[CAS PRATIQUE] Descriptions

« C’est vrai qu’on n’a jamais dit à quoi tu ressembles !
— Facile : je ne ressemble à rien. »


Comme souvent, ce billet est inspiré des bêta-lectures que je réalise pour des comparses auteurs. Quand je commence à faire des remarques identiques à des personnes différentes, c’est qu’il y a matière à dire. Aujourd’hui, parlons descriptions.

« Jean m’attendait à l’entrée du village. Il devait avoir chaud, habillé en pantalon et chemise. Il m’escorta pour me faire visiter : les maisons étaient toutes identiques, alignées les unes à côté des autres, de mêmes tailles. L’endroit restait verdoyant et ombragé, grâce aux nombreux arbres. Les gamins qui couraient derrière des animaux en liberté, les oiseaux dans le ciel, ce vieil homme qui grignotait un en-cas en s’essuyant les doigts sur ses vêtements : j’aimais déjà l’endroit. »

Voici donc une description. Elle souffre d’un défaut particulier. Parviens-tu à l’identifier ? Non ? Alors ferme les yeux, et essaie de visualiser la scène. Si tu réussi à voir quelque chose, tu disposes d’une imagination débordante (ou d’une excellente paire de lunettes), car la description de l’auteur est floue.

Le souci de cette description est que l’auteur n’utilise que des termes génériques. Jean est habillé en pantalon et chemise ? C’est le cas d’un type en jean et chemise de bûcheron. C’est aussi le cas d’un type en pantalon de costume et chemise blanche. Maisons, arbres, animaux, vêtements : ce sont des termes génériques.

Testons deux réécritures :

« Jean m’attendait à l’entrée du village. Il devait avoir chaud, avec son pantalon de rando et sa chemise à carreaux. Il m’escorta pour me faire visiter : les cases, toutes identiques, étaient bâties de bois et de terre. Alignées les unes à côté des autres, elles ne devaient pas faire plus de 5m de diamètre. L’endroit restait verdoyant et ombragé, grâce aux nombreux palmiers. Les gamins qui couraient sur la terre battue derrière des poules et des chèvres en liberté, les aigles qui tournaient haut dans le ciel, l’ancêtre souriant qui grignotait une galette d’orge en s’essuyant les doigts sur son sarouel : j’aimais déjà l’endroit. »

« Jean m’attendait à l’entrée du village. Il devait avoir chaud, avec son pantalon à pinces et sa chemise Versace. Il m’escorta pour me faire visiter : les pavillons étaient tous identiques, modernes et couleur saumon, les entrées côte à côte sous des réverbères imitation fer forgé. L’endroit restait verdoyant et ombragé, grâce aux lignées de platanes. Les gamins qui couraient derrière deux chiens sans collier, la nuée d’hirondelles dans le ciel, le grand-père qui grignotait un croissant au beurre en s’essuyant les doigts sur son veston : j’aimais déjà l’endroit. »

Bien sûr, l’exemple te semblera exagéré (il l’est). Il ne sert que d’illustration, mais vois comme les deux descriptions évoquent des lieux totalement différents, sans contredire pourtant le texte initial ! Ces deux réécritures sont à peine plus longues que l’exemple premier. On reproche souvent aux descriptions ennuyeuses d’être trop longues, mais la plupart du temps, l’ennui provient surtout d’un manque de précision. Les mots ne déclenchent pas d’images dans le cerveau du lecteur : celui-ci déconnecte, sort du récit.

Ne dites pas peu de choses en beaucoup de mots, mais dites beaucoup de choses en peu de mots.

Pythagore

Cette maxime n’est évidemment applicable que si l’on choisit les mots avec attention, et que l’on sélectionne ceux qui ont le sens le plus précis possible. Plus le terme choisi est précis, moins il nécessite de compléments et d’explications, et plus il percute l’esprit du lecteur avec une image mentale claire (cf. l’article Montrer plutôt que raconter). Si je demande à dix personnes d’imaginer un bateau ou une voiture, je provoque dix images différentes. Si je demande d’imaginer un voilier ou une voiture de sport, les images vont se ressembler un peu plus. Si j’utilise les termes catamaran et Ferrari…

Bonne description = un visuel + un sentiment

Le principe du travail sur l’image, ce n’est pas de donner tous les éléments d’une scène, mais de fournir suffisamment de détails pour que le lecteur :

  1. complète le tableau de lui-même ;
  2. éprouve un sentiment.

