les voyageurs du temps changent le futur), ou craindre que d’autres se produisent (que le meurtrier abatte une nouvelle victime, que les amoureux se séparent). L’attachement tourne essentiellement autour d’éléments émotionnels qui rendent une histoire puissante. Quand on est attaché à quelque chose ou à quelqu’un, c’est bien connu, on est prêt à tout pour rester avec.
La première source d’attachement, ce sont les personnages majeurs du récit. Ce blog possède plusieurs articles sur les façons de rendre des personnages attachants, dont le plus important me semble être celui-ci. Ce sont généralement les personnages qui portent une histoire, et si leur destin importe peu au lecteur, ce dernier ne s’intéressera pas au récit. Il est aussi possible de créer de l’attachement à d’autres éléments, comme au destin d’une ville ou d’un monde, mais c’est plus difficile à mettre en œuvre et prend plus de temps.
Problème : car oui, l’attachement, ça se construit, et ça prend un peu de temps. En particulier en début de livre, se reposer exclusivement sur l’attachement risque de donner un démarrage lent et ennuyeux.
2. Nouveauté
Le terme « nouveauté » n’est pas une très bonne traduction pour « novelty », mais il convoie l’idée, ça respect l’acronyme, et ça m’évite d’utiliser le terme « originalité » dont on nous rabat les oreilles. Cette « nouveauté », donc, représente en quoi les évènements fascinent ou intriguent le lecteur. Si cette nouveauté est élevée, le lecteur va vouloir lire pour le plaisir de la découverte. Bien amenée, la nouveauté permet de créer de l’émerveillement ou du mystère, d’éveiller la curiosité.
À chaque débat sur l’originalité, il y a toujours un passant pour hausser les épaules et dire quelque chose comme « tout a déjà été écrit », ce qui est factuellement faux. En art ou artisanat (et contrairement à l’industrie), chaque pièce est unique. En revanche, les pièces peuvent se ressembler les unes les autres (par exemple au sein d’un même genre littéraire). Réussir à pointer du doigt en quoi son livre se distingue des autres est justement cet aspect « nouveauté ». Tu n’as pas besoin de faire quelque chose « qui n’a jamais été vu ailleurs » ; juste de trouver une prémisse intelligente, ou un décor atypique, ou des personnages hors normes, ou une narration bien exploitée, etc.
Car oui, la nouveauté peut venir de tous les aspects de l’histoire, et pas seulement de sa dramaturgie. Des auteurs comme Jaworski ou Damasio sont connus pour leurs styles reconnaissables et atypiques. Pour certains, ces écritures justifient à elles seules la lecture de ces ouvrages. Dans les littératures de l’imaginaire, la porte est grande ouverte pour tout un tas de nouveautés apportées par le worldbuilding (lieux, peuples, animaux, magie, technologies). Dans tous les genres, la nouveauté peut venir des personnages, de l’intrigue, ou d’un certain point de vue.
Problème : la nouveauté, ça ne dure pas. Cela peut inciter le lecteur à commencer le livre, et l’encourager à poursuivre après les premiers chapitres, mais ça ne tient pas tout un roman, à moins d’introduire régulièrement de nouvelles choses. À noter aussi que l’attrait de « l’originalité » pousse parfois les auteurs à créer des tas de choses étranges pour donner cet aspect de nouveauté, mais sans vraiment les utiliser dans l’histoire : l’élément en question ne devient vite qu’un simple élément de décor, et perd ainsi très vite de sa saveur et de son efficacité.
3. Tension
La tension représente en quoi les évènements accrochent le lecteur. Si cette tension est élevée, le lecteur va vouloir lire pour savoir ce qu’il se passe et comment cela finit. C’est l’arme favorite des livres qu’on surnomme les « page-turner ».
La tension provient essentiellement de la présence de problèmes (obstacles à surmonter, mystère à résoudre, ennemi à vaincre, etc.). Ces éléments créent de l’incertitude quant à l’issue de l’histoire, et cette tension demande naturellement à être dissipée. Pour rappel, un bon obstacle repose sur de bons enjeux. Je te laisse relire les articles associés, ainsi que ce post sur une règle Pixar liée aux objectifs, obstacles et enjeux.
Problème : à toujours vouloir créer des obstacles plus grands et des mystères plus incroyables, les auteurs creusent parfois leurs propres tombes, car ils créent des situations dont leurs personnages ne peuvent se sortir de façon crédible ou satisfaisante. On a aussi le cas où l’enjeu est si grand (par exemple la sauvegarde de tout l’univers) que la tension ne prend pas, car le lecteur sait bien que les personnages n’échoueront pas (nous en avions vu un bel exemple avec le cas pratique sur la série Umbrella Academy). Globalement, pour générer de la tension, c’est comme dans la vraie vie : il ne faut jamais faire de promesses qu’on est incapable de tenir.
4. Satisfaction
La satisfaction représente en quoi le lecteur apprécie ce qui ressort de la fin de l’histoire. Si cette satisfaction est élevée, le lecteur va refermer le livre avec un sentiment positif (quel qu’il soit) et c’est souvent cela qui va lui faire décider s’il a aimé le livre ou pas, et comment il va en parler autour de lui.
La plus grande source de satisfaction est la façon dont sont résolus les problèmes utilisés pour générer la tension (voir point précédent). Cela passe généralement par savoir faire des promesses et savoir les tenir, car les attentes des lecteurs sont définies par l’auteur : elles viennent d’abord du titre, de la couverture, de la 4ème de couverture, puis des premiers chapitres lus. Le développement du livre est censé provoquer un sentiment de progression vers la résolution finale. Un bon climax permet en théorie de faire en sorte que tous les personnages « aient ce qu’ils méritent ».
Problème : évidemment, quand les personnages abattent un obstacle, cela fait baisser la tension. Cela signifie que les plus gros enjeux ont intérêt à être résolus à la fin, ou que la résolution d’un problème doit entraîner un autre problème, afin que la satisfaction soit suivie d’une nouvelle tension. Autre complication : comme les révélations et twists apportent aussi de la satisfaction, les auteurs ont tendance à courir après et à vouloir en créer à tout prix, même quand leur histoire ne le permet pas. Cela passe alors par de la rétention d’information pour créer de la surprise, alors que ces informations auraient été plus utiles à créer de l’attachement ou de la nouveauté.
***
La conclusion qu’il faut tirer des encarts « problème » listés ci-dessus, c’est que les différents éléments qui composent ce ANTS fonctionnent mieux ensemble et en soutien les uns des autres. La nouveauté peut agripper le lecteur le temps de générer de l’attachement, les bons obstacles sauront créer de la tension tout en apportant satisfaction quand ils seront résolus. Quant à l’utilisation même de ce concept de ANTS, c’est à chacun de voir, mais personnellement il m’a permis de me poser les bonnes questions au moment de créer mes histoires. Cela permet de lever le nez de son nombril en prenant plus en compte le lecteur, car le ANTS se concentre sur le résultat qu’on cherche à obtenir, plutôt que sur les moyens à notre disposition que sont personnages, univers et intrigue.
M’enfin, ce n’est que mon avis…
Les concepts de cet article proviennent de la théoricienne en dramaturgie Chris Winkle, publiés à l’origine sur le site de Mythcreants, et adaptés ici en français avec son aimable autorisation :


Payez-moi un café !
Ce blog publie des articles de dramaturgie et narration depuis 2015. Ils sont en accès libre et le resteront. Ils vous sont utiles ? Participez à ma productivité !
1,00 €