« Ce sont ces introductions ridicules qui me font pitié.
— N’en as-tu donc aucune ? »
C’est l’un des objectifs majeurs d’un auteur : faire en sorte que le lecteur s’attache à son personnage. Or nous savons que :
1) le protagoniste principal, de par sa nature, sera confronté à de nombreux obstacles ;
2) nous autres humains compatissons lorsque nous voyons quelqu’un qui affronte une adversité (bases de psychologie).
Ainsi en théorie, l’attachement au protagoniste devrait être automatique : il va rencontrer des difficultés, et donc nous nous attacherons à lui. Pourtant, dans certains livres, ce n’est pas le cas. Soit cela est dû à un manque d’obstacles, soit le protagoniste nous agace, et nous avons envie de lui filer des claques. Nous ressentons pour lui un sentiment ambigu : de la pitié.
Pas de pitié pour les personnages
La pitié est un sentiment qui rend sensible aux souffrances, au malheur d’autrui. On pourrait donc croire que c’est un sentiment intéressant à faire ressentir au lecteur. Hélas, ce n’est pas le cas : même composée d’une grande partie de bonne volonté, la pitié est une proche alliée du mépris, qui est une forme de dégoût. Il s’agit d’une expérience émotionnelle trompeuse : notre pitié s’adresse à des personnes pour lesquelles nous n’avons pas d’estime. Par définition, une personne dont nous avons pitié n’est pas à la hauteur de nos standards. Si elle nous fait pitié, cela induit un sentiment de supériorité à son endroit : nous considérons qu’à sa place, nous nous en sortirions mieux qu’elle. Nous sommes donc loin de « l’attachement » que l’auteur est censé tisser entre personnage et lecteur.
En bref : si le lecteur a pitié de ton protagoniste, c’est perdu.
Les causes
Si un bêta-lecteur dit que ton personnage principal est agaçant, la plupart du temps, c’est qu’au fond il ressent de la pitié à son égard, d’une façon ou d’une autre. Il est alors fort probable que cela provienne de la conjonction des éléments suivants :
1) ton personnage n’est pas responsable de ses malheurs (ou, à minima, il bénéficie de solides « circonstances atténuantes ») ;
2) ton personnage reste passif face aux événements, et/ou se complaît dans sa faiblesse, et/ou passe trop de temps à s’en plaindre.
De la responsabilité
En dramaturgie, on dit souvent que les meilleurs éléments perturbateurs sont ceux qui viennent du personnage lui-même ; de ses choix, de son caractère, de ses attitudes, de ses désirs. Or, beaucoup d’auteurs n’osent pas jouer de cela : ils aiment trop le personnage pour rendre la cause de ses ennuis « interne » à celui-ci. Le personnage n’a pas de défaut, le pauvre, c’est juste qu’il n’a pas de chance dans la vie !
Pourtant, le rendre responsable de ses malheurs a deux énormes avantages :
1) cela lui offre la possibilité d’évoluer (un élément important en dramaturgie),
2) cela gomme l’aspect de fatalité, qui est un si bon terreau pour la pitié.
Si tu as un problème de pitié autour de ton personnage principal, demande-toi donc d’où viennent ses principaux ennuis : du hasard, du « pas-de-chance », du destin ? Si oui, tu as ici une piste à creuser. Dès que tu poses un fardeau sur ses épaules dont il n’est pas responsable (une malformation de naissance, une maladie rare, une prophétie millénaire, ou une simple « enfance difficile » – celle-là, on la voit à toutes les sauces), dis-toi que le risque de provoquer la pitié existe. Tu dois alors être très vigilant sur le second point…
De la réactivité
Le second point, c’est la relation que ton personnage entretien avec son fardeau (qu’il soit interne ou externe). Deux cas font encore grimper les risques de pitié :
1) s’il s’en plaint (en particulier oralement lors de dialogues).
Dans la vraie vie, on tend facilement l’oreille aux proches (famille, amis). Mais lorsque c’est quelqu’un qu’on connaît peu, la situation devient vite gênante voire pénible. Or, le personnage du roman n’est PAS de notre famille. Assister à ses confessions et complaintes peut vite devenir un moment de malaise (c’est extrêmement difficile de raconter ses souffrances à la première personne sans tomber dans le mélodrame, et il faudra tout ton talent d’auteur pour que ton personnage s’exprime sans passer pour Calimero).
2) si le personnage ne lève pas le petit doigt pour résoudre ou surmonter son problème.
Exemples : le personnage a un problème relationnel avec sa mère et se contente d’éviter ses coups de fils ; le personnage est alcoolique, se maudit pour ça, et se bourre la gueule chaque soir ; le personnage est malade, joue la victime, et s’enferme dans sa chambre en refusant de prendre son traitement ; etc.
