5 conseils d’écriture qui ont perdu leur contexte

Certains conseils d’écriture connaissent le cycle de vie suivant : comme ils sont pertinents, ils sont propagés et répétés un peu partout ; ils sont progressivement simplifiés, déformés et sortis de leur contexte de départ ; certaines personnes commencent alors à les critiquer et les moquer, les jugeant idiots. Et au bout du compte, celles et ceux qui voient passer ces conseils ne savent plus du tout ce qu’ils doivent en penser. Voici une sélection de conseils si récurrents qu’ils en sont quasiment devenus clichés, mais que plus personne ne comprend vraiment, car ils ont perdu de leur contexte avec le temps.

« Montrez, ne racontez pas »

À tout seigneur tout honneur, le célèbre « show don’t tell » est un bel exemple d’adage dont la punchline était si bonne que la formule est restée… sans que les gens ne la comprennent vraiment, et sans qu’ils ne sachent dans quel cadre elle se révélait pertinente en premier lieu. Parce que oui, c’est un excellent conseil, mais non, il ne s’applique pas à toutes les histoires que l’on écrit. Cela dépend du choix de la narration de l’auteur.

Si l’auteur utilise un narrateur omniscient ou un personnage-narrateur (1ère personne au passé), il s’agit de « narrations à narrateur », où quelqu’un nous raconte une histoire. Que les phrases et tournures soient plutôt dans un format raconté n’est donc pas un défaut, et c’est même plutôt l’effet recherché ! Alors oui, cela crée moins d’immersion dans l’action, et l’auteur gagnera à utiliser des techniques pour « montrer » dans les moments importants, mais ce sont des narrations qui disposent d’autres avantages et atouts pour capter l’intérêt du lecteur. L’adage « show don’t tell » ne s’adresse tout simplement pas à ces formes de récits.

En revanche, si l’auteur souhaite créer une profonde immersion dans ses personnages et dans l’instant présent, il va préférer utiliser des narrations « sans narrateur », avec des points de vue en focalisation interne stricte (3ème personne au passé, ou 1ère personne au présent). Dans ce cadre, l’immersion suscitée passe par l’absence de distance narrative, et c’est dans ce contexte précis que l’adage « show don’t tell » n’est pas seulement « une petite aide sympathique à appliquer si on veut », mais bien un mot d’ordre crucial dont dépend la réussite même de la narration.

Note personnelle : j’ai l’impression qu’en fantasy, la 3ème personne focalisée stricte est plus répandue chez les américains (elle est vraiment récurrente, comme chez Brandon Sanderson ou John Gynne) que dans la littérature française, où j’ai souvent du mal à trouver des exemples pour mes articles. En revanche, en France aussi la 1ère personne au présent est devenue une narration largement utilisée de nos jours. Hélas, beaucoup d’auteurs l’écrivent de la même façon qu’ils l’écriraient au passé – en utilisant beaucoup de « raconté » – alors que l’emploi du présent nécessiterait de beaucoup plus « montrer » pour que l’immersion sonne juste. Là encore, cela vient du fait de ne pas bien comprendre l’adage, et de ne pas savoir à quoi il se réfère.

« Écrivez votre premier jet sans vous retourner »

Quand un auteur se plaint de ne pas trop avancer sur son manuscrit parce qu’il passe son temps à retoucher les chapitres qu’il a déjà écrits, c’est LE conseil cliché que tout le monde lui donne de façon automatique : « arrête de relire et retoucher ce que tu as déjà écrit, continue ton récit jusqu’à la fin, il sera bien temps de modifier ensuite ! »

En tant qu’auteur qui – depuis quinze jours – réécrit en boucle les cinq mêmes premiers chapitres de son prochain livre sans vraiment réussir à avancer plus loin, je m’oppose personnellement à ce qu’on balance ce conseil sans connaître plus de contexte, car – dans certaines situations – cette recommandation s’avère particulièrement idiote ; un peu comme dire à un maçon qui vérifie si ses premiers parpaings sont posés droits : « mais ne perds pas ton temps avec ça, continue de monter ton mur, tu verras bien à la fin ! »

Je distingue souvent sur ce blog dramaturgie et narration, un peu comme si je parlais de fond et de forme, et c’est là que ce conseil, avec le temps, a perdu de son contexte :

