Dialogues (1/2) : accents et vocabulaire

« Ah, c’est nous ça !
— Quoi, tu as un accent toi ?
— L’accent français. Surtout quand je parle anglais. »


 

Je participe, comme l’an passé, au MOOC « Écrire une œuvre de fiction » de DraftQuest. Sur le forum, nous avons récemment discuté des dialogues, et Louise Caron (auteur, mooqueuse d’expérience, et spécialiste du théâtre) a publié un long article dédié à cette thématique (merci Louise).

Histoire de ne pas être en reste, je voulais ajouter un petit complément, qui va bien me tenir deux articles. Le premier concerne les accents et le vocabulaire.

Les accents s’entendent… mais ne se lisent pas

Il y a une manie que beaucoup d’auteurs en herbe ont du mal à perdre : celle de vouloir faire apparaître des accents ou intonations dans l’écriture de leurs dialogues.

Ex : « C’est po moa ! »

Premièrement, c’est moche. Secondement, cela casse la fluidité de lecture et sort le lecteur de la fiction, car il doit faire un effort pour comprendre le sens de la phrase (il sera peut-être même obligé de la relire) ; un dialogue complet écrit de cette manière devient vite éreintant. Troisièmement, cela donne (malgré toi) une image négative de celui qui parle, comme s’il n’était pas capable de s’exprimer correctement (cela s’appelle de la discrimination). Quatrièmement, c’est absurde : un accent est juste une différence de perception auditive. Un marseillais s’adressant à un autre marseillais n’entendra aucun accent. C’est toi, auteur, qui perçoit « mal » ce qui est dit. Il n’y a aucune raison de ne pas respecter l’orthographe normale de la phrase, et d’écrire : « Ce n’est pas moi ! »

Autre sale habitude : user et abuser des apostrophes, souvent dans le but de souligner le manque d’éducation d’un personnage.

Ex : « J’vais chercher l’pain, j’reviens. »

Il ne faut pas se leurrer : à part peut-être Stéphane Bern, nous parlons tous comme cela au quotidien, quel que soit notre niveau d’éducation. Si nous voulions être réalistes dans la transcription dialoguée d’un vrai échange, nous devrions mettre des apostrophes partout. Ce serait, comme dit plus haut, à la fois moche et difficile à lire. Dans cet exemple encore, il n’y a aucune raison d’écrire autre chose que « Je vais chercher le pain, je reviens. »

Tu crois quoi ? Que le script du film « Bienvenue chez les ch’tis » a été rédigé intégralement en simulant l’accent du nord à l’écrit ? Les acteurs n’y auraient rien compris. À part pour souligner des jeux de mots spécifiques à certaines scènes, les dialogues ont été conçus dans un français correct. Pense à ton lecteur : épargne-lui ces marques d’amateurisme.

Cela ne t’empêche pas de préciser qu’un personnage parle avec un accent, mais fais-le de façon plus élégante. Par exemple :
— Je vais très bien, merci énormément.
La façon dont elle roulait ses r trahit ses origines espagnoles. J’étais sous le charme.

Vocabulaire : régionalisme et argot

Par contre, tout ce qui est de l’ordre du vocabulaire n’appartient pas qu’à l’oral. Voilà une belle façon de faire chanter la langue de ton personnage ! Qu’il s’agisse de termes régionaux ou d’argot, on est dans la situation inverse : il ne faut pas se priver de les utiliser.

Ex : « Ne me raconte pas de carabistouilles, biloute ! » ou encore « Peuchère, mais il y a dégun ici ! ».

Le danger N° 1 est de mal les utiliser, et de ne pas placer les termes à bon escient. Il faut alors se documenter ou se faire aider par quelqu’un « qui connaît ». Le danger N° 2 est d’utiliser tant de mots peu communs que le sens des phrases en devient obscur. Prends garde à doser, en aidant le lecteur à comprendre grâce au contexte ou aux réponses des autres personnages.

L’un de mes amis, Jean-Marie Schneider, a écrit plusieurs polars (le premier s’intitulant « L’affaire de l’Alycastre », publié aux Éditions du Scribe D’Opale), dont une partie du charme tient à l’usage de la langue. Les enquêtes se déroulent du côté de Bandol ou de l’île de Porquerolle, et le langage des personnages est particulièrement riche et fleuri… mais bon, c’est écrit par quelqu’un du cru, qui s’y connaît.

En conclusion

Écrire des dialogues n’est pas si facile qu’on le pense, et c’est un vrai travail. Ne le sous-estime pas, et ne joue pas la facilité en improvisant des accents à l’aide de « — euh » inconvenants ou d’une pluie d’apostrophes. En plus d’enlaidir ton texte, cela trahira ton manque de compétence. Cherche plutôt à t’enrichir des beautés de la langue et de sa diversité.

M’enfin, ce n’est que mon avis.
😉

Dans le prochain article je resterai dans cette thématique en parlant de l’usage des langues étrangères… et (comme j’écris de la fantasy) des langues inventées.


« — Tdou dja twa ?
— C’est de l’orc ?
— Non, c’est un jeune qui parle. »

 

 

(9 commentaires)

  1. Bien le bonjour,
    je voulais vous remercier pour cet article. Je ne suis pas écrivain mais j’aime beaucoup lire et je n’avais jamais fait attention à ce sujet. C’est sont des remarques que je tr

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  2. Moi, j’aime bien, et lire et écrire des accents amusants, même ratés, des RRRRusses pleins de « RRRRRR » des portugaiche chuintés, les soudaméricains, surtout dans un polar bien saignant entre deux massacres au taille-haie, ça détend ! Par contre le parler « p’tit neg » des romans ricains du dixneuvième me hérisse littéralement!!

    Aimé par 1 personne

    1. Je n’ai pas souvenir récent d’un auteur professionnel s’amusant à cela, à part peut-être Jasper Fforde (mais dans un registre plus comique, où ces originalités sont plus acceptables :)). Après, tout est affaire de goûts je suppose, mais en tant qu’auteur il faut se méfier de l’effet que ça a sur les lecteurs… @+ Jean.

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  3. J’avoue que je pêche souvent. Je trouve les régionalismes moins contraignant que les notes. Si je ne comprends pas, je passe. Les tics de langage me servent à identifier le personnage qui parle et à éviter des incises que je trouve encore plus moches.

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  4. De toute façon il n’y a pas de règle absolue : il faut surtout penser au lecteur. Le dialogue doit avant tout rester lisible et compréhensible pour lui. Trouver le juste milieu entre colorer le discours et le transformer en charabia n’est pas forcément simple, mais je persiste dans mon conseil : travailler le vocabulaire propre du personnage fonctionne mieux que de créer de faux accents en transformant des voyelles ou en faisant pleuvoir les apostrophes… mais c’est aussi plus difficile et demande plus de recherches. 🙂

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