Et c’est ce mot qui est important : sentiment. Que le lecteur visualise la scène n’est qu’un objectif intermédiaire. La finalité, c’est ce qu’il en éprouve.

L’exemple traité ci-dessus vise un même objectif, quelle que soit la version proposée : montrer que le personnage arrive dans un lieu dans lequel il se sent bien. La description sert donc 1) à poser les fondations du visuel, sur lesquelles le lecteur va construire son image mentale, 2) à faire comprendre que le lieu plaît au personnage. La description évoque d’abord un visuel, puis un sentiment, et ce sentiment sert la caractérisation du personnage narrateur. Ce sont les deux composantes de la description : visuel et sentiment.

La description, affaire de narrateur

Comprends-tu bien que le protagoniste de notre histoire a peu de chances d’être le même dans les deux versions du texte ? Se sentir à sa place dans un village de brousse, ou dans une banlieue pavillonnaire, ce n’est pas la même chose. La description d’un lieu dépend tout autant du lieu lui-même que du narrateur qui en parle : une « description objective », cela n’existe pas. Un même lieu pourra être présenté de façon complètement différente selon qui raconte l’histoire : l’auteur ne s’attardera donc pas sur les mêmes éléments. Idem pour les descriptions de personnages, d’objets, etc.

« Jean m’attendait à l’entrée du village. On étouffait, ici. Il m’escorta pour me faire visiter, et je me sentis aussitôt perdu au milieu de ces pavillons identiques et sans charme, peints de couleurs pastel comme les maisons de poupées de ma fille. Pour apporter un peu d’ombre, les promoteurs avaient choisi des platanes : j’éternuais une puis deux fois, et fouillais ma poche à la recherche de kleenex. Des oiseaux que je ne connaissais pas tournaient dans le ciel tel des vautours. Des mômes chahutaient et taquinaient deux gros chiens qui ne portaient ni laisse ni muselière. Je me réfugiais derrière Jean : à peine arrivé, je rêvais déjà de repartir. »

Dans cet extrait, le lieu n’a pas changé. Le personnage, en revanche, n’est plus le même, et en conséquence la description non plus.

Il est à noter que c’est tout aussi vrai avec une narration à la troisième personne : un narrateur omniscient a son propre caractère, et sa propre façon de décrire les choses ; une narration focalisée se concentre sur un personnage du récit, et les descriptions sont donc censées suivre le ressenti de ce dernier (c’est justement ainsi qu’on repère un auteur qui ne maîtrise pas ce distingo : ses descriptions n’ont pas de « voix »).

Prends le temps de visualiser la scène, avec les yeux de ton narrateur. Que vois-tu ? Comment te sens-tu ? Et surtout : que vois-tu qui provoque ce sentiment ?

Conservez les détails qui vous impressionnent le plus, ceux qui vous paraissent les plus clairs, laissez de côté tout le reste.

Stephen King

Terminons sur deux extraits :

Une multitude d’érables et de chênes.
Des horizons de mélèzes.
D’infinies perspectives d’épinettes et de bouleaux, tout échevelés de brume.
La grande forêt nordique qui emplit la vue dans toutes les directions, de toute sa platitude, et expire en silence les éons de solitude : Vyanthryr la noire.
Il n’a pas fallu trois jours pour qu’elle nous communique l’impression diffuse de ne plus appartenir au peuple des hommes, mais à son règne étrange et intouchable, qui frémit tout autour de nous, à des centaines de lieues à la ronde.

Manesh : Les Sentiers des astres, tome 1 (extrait)

Stefan PLATTEAU

La description de la forêt est relativement courte, mais très précise : si tu demandes à dix peintres de la brosser, il y a fort à parier que les tableaux se ressembleront beaucoup, jusque dans le choix des couleurs (pourtant non mentionnées). On voit, et on ressent.