  • Si l’auteur passe son temps à retoucher son texte sur la forme (parce qu’il n’est pas satisfait de son style, de ses phrases, de son écriture proprement dite), alors OUI, c’est un excellent conseil de lui dire de continuer sans s’arrêter. La forme, ça se retravaille en réécriture sans aucun souci, et pour une raison fort simple : réécrire plus tard une description de façon plus jolie au chapitre 1 n’aura pas d’impact sur le reste du livre. Donc, effectivement, autant ne pas s’attarder sur des affaires de style lors du premier jet, et avancer sur la rédaction globale.
  • En revanche, si l’auteur relit les derniers chapitres qu’il a écrits et n’est pas satisfait sur le fond, sur ce qui s’y passe (si les conflits lui semblent forcés, si les dialogues ne vont pas dans le bon sens, si son protagoniste ne paraît pas avoir la bonne motivation, etc.), alors NON, fermer les yeux et continuer la rédaction coûte que coûte n’est probablement pas une bonne idée, et pour une raison fort simple : changer plus tard des éléments de dramaturgie au chapitre 1 aura des impacts sur tout le reste du livre.

Quand on parle dramaturgie, un livre est un édifice : chaque nouveau chapitre repose sur les précédents, et si l’auteur a des éléments qui sont bancals dans son histoire, non seulement ça rendra l’écriture de la suite plus pénible, mais en plus revenir en arrière pour apporter des corrections sera de plus en plus complexe au fur et à mesure qu’il progressera vers l’avant – jusqu’à un point où ça demandera tant de travail que ça n’en vaudra plus la peine et que l’auteur renoncera.

À chacun son process de création, et chaque auteur devrait faire comme bon lui semble. Mais on devrait peut-être prendre un poil plus de précautions avant de conseiller à un auteur « qui trouve ses derniers chapitres nuls » de continuer sur cette voie coûte que coûte. Tout ne peut pas être corrigé en réécriture.

« Une histoire a besoin de conflits »

Évidemment que toutes les histoires n’ont pas besoin de scènes d’actions, de bagarres ou de conflits armés, voyons ! Tout le monde sait ça ! Pourtant, beaucoup de gens continuent de penser que – s’ils peuvent se passer de violence physique – il leur faut au moins de la violence orale : leurs protagonistes se retrouvent ainsi en contradictions forcées et disputes permanentes (« c’est du conflit social, vous comprenez ? »). Pas mal d’histoires sont ainsi gâchées, dans les livres ou nos séries télé préférées, juste parce que ce conseil a été si bien implanté dans nos têtes qu’on ne peut s’empêcher d’y croire un peu : il faut forcément que nos personnages soient en conflit.

Et pourtant, ce n’est pas un conseil si idiot, au fond. Il y a juste là un problème de vocabulaire ou de sémantique, peut-être un problème conceptuel : en réalité, l’un des piliers d’intérêt du lecteur pour une histoire est la présence de tension. Et l’un des moyens d’introduire de la tension dans une histoire, c’est de créer du conflit. Le conflit crée donc bel et bien de la tension, et la tension est – en effet – généralement bonne pour une histoire. Sauf que… une histoire peut très bien vivre avec peu de tensions (ce n’est pas le seul pilier d’intérêt pour le lecteur, voir l’article Le concept ANTS : quatre piliers pour accrocher le lecteur), et la tension peut être générée par d’autres choses que des conflits (par exemple en montant les enjeux, en créant des risques d’échecs aux actions du protagoniste, en créant un sentiment d’urgence).

« Save the cat »

C’est exactement la même chose avec ce conseil-ci, qui est une pseudo-astuce scénaristique qui conseille aux auteurs de faire en sorte que le protagoniste – pour se rendre sympathique – fasse preuve d’altruisme au début du récit. Ce conseil tombe lui aussi dans la catégorie du conseil qui n’est pas idiot sur le fond, mais qui est tellement devenu une punchline marketing qu’il s’est déconnecté des fondements dramaturgiques dont il est issu. C’est un adage qui prend « quelque chose qui marche » pour l’exhiber comme « quelque chose qu’un auteur doit faire », mais sans vraiment comprendre pourquoi ça marche en premier lieu.

