« Tes personnages sont si réalistes ! On dirait de vraies personnes.
— Vraiment ? »
C’est la phobie des auteurs novices, et la promesse des guides que l’on trouve sur internet, des blogs de conseils en écriture, des formulaires de cent questions auxquelles répondre pour donner forme à ses personnages : créer l’égal de la vraie vie.
Cet objectif te semble à la fois louable et évident ?
Personnellement, je le pense dangereux, voire contre-productif.
Permets-moi d’établir un ou deux parallèles.
On dit parfois que « la réalité dépasse la fiction ». On s’exclame cela lorsque, exceptionnellement, une situation s’est déroulée selon un schéma narratif si parfait qu’on pourrait la croire rédigée par un brillant dramaturge. On sous-entend ainsi que, d’ordinaire, la vraie vie n’est pas aussi palpitante, nos péripéties quotidiennes jamais aussi trépidantes et intéressantes, que ce qu’on peut voir en fiction. Un récit de fiction est toujours mieux construit et plus cohérent qu’un fait divers. Ce n’est pas pour rien que le journalisme moderne raconte des faits d’une façon qui laisse parfois à penser que nous sommes au cinéma…
Second parallèle : la rédaction de dialogues. Tous les guides et tous les écrivains sont d’accord sur ce point : un dialogue de fiction ne doit pas émuler une discussion réelle. Dans la vraie vie, nos échanges oraux sont pleins de choses inintéressantes, de blancs et d’hésitations, d’interjections inutiles, de répétitions, etc. Un dialogue de fiction est toujours mieux construit, mieux argumenté, plus clair et cohérent qu’un dialogue réel.
Eh bien, à mon sens, il en va exactement de même d’un personnage de fiction : un auteur fait sans doute fausse route à vouloir créer l’égal d’une vraie personne. Au contraire, il doit garder en tête qu’il simule. On « fait semblant ». Parce qu’un personnage de fiction doit absolument avoir deux qualités que n’ont pas forcément de vraies gens :
— être compréhensible ;
— être adapté à l’histoire.
Premièrement, une vraie personne est un ensemble extrêmement complexe, qu’il serait bien présomptueux de vouloir égaler par la fiction. « Connaître son personnage par cœur », « le maîtriser parfaitement » ? Allons, soyons sérieux ! Même si nous prônons le contraire, nous connaissons très mal nos proches, ne comprenons pas toujours notre propre conjoint(e), et beaucoup de gens ont besoin d’un psy pour se connaître eux-mêmes. Nous sommes le fruit de plusieurs milliers de journées emplies d’expériences diverses. Nous sommes contradictoires, versatiles, et incohérents : tout ce qu’un personnage de fiction ne peut pas se permettre d’être. Si on souhaite que le lecteur ait de l’empathie pour le personnage et s’y identifie, il doit pouvoir le cerner. Le personnage ne peut pas sembler brouillon, sous peine d’être jugé « mal construit ». À la moindre incohérence, l’auteur sera flagellé sur l’autel de l’incompétence. Un personnage de fiction est comme un dialogue de fiction (à commencer par le fait qu’il parle via des dialogues de fiction !) : il est mieux construit, plus clair, et plus cohérent qu’une vraie personne. Même un personnage ambigu est « clairement ambigu », si tu vois ce que je veux dire.
Secondement, un personnage de fiction doit être intéressant. Or, personne n’est intéressant tant qu’il ne lui arrive rien. Tout comme le décor, un personnage de fiction est un outil que l’auteur crée sur mesure, pour mettre en œuvre son récit. Il y a donc une logique derrière sa création, liée à l’histoire que l’on s’apprête à conter, au thème que l’on veut aborder… là où une vraie personne est le fruit du hasard et n’a pas de but prédéfini.
Ainsi, vouloir créer un personnage de fiction en répondant bêtement à des questionnaires types trouvés sur internet, c’est faire tout le contraire de ce qu’il faudrait : on accumule plein de petits détails qu’on est tout fier de coucher sur papier, mais qui n’ont pas de liens ni entre eux ni avec l’histoire. Et comme l’auteur est prompt à céder au péché d’orgueil, il va avoir envie d’utiliser toutes ces informations inutiles dans son récit, afin de prouver qu’il a vraiment poussé loin sa création. Cela débouche souvent sur des personnages fouillis et inintéressants. Certes, ça ressemble à de vraies personnes… mais justement : peut-on dire pour autant que la mission est accomplie ?
Non, ne jette pas encore tes questionnaires de personnages à la poubelle ! Dans quelques jours je te démontrerai que c’est un outil qui ne fonctionne pas, mais plus tard je t’expliquerai qu’ils ne sont pas totalement inutiles non plus (1).
(1) Je suis contradictoire, mais j’ai le droit : je ne suis pas un personnage de fiction.
Personnages de fiction Vs Vraies gens (2/3)
Personnages de fiction Vs Vraies gens (3/3)
Personnages de fiction Vs Vraies gens (Bonus Track)
Ah ben non ! J’étais toute contente d’avoir des personnages assez corrects depuis que j’utilise les questions, tu détruis toutes mes illusions.
