Magie : Les Trois Lois de Brandon Sanderson (1/3)

Un auteur en littérature de l’imaginaire est plus qu’un écrivain : il est aussi créateur d’univers. Il imagine des mondes dans lesquels le surnaturel et la magie ont souvent une place de choix. Mais comment créer une bonne magie pour son roman ? C’est la question que s’est posée l’auteur américain Brandon Sanderson il y a de nombreuses années de cela. Ses réflexions l’ont amené a rédiger trois essais, correspondant à trois « lois » qu’il essaie de suivre quand il créé ses magies. Or, non seulement ces essais sont très pertinents, mais en plus ils s’appliquent à l’ensemble du worldbuilding d’un univers de fiction, et pas seulement à la magie.

Cet article présente un résumé de la première loi de la magie de Brandon Sanderson. En bas de page, des liens permettent d’accéder à l’essai original (en anglais) ainsi que de télécharger une adaptation française de mon cru.

La Première Loi

La première loi est fascinante, car elle résout d’emblée le problème le plus épineux lorsqu’on parle de créer un système de magie. C’est la première question que les auteurs d’imaginaire se posent sur la magie : doit-on, oui ou non, en créer toutes les règles de fonctionnement ? Nombreux sont ceux à prétendre que c’est un passage obligé ; pourtant, certains romans de fantasy célèbres nous dépeignent des magies bien floues aux règles imprécises. Alors, quelle est donc la solution à ce dilemme ?

Brandon Sanderson définit sa première loi ainsi :

« La possibilité pour l’auteur de résoudre un conflit par la magie est directement proportionnelle à la manière dont le lecteur comprend cette magie. »

Ce qui signifie en substance qu’il est possible de mettre en scène un système de magie très vague ou très détaillé, mais que cela influe directement sur la façon dont l’auteur désire utiliser la magie dans son récit.

Option 1 : La magie comme un décor

La magie peut servir l’ambiance : c’est l’essence originelle de la fantasy, la magie étant ici synonyme de merveilleux. Dans ce type d’histoire, les personnages principaux ne peuvent pas faire usage de la magie, ou bien elle ne leur est d’aucune utilité pour résoudre les conflits importants du livre. Cela donne à la magie un aspect mystérieux voire inquiétant, une aura mystique. L’auteur n’a pas besoin de créer de règles précises, et il n’a même pas intérêt à expliquer au lecteur comment la magie fonctionne.

L’exemple le plus évident est Le Seigneur des Anneaux de Tolkien : la façon dont Gandalf utilise sa magie est vague. Nous ne comprenons pas vraiment comment la magie fonctionne, et nous ne savons pas précisément ce dont Gandalf est capable ou pas. Pourtant, cela ne pose pas de problème au récit ! En tant que lecteur, nous nous identifions plutôt aux Hobbits, que la magie dépasse et impressionne. Nous nous sentons donc comme eux, et c’est bien l’objectif visé par l’auteur.

Un autre exemple plus récent est la série Rois du Monde de Jean-Philippe Jaworski : Bellovèse est un guerrier, pas un magicien. Tout le surnaturel du livre est conçu de telle manière que ni lui ni nous ne sachions vraiment de quoi la magie est capable. On la craint, on la redoute, et elle sert plus souvent d’obstacles que d’aide – des obstacles que le héros doit vaincre avec ses propres armes, sans avoir recours lui-même au surnaturel.

Option 2 : La magie comme moteur de l’intrigue

Mais peut-être que l’auteur désire autre chose. Peut-être qu’il veut voir le protagoniste se servir de la magie ! Peut-être le héros lancera-t-il des sorts pour vaincre ses adversaires, surmonter des obstacles et sauver le monde. Peut-être que la magie aura un grand rôle dans la résolution finale du livre. Dans ce cas-là, il est nécessaire d’établir des règles précises pour le fonctionnement de la magie ET de les transmettre au lecteur. C’est une question d’identification : si le protagoniste maîtrise la magie, il va vouloir s’en servir pour résoudre ses problèmes, et le lecteur va vouloir réfléchir avec lui à la meilleure façon de le faire. Pour cela, la magie doit suivre des règles logiques et cohérentes, et se révéler plus concrète qu’abstraite, au risque de tenir le lecteur à l’écart du personnage et de l’intrigue.

Un exemple est bien entendu l’œuvre de Sanderson lui-même : dans sa série Fils-des-Brumes, comprendre les tenants et aboutissants du fonctionnement de la magie est l’objectif principal de l’héroïne, puisqu’il apparaît évident que la magie est la clef pour vaincre l’adversaire final. Le système de magie est donc complexe, avec plusieurs règles que l’auteur ne transgresse jamais. En tant que lecteur, nous passons notre temps à réfléchir avec l’héroïne aux meilleures façons d’utiliser la magie et aux énigmes qu’elle pose.