L’intérêt des lecteurs pour un personnage repose sur quatre piliers ; l’un de ces piliers est de rendre le personnage attachant ; et l’une des façons de le rendre attachant est de le montrer altruiste. Ainsi, oui, créer une situation en début de livre où le personnage se montre altruiste, ça fonctionne… mais il est tout à fait possible de créer un personnage que les gens adoreront sans cela, soit en le rendant attachant d’une autre façon, soit en jouant sur d’autres piliers d’intérêt.

« Écrivez ce que vous connaissez »

Quand on parle d’un conseil qui a longtemps été rabâché pour être ensuite largement décrié, celui-ci est en bonne position. Il a longtemps été répété sur tous les tons aux auteurs novices et considéré comme une évidence… et puis on a commencé à s’en moquer : heureusement qu’un auteur n’est pas condamné à n’écrire que ce qu’il connaît, sinon comment aurait-on des genres comme la fantasy avec des elfes et des dragons, hum ? Étonnamment (non), on a aussi vu ce conseil critiqué quand des lecteurs se sont plaints de mauvaises représentations et ont commencé à réclamer un peu plus de ownvoices sur des sujets liés (au hasard) au féminisme, aux genres, aux minorités ethniques.

Évidemment, que c’est un excellent conseil ! Il est pétri d’un bon sens évident : un auteur qui a personnellement vécu la situation dont il parle (qu’il s’agisse de la perte d’un proche, de discriminations, de la visite du Louvre ou de navigation en haute mer) a bien plus de chances d’écrire des scènes plus « vraies », plus efficaces et justes, qu’un auteur qui ne fait que les imaginer. Il suffit à un auteur d’écrire un jour une scène qui le touche vraiment de près pour s’en rendre compte… et, oui, bien sûr que le lecteur ressent la différence.

Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas écrire une bonne scène sur un sujet qu’on n’a pas vécu – cela ne signifie pas qu’on ne peut pas écrire un bon personnage féminin quand on est un homme, ou qu’on ne peut pas raconter une histoire en haute mer si on n’est jamais monté sur un bateau. En revanche, cela signifie que nous serons forcément bien meilleurs si on parle de ce qu’on connaît bien, et que c’est donc une piste à suivre quand on crée nos histoires : on a plus de chances de « sonner juste » en intégrant dans nos créations des choses que l’on connaît intimement, de l’intérieur.

À noter qu’il est prouvé que la créativité provient de la multiplicité, du nombre, de la variété de nos expériences vécues : nous servir de nos expériences personnelles dans notre travail n’est donc que pure logique.

Quant à écrire sur des sujets dont on n’a pas fait l’expérience personnellement, ça n’a rien d’impossible, mais ce conseil devrait alors nous rappeler à une base fondamentale : l’humilité. Nul soi-disant « talent » ne pourra compenser ici un manque de recherches, d’études, de témoignages ou de relectures par des gens qui savent de quoi ils parlent.

***

Je suis toujours aussi étonné de l’implantation du terme « conseil d’écriture » dans la communauté des auteurs. Peut-être que je connais mal les autres domaines artistiques, mais en musique on ne m’a jamais bassiné de « conseils de musique » : on apprend et on travaille des techniques, on acquiert peu à peu un ensemble de savoirs, on développe une compétence, et ça nous sert ensuite à exprimer une créativité personnelle. Le terme « conseil » sonne comme « trucs et astuces », comme si – à l’aide de deux ou trois petites entourloupes – on allait soudain écrire un best-seller. Il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui beaucoup de gens se braquent contre certains adages vendus comme des formules magiques.

Et pourtant… souvent, à l’origine, ces conseils ne sont pas idiots ou infondés. Presque toujours, ils ont émergé d’une parcelle de savoir théorique exacte mais spécifique à un certain contexte ou une certaine situation. C’est juste que ces contextes se sont perdus avec le temps, ou que quelqu’un a un jour pris un exemple parmi d’autres pour en faire une généralité. C’est ainsi qu’on se retrouve avec pas mal de confusion et de polémiques un peu bêtes. Néanmoins, si le conseil a été si populaire à un moment donné et qu’il s’est propagé, ça vaut le coup de se demander pourquoi, même s’il nous semble à côté de la plaque : la plupart du temps, il y a quelque chose de vraiment intéressant derrière.

M’enfin, ce n’est que mon avis…


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