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Je trouve l’outil dangereux (j’expliquerai plus en détail pourquoi dans le prochain post). Mais comme tout outil, l’important est surtout la manière de l’utiliser. Comme je le note en conclusion de ce post, ne jette pas encore tes questionnaires à la poubelle ! 😉
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Je n’ai fait des fiches des personnages qu’en jeu de rôle mais j’imagine que ça doit être agréable à faire pour ceux de sa fiction. Il va falloir que tu sois convainquant pour m’en empêcher d’essayer ;)). J’avais beaucoup aimé ce que A.El Aswany avait dit sur son rapport aux personnages, au salon du livre de Paris l’an dernier. Je te colle mon compte-rendu de la discussion ;p : « »La fabrique de l’histoire » Pierre Lemaître issu du roman policier et Alaa El Aswany, 2 auteurs dont le roman a été classé par d’autres dans le genre roman historique ont expliqué que l’époque importait finalement peu du moment que les personnages étaient réalistes. L’important est que le lecteur réussisse à s’identifier aux personnages car ils font échos à ses propres ressentis car les hommes ont une certaine universalité de comportement quelque soit l’époque.
Pour accéder à ça, P.Lemaître maîtrise ses personnages et son histoire qu’il a besoin de construire minutieusement tandis que A. El Aswany laisse parfois ses personnages l’emporter vers une voie qu’il n’avait pas prévu au départ. J’ai beaucoup aimé le rapport à l’écriture de l’auteur de « L’automobile club d’Égypte », il a plusieurs histoire qui dorment en lui et il explique qu’il écrit l’une d’elle comme on tombe amoureux d’une femme sans raison définissable, soudain il sent qu’il doit écrire une histoire, celle-là et pas une autre. P.Lemaître lui exprime tout autre chose, il a une histoire en cours et seulement une. »
C’est sans doute un cliché mais l’auteur est un peu tous ses personnages, ils puisent leur complexité en lui.
Je découvre souvent des parties de l’histoire de mes personnages en cours d’écriture, un CV malléable ça donne matière à se laisser surprendre, plus de futurs possibles ! Mais tu peux te faire une belle fiche et la modifier en cours de route. Et puis, rien que pour les magnifiques enveloppes de personnages de @Cieldorage ce serait dommage de réprimer cette pratique. 🙂
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Je n’essaierai nullement de t’empêcher de créer des fiches de personnage, au contraire : en tant qu’auteur architecte, je n’imagine pas un instant me passer de cet outil (en plus, moi aussi j’ai un passé de rôliste ;)). Comme je le sous-entends déjà dans ce post, ce n’est jamais un outil qui est « mauvais » ou « bon » en soi, c’est la façon de l’utiliser. J’en dirai plus dans les prochains billets. 😉
Ton compte-rendu exprime bien les différences de pratiques qu’il peut y avoir d’un auteur à l’autre, et les deux que tu cites me semblent de parfaits stéréotypes de jardinier et d’architecte. Mais la vérité, que tu soulignes dans tes dernières lignes et que je martèle dans mon texte, et qu’un auteur ne peut jamais connaître parfaitement son personnage. Essayer n’a aucun sens et éloigne l’auteur du seul objectif qu’il doit avoir : créer le bon personnage de fiction pour son récit. A bientôt !
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En effet, certains reprocheront à un personnage complexe, rempli de contradictions et aux réactions parfois absurdes d’être mal construit (j’en ai fait l’expérience). Mais d’autres types de lecteurs (j’en ai fait l’expérience aussi) trouveront toute la beauté du roman dans ce personnage qui a l’air trop humain pour être fictif, parce que parfois il change d’avis sans raison, il doute, il choisi ce qui est absurde. Et enfin d’autres comprendront que cette façon d’empêcher l’identification est justement faite pour pousser le lecteur à aller voir au-delà de l’histoire de surface. Donc la vraie question, avant toute construction de personnage, est, je pense, celle-ci : à quoi le personnage va t il servir, bon dans l’histoire, mais dans le roman ? Et alors la construction changera complètement. Je ne pense pas que les grands formulaires soient mauvais en soi. Le roman qui veut montrer la vanité de la vie quotidienne à travers un personnage alourdi de détails inutiles sera sans doute beaucoup aidé.
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« Donc la vraie question, avant toute construction de personnage, est, je pense, celle-ci : à quoi le personnage va t il servir, bon dans l’histoire, mais dans le roman ? » > nous sommes complètement d’accord. 🙂
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Je partage votre point de vue! Un bon auteur, par le biais de son personnage, rend le lecteur un fin psychologue. Il focalise la perception du lecteur et l’aiguise pour que le diagnostic du personnage, dans une situation tendue, soit instantané et clair. L’écrivain épargne au lecteur les éléments inutiles pour ne lui livrer que les aspects frappants de la personnalité du personnage. Rien ne doit arrêter la fluidité de la lecture. Ce procédé accroche le lecteur et déclenche chez lui des impulsions émotives. Le but de tout écrivain c’est de joindre, avec art, des mots. Ces mots se transforment en partition possédant un ton précis! Le lecteur, par l’usage de ses sens, devient alors ce superbe interprète d’une belle symphonie…
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