Si ton personnage principal inspire la pitié de tes lecteurs, retire donc les dialogues « pathos » (tu disposes d’autres options narratives pour exposer l’information au lecteur), et montre que le personnage fait des efforts par rapport à sa problématique. Note bien qu’il n’a pas besoin de réussir : tu peux (pour les besoins de ton récit) faire en sorte qu’il échoue. Mais qu’il essaie le fera automatiquement remonter dans l’estime du lecteur, et l’attachement remplacera la pitié.
Règle Pixar #1 : Vous admirez les personnages pour leurs tentatives de réussir plus que pour leurs réussites effectives.
Au final, si tu créés de bons obstacles à opposer à ton personnage, et que tu fais en sorte d’éviter tout risque de pitié, tu abats toutes les barrières qui pourraient s’opposer à un attachement du lecteur pour ton protagoniste. Si en plus tu fais en sorte qu’on l’aime…
M’enfin, ce n’est que mon avis.
Edit du 01/11/2017 : dans un article publié par l’éditrice Agnès Marot, celle-ci place « la passivité du personnage principal » et « la surprotection du personnage principal » en deuxième et troisième places des raisons pour lesquelles elle refuse des manuscrits. Cela vaut la peine d’y réfléchir, non ?
« Dis, tu m’aimes ?
— Oh, pitié… »
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Hello 🙂
Voilà un article qui me trotte dans la tête depuis quelques jours, et qui m’a fait beaucoup réfléchir :). Ce que tu dit est parfaitement censé, et pourtant, je ne peux pas m’empêcher de constater que parfois, j’aime m’apitoyer sur certains personnages (c’est mon point de vue, mais je soupçonne de ne pas être la seule). Ce fameux personnage battu par ses parents etc etc, le bad boy avec ses blessures… Certes, la plupart du temps c’est cliché, et pourtant, on aime ça. D’ailleurs, très peu de personnages, dans les fictions, ont un passé heureux, où alors c’est pour mieux l’avoir perdu, juste parce qu’on aime que nos personnages soient abîmés. C’est parce qu’on aime s’apitoyer qu’il y a des tas de fanfictions qui débordent de pathos et de discours larmoyants… d’ailleurs, n’est-ce pas le propre de la tragédie? terreur et pitié, disais l’autre.
Après, là où je te rejoins totalement, c’est que c’est dangereux de tomber dans ces eaux là, parce que si le personnage ne fait que se plaindre et ne vas pas combattre, il perd tout de suite toute la sympathie du lecteur.
Donc… bein je ne sais pas, je médite encore la question U.U
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Attention hein, il ne faut pas me faire dire ce que je ne dis pas : le personnage peut tout à fait avoir un passé douloureux (et comme tu le dis, c’est fréquemment le cas dans de nombreuses histoires). Ce que je dis, c’est que :
1) cette faiblesse-là ne doit pas être le pivot de l’histoire. L’élément perturbateur du récit fonctionnera mieux si ça provient des actes et choix du personnage, plutôt que du « pas de bol, c’est la fatalité, il ne peut pas faire autrement ».
2) il faut être vigilant sur la façon dont on traite ce passé difficile. Tant que le personnage reste actif, tente de s’en sortir, et ne passe pas son temps à s’en plaindre, en général tout va bien.
Donc si tu es en train d’écrire une histoire avec un personnage au passé douloureux, tu n’as pas besoin de changer son background à cause de mon article. En revanche, accorde une attention particulière à ce qui fait basculer le récit (élément perturbateur), ainsi qu’à l’attitude du personnage par rapport à ce passé. Bonne écriture ! 🙂
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Tout ce que tu dis est vrai, important et censé. Cela dit, ironiquement, en citant Calimero, tu inclus l’exemple d’un personnage qui surmonte le piège de la pitié d’une manière originale, en le transcendant et en l’incluant dans son identité comique. C’est aussi possible pour un personnage de roman, je pense.
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Très bien vu ! 😀
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Je suis impressionnée par votre blog ! C’est d’abord l’univers de vos romans qui m’a beaucoup parlé, avec ses influences animistes et le lien fort à la nature qui s’en dégage, je crois que je vais me laisser tenter ! 🙂 Mais aussi et surtout, cette réflexion tout autour de l’écriture bâtie dans cet espace donne beaucoup à penser. Les réflexions sur la fatalité que vous proposez ici m’ont interpellée. Je suis une grande passionnée du tragique et de la tragédie, la fatalité et les épreuves sont des thèmes qui m’obsèdent. Et comme vous le dites bien, un personnage qui se plaint et est surchargé en malheurs ne saura pas intéresser le lecteur, sauf si le narrateur en tire des situations humoristiques et un genre de complicité avec le lecteur. Cela me fait penser à cette phrase de Cyrano, « Non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile… » Il y a du sublime dans les personnages qui agissent jusqu’au bout, parfois même alors qu’ils savent l’immensité de la mécanique contre laquelle ils peuvent être amenés à lutter.
C’est avec plaisir que je vais continuer ce voyage au milieu de vos articles et conseils !
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