Spécifique Vs Générique

« Au sujet du concept de personnage générique, tu ne pourrais pas être un peu plus spécifique ?
— Ah ah !
— Non, mais… sérieux ?
— Ah. »


J’ai plusieurs fois opposé sur ce blog les concepts de personnage spécifique et générique, et on m’a interrogé là-dessus. L’occasion de revenir sur ces notions.

Je te conseille régulièrement de caractériser tes personnages majeurs sur la base du thème/message que tu souhaites développer. Ce n’est pas une tâche aisée, mais l’effort en vaut la chandelle : si tu réussis, tu mettras en place un cercle vertueux. Les personnages aideront à comprendre le thème > le thème permettra de cerner les personnages > les personnages alimenteront le thème > etc.

Ainsi, quand je te conseille de créer des personnages spécifiques, il faut donc bien entendre « personnages spécifiques à ton histoire ».

Le but n’est pas d’avoir un personnage « original », loufoque ou excentrique, le but est qu’il soit parfaitement adapté au thème que tu souhaites développer. Car s’il n’a aucun lien tangible avec ton thème, il n’est pas vraiment fait sur mesure pour ton récit. C’est ce que j’appelle un personnage générique : tu pourrais l’échanger par n’importe quel archétype du même genre, ton intrigue n’en pâtirait pas. Ce n’est pas une bonne chose : ta galerie de personnages pour une histoire donnée devrait ressembler à une dream team ; comme si tu choisissais le meilleur joueur pour chaque poste d’une équipe. Ils ne doivent pas être aisément remplaçables.

Concrètement ?

Imaginons que tu inventes un récit de fantasy et que tu souhaites développer un personnage de magicien. Si tu ne te fixes pas d’objectifs précis, consciemment ou inconsciemment, tes premières idées seront inspirées de personnages de magiciens célèbres. Dans ta tête se bousculeront Merlin, Gandalf et autres Dumbledore, accompagnés de stéréotypes et clichés divers. Je n’ai absolument rien contre les stéréotypes, au contraire : ils représentent une base solide pour la création de personnages, ainsi que des références. Mais si tu te laisses aller à créer un personnage sans chercher à l’adapter au récit que tu veux mener, tu es bien parti pour faire du générique : sans but précis, un magicien en vaut bien un autre.

Imaginons que l’on cherche à écrire un roman sur le thème de la liberté. Tu as là des pistes de travail : ton magicien a-t-il déjà été captif ? De façon littérale (d’une prison) ? De façon plus figurée (d’une relation, d’un métier, de son art) ? Est-il libre aujourd’hui, ou toujours lié ? À moins qu’il ne soit lui-même le gardien d’un prisonnier ? Qui, pour quelle raison, quelle relation entretient-il avec lui ?

Imaginons maintenant que ton roman souhaite aborder le thème de la maladie. Tu te rends bien compte que les fondements de ton personnage seront différents ? Le magicien est un guérisseur ? Est-il malade lui-même, ou au contraire confronté sans cesse aux douleurs d’autrui alors que sa magie l’immunise ? Et s’il était lui-même vecteur d’une maladie rare ?

Je te ne brosse ici que les premières questions qui me viennent à l’esprit : en développant le cœur du personnage en rapport avec le sujet de ton histoire, tu le rends immédiatement spécifique à celle-ci. Peu importe que tu lui attribues un caractère de vieux grincheux, une longue barbe blanche et un bâton noueux : tu ne peux déjà plus l’échanger par Gandalf. Et si tu déclines tous tes personnages majeurs d’un même thème, tu obtiens une galerie de personnages spécifiques, interconnectés, avec des possibilités d’interactions et de développements gigantesques qui iront toujours dans le bon sens.

Alors qu’à contrario, si tu n’as pas cette réflexion thématique, tu peux toujours t’escrimer à lui trouver un nom cool, un caractère décalé ou un style vestimentaire particulier : ce n’est pas cette apparence d’originalité qui en fera un personnage spécifique à ton histoire. Certes, le remplacer au pied levé par Dumbledore modifierait bien quelques descriptions ou lignes de dialogue, mais sur le fond, ton récit n’en serait pas bouleversé.