Depuis ce sommet, où une roche usée crevait çà et là une marée de bruyères, nous avons découvert la ville osisme. Retranchée derrière ses murs de terre, de bois et de pierre, elle occupait une hauteur contrôlant un vaste plateau, où alternaient des prairies et des lopins cultivés. Avec ses toits de chaume nichés dans un panorama verdoyant, Vorgannon paraissait petite et paisible ; mais le filet scintillant d’une rivière, qui venait sinuer au pied du plateau, en faisait une forteresse facile à défendre. Des fumées épaisses montaient d’un quartier où l’on travaillait le métal. Des troupeaux de vaches paissaient les près qui descendaient jusqu’au cours d’eau. Albios, le seul d’entre nous à connaître la région, nous avait assurés qu’il s’agissait d’une place royale ; et à voir la situation et la richesse de la cité, nous ne pouvions que lui donner raison.

Même pas mort : Rois du monde, première branche (extrait)

Jean-Philippe JAWORSKI

La description du village, plus détaillée, n’est pas non plus interminable, et nous apporte des informations de contexte importantes pour le récit : outre le visuel qu’elle dessine dans notre esprit, elle nous donne le sentiment d’une place prospère et forte, au potentiel militaire. Elle nous aide à comprendre le monde et les personnages, par exemple en nous expliquant ce que signifie « être riche » dans cet univers.



[Tu veux soumettre une description à la sagacité des lecteurs du blog ? Poste-la donc en commentaire ! Fais court, précis, et évoque-nous (montre-nous) beaucoup de choses avec peu de mots !]

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(20 commentaires)

  1. Comme poster ses mots n’est pas toujours facile, et que je ne peux pas vous demander certaines choses sans montrer l’exemple, voici la (quasi) scène d’ouverture du roman « Le déni du Maître-sève » :

    « Peinte aux couleurs de l’automne, la sylve s’étendait sur des milliers d’hectares. Pour la traverser de part en part, le trajet s’éternisait, oppressant, aux pieds de troncs colossaux plusieurs fois centenaires. La pénombre donnait l’impression de visiter un monument antique et déserté, et si un rai de soleil oblique perçait le feuillage rougeâtre et dépouillé, il avait allure d’accident, comme s’il s’insinuait entre les éclats d’une fenêtre brisée. L’illusion d’infini se voyait renforcée par l’étrange disposition des arbres, alignés en files interminables dans une rigueur surnaturelle.
    L’explication s’en trouvait fort simple : la Forêt de Hel avait été plantée à la main, en ordre strict, graine après graine. En ces contrées, le mot cimetière ne signifiait rien, mais aurait convenu à merveille.
    Ici, on enterrait les morts, et les morts poussaient. »

    Mémoires du Grand Automne : Le déni du Maître-sève, tome 1 (extrait) / Stéphane ARNIER

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  2. Merci pour cet excellent article ! Les exemples sont très parlant, surtout les premiers. Je n’avais jamais réfléchi aux descriptions sous cet angle et je me ferais un plaisir de faire attention à ce point lors de ma correction (à l’écriture, j’ai tendance à écrire des généralités et en plein nano, je doute de pouvoir me permettre de réfléchir en profondeur).

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    1. C’est comme beaucoup de choses en écriture : au départ, on travaille ces éléments de façon un peu mécanique (et en effet, plutôt en réécriture). Ensuite, ça devient plus automatique et instinctif, et cela vient dès le premier jet. Il faut prendre le temps de faire son apprentissage. Bon courage pour le NaNo ! 🙂

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  3. Merci pour ce nouvel article. Ils m’intéressent de plus en plus, car tout est didactique, un point précis, des exemples, apprendre à réfléchir par soi-même. Ça me donne envie de faire partie d’un groupe d’écriture 🙂 J’essaie d’écrire un peu tous les jours, et j’alterne personnage/description/action/histoire. Pour la description, jusqu’à présent je me concentrais sur l’utilisation des différents sens. Je vais intégrer ces exigences de vocabulaire précis et de ressenti 🙂

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    1. Le très bon point, quand on se concentre sur les sens, c’est qu’on se focalise sur ce que ressent le personnage : cela aide déjà beaucoup à ne pas « sortir » du rôle, à ne pas décrire avec une voix désincarnée d’auteur, mais bien par le point de vue du protagoniste. Tu es sur la bonne voie ! Après, c’est l’expérience, et surtout les lectures d’auteurs que tu apprécies, qui t’aideront à trouver « ton » équilibre.
      🙂

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  4. La description de mes personnages, c’est ma bête noire. Mais j’ai bon espoir qu’avec le temps et le travail, ça finira par s’arranger.