Entre ces deux extrêmes de « magie douce » et de « magie dure », il y a la place pour tout un tas de variations. Sanderson cite Harry Potter de JK Rowling comme un exemple hybride : de nombreux éléments magiques sont flous voire contradictoires, et servent essentiellement à déployer l’aura d’émerveillement des livres ; certains sorts, en revanche, servent à résoudre des moments clefs de l’intrigue. Pour ceux-là, l’autrice prend soin de les présenter à l’avance afin que le lecteur en comprenne le fonctionnement, les capacités et les limites.

L’important pour l’auteur est donc de savoir ce qu’il souhaite faire : plus une magie a un rôle dans la résolution de l’intrigue, plus elle doit suivre des règles précises qui doivent être fournies au lecteur.

Une loi générale de worldbuilding

Dans ses essais, Brandon Sanderson fait la remarque suivante : cette règle s’applique en réalité à l’ensemble du processus créatif d’un univers de fiction, et pas uniquement à la magie. Un auteur doit-il créer précisément le système économique ou politique de son univers de fantasy ? Doit-il, comme Tolkien, créer l’alphabet des langues parlées par des peuples fictifs ?

La réponse est cette première loi de Sanderson : la capacité de l’auteur à résoudre des éléments d’intrigue grâce à un élément du worldbuiling est proportionnelle à la façon dont le lecteur comprend cet élément.

Si l’histoire parle de la succession d’un Empereur et que le protagoniste doit résoudre une intrigue très politique, détailler précisément le fonctionnement du gouvernement est nécessaire ; si l’intrigue repose sur une campagne militaire et que le héros est un officier, détailler précisément les grades et l’organisation de l’armée est capital. Sinon, il y a de fortes chances pour que l’auteur puisse se passer de ce genre de détails.


En conclusion, cette première loi de Brandon Sanderson pour la création d’un système de magie (et de tout le reste, d’ailleurs) nous indique que la magie peut être très vague si l’auteur ne s’en sert que comme un élément d’ambiance ; néanmoins, ce système devra être détaillé, cohérent et robuste si l’auteur désire que son intrigue soit effectivement résolue grâce à la magie.

[Un article « cas pratique » basé sur la série Sandman illustre cette première loi de la magie]

M’enfin, ce n’est que mon avis (et celui de Brandon Sanderson).


L’essai de Brandon Sanderson (première partie) :
Version originale (anglais)
Adaptation française (huit pages)

Les autres lois :
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (2/3)
Les Lois de la Magie de Brandon Sanderson (3/3)

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(14 commentaires)

  1. Merci pour cet article vraiment intéressant (comme tous), je n’y avais jamais réfléchis ainsi 🙂 Je suis une auteure jardinière qui fait 99% du travail d’écriture à l’instinct, et à chaque fois que je lis les articles de ce blog je me rends compte que c’est exactement ce que je fais! J’ai écris de nombreuses histoires se déroulant dans des mondes magiques, et parfois j’ai ressenti un réel besoin d’en expliciter le système, alors que dans d’autres, je l’ai rendue mystérieuse et vague… Maintenant je comprends mieux pourquoi 🙂

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  2. Merci pour cet article ! Brandon Sanderson a aussi donné des cours d’écriture créative vraiment passionnants pendant plusieurs années dans une université américaine. On peut les trouver sur Youtube, et je les recommande pour ceux qui ont un bon niveau de compréhension de l’anglais à l’oral. Et pas mal de temps devant eux, puisque ça représente des dizaines d’heures de vidéos^^.
    Sanderson, en plus d’être un très bon auteur de fantasy est aussi un très bon prof. Ses cours donnent une approche très complète, il ne se contente pas d’expliquer comment lui fait, il pousse ses élèves à expérimenter différentes méthodes et il donne un panorama assez complet des possibilités.
    Oui, je suis assez fan^^

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  3. Votre article bat en brèche pas mal d’idées reçues sur la manière dont on doit mettre en scène la magie ou le surnaturel. Et je trouve très innovante l’approche de Sanderson, surtout dans Roshar. Dans mon roman animalier fantastique/ urban fantasy, l’un de mes personnages humains est né avec des pouvoirs mutagènes mais à côté de ça, il ne fait rien exploser et n’a pas grand-chose d’utile au combat. Contrairement à ce qu’il croit au début, sa magie n’est pas maléfique en soi, à la base il s’agit d’une force de guérison chamanique. Sa fille est devenue plus puissante que lui à force de renforcement physique et de résurrections. Une autre jeune héroïne dispose de pouvoirs télépathiques en lien avec la nature, elle ne contrôle pas les autres êtres vivants pour autant et ne fait rien péter non plus. Son mentor n’est autre que sa tante magicienne et ne lui apprend pas de sorts miraculeux avec des noms imprononçables. Son amie métamorphe peut se faire pousser des extensions pour faire presque n’importe quoi : des tentacules pour attraper une pomme dans l’arbre, par exemple. En fait l’essentiel de la magie vient des animaux totems, des milieux naturels (rivières, volcans, friches…) et des arbres sacrés.

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