Une impression de déjà-vu…

Remémore-toi le dernier polar que tu as lu : n’as-tu pas l’impression que l’intrigue se serait déroulée exactement de la même façon avec un autre détective ? Toutes ses comédies romantiques ne te semblent-elles pas toutes les mêmes, avec des rôles féminins comme masculins complètement interchangeables ? Et ces séries policières américaines : n’est-ce pas pour cela qu’on adore tant les épisodes de fin de saison, quand les histoires sont soudain étroitement liées aux héros (à leurs faiblesses, leurs passés, leurs familles) alors que pour les quinze épisodes précédents, on aurait pu échanger les enquêteurs sans aucune conséquence sur l’intrigue ? Et toutes ces suites de films ratées, parce que le premier épisode était vraiment construit sur mesure, et qu’on souhaite tout à coup raconter une autre histoire en gardant les mêmes personnages ?

Je ne sais pas te le dire mieux : pour tes personnages majeurs (protagoniste, antagoniste, alliés…), pense « thématique », lie-les par un sujet commun, celui de ton histoire. Fais-en des personnages spécifiques à ton récit, irremplaçables… et qui, ailleurs, sembleraient hors contexte.

M’enfin, ça ne reste que mon avis.


« Nous, ça va, on n’est pas interchangeables.
— …
— On l’est ? »


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(15 commentaires)

  1. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, alors corrigez-moi si je me trompe. Dans l’idée, un personnage est « spécifique » grâce à son histoire ? Peu importe le caractère, l’habit ou le nom, si son histoire ne peut exister que dans notre récit, alors cela fait de lui un personnage original, dit « spécifique » ?
    Si j’ai bien compris alors je trouve ça très intéressant. Cela me fait voir les choses sous un angle nouveau pour mes personnages. Je m’évertuais à travailler leur personnalité pour les rendre différents de ce que peut voir d’habitude, je n’avais jamais songé à les observer à travers leur histoire. Merci bien !

    J’aime

  2. Oui, c’est un peu l’idée : les auteurs cherchent frénétiquement l’originalité dans le sens « je ne veux pas faire comme les autres », mais c’est épuisant et peu productif. A mon niveau, j’essaie d’être « personnel » : je me choisi un thème, un sujet à traiter, et je me focalise dessus pour tout. Univers, personnages, intrigue, tout doit « transpirer » mon thème. Non seulement cela ouvre un nombre de portes extraordinaires au traitement de l’histoire, mais en plus le récit devient personnel, même si d’apparence certains lieux ou personnages peuvent sembler tout à fait classiques ou ordinaires.

    Je connais des auteurs qui ne sont pas de cet avis, mais pour moi, tout comme on ne peut pas raconter une histoire sans personnage, on ne peut pas prétendre avoir créé un personnage sans l’intrigue qui va avec. C’est une paire indissociable (un triptyque même, si on ajoute l’univers du récit, càd le temps et le lieu où se déroule l’action).

    Merci de ce commentaire et à bientôt !
    🙂

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  3. C’est intéressant de considérer ses personnages comme une « dream team » pour mon histoire. Je trouve qu’il rejoint et complète le conseil de Brandon Sanderson : quand il veut ajouter un personnage à son histoire, il le créer d’abord puis regarde s’il s’intègre bien à l’intrigue et à l’histoire. Si ce n’est pas le cas, il le laisse tomber et repart sur un autre personnage.

    À titre personnel, je sais que j’aime bien partir de mon personnage (et son évolution), et bâtir mon intrigue là-dessus − même si je ne fais pas tout le temps ça !

    Aimé par 1 personne

    1. Il existe plein de façons de démarrer la conception d’une histoire, et partir du protagoniste est l’une d’elles. Bâtir ton intrigue sur ton protagoniste t’assure qu’il est bien au centre de ton récit, et c’est très bien. Mais quid des *autres* personnages ? C’est là ou cet article (ou le conseil de Sanderson) entre en jeu. Si je peux me permettre de continuer sur la l’analogie de la dream team, j’ai envie de dire qu’une histoire, c’est un sport d’équipe. Concevoir les personnages comme un réseau, où ils sont liés les uns aux autres, mais aussi avec le thème et l’univers, me semble utile pour la cohérence globale.
      🙂
      Bonne écriture !

      J’aime

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