    Je rêve de pouvoir écrire un jour, un truc du genre :
    « Le sergent responsable était originaire du Yorkshire. Atteint d’une légère claudication due à la goutte, il avait des yeux rieurs. »
    PAF !
    in Du sang et du miel, de Graham Hurley.
    Toujours dans le même roman et du même auteur :

    « Le médecin était un petit homme propret avec de grosses lunettes et des mains impeccables »
    RE-PAF !
    Voilà. Concis et efficace. J’adore.

    Ton article est vraiment intéressant, il aide à fixer l’essentiel.
    Un grand merci pour le partage de connaissances.
    Bon dimanche à toi 🙂

    « Ici, on enterrait les morts, et les morts poussaient. »
    Belle image !

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    1. Il y a aussi un facteur à prendre en compte : les goûts. Tu sembles apprécier le concis et le percutant. Savoir choisir un ou deux éléments seulement pour définir un personnage (ou un lieu) est un excellent exercice. Parfois, une ou deux idées courtes donnent une impression plus « juste » qu’une description de dix lignes. Quelquefois, ce n’est pas suffisant. Cela dépend de tant de choses ! De l’importance de l’élément décrit, du point de vue du protagoniste et de son caractère, du moment de la description (parfois on a le temps de prendre son temps, parfois on ne peut se permettre de couper l’action en cours). C’est un art difficile, ou il n’y a aucune « vérité ». Merci de ton commentaire illustré ! 🙂

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  5. Bonjour, Stéphane! J’ai découvert ton blogue depuis peu, et j’aime vraiment les sujets abordés. C’est fascinant de réfléchir à ces questions! Et, parfois, de pouvoir apporter un point de vue complémentaire, voire opposé… Car, ici, je suis désolée, mais je ne suis pas d’accord avec ton analyse, ni avec le remède que tu proposes!

    Je n’ai pas eu grand mal à m’imaginer la scène dans ton 1er extrait soi-disant « fautif »; et pourtant, je n’ai vraiment pas beaucoup d’imagination (c’est mon point faible en tant qu’auteure!). Par contre, forcément, j’ai dû présumer d’un certain contexte… Je conviens que l’extrait seul ne permet pas d’être sûr-e de l’interprétation à donner aux mots, mais, dans le cadre d’un récit plus vaste, où le contexte est donné, clair et connu de la lectrice, ce « problème » n’existe pas!

    Rester vague dans une description n’est pas forcément un défaut. En revanche, être trop précis est beaucoup plus gênant… C’est pourquoi tes 2 premières réécritures sont, à mon sens, bien pires que l’extrait de départ. Pourquoi? Je te renvoie à ton propre article sur la narration en « je » (même si je n’adhère pas à tout ce que tu y dis non plus; je voudrais écrire un article en réponse, et je te donnerai le lien lorsqu’il sera publié). Ces réécritures nous sortent complètement de la tête du narrateur, et sont en contradiction criante avec l’utilisation de la 1e personne, parce que la manière pointilleuse et exacte de tout décrire est artificielle au max! On ne peut pas croire une seconde que quiconque pense, perçoive ou ressente les choses en ces termes…

    Par ex, comment le narrateur pourrait-il savoir que la chemise est de marque Versace sans regarder l’étiquette? Et comment savoir que le croissant est fait avec du vrai beurre juste en voyant un homme le manger? C’est du bullshit. Quant à « case », ça confère une coloration exotique à l’endroit, et ça ne marche donc que si la narrateur est un étranger occidental. Si le décor lui est au contraire normal et familier, il se réfèrera bel et bien aux habitations comme à des « maisons », parce que c’est le terme générique qui, dans son référentiel à lui, se trouve désigner des cases. Le narrateur se doit de s’exprimer avec ses mots, dans la limite de ses connaissances (en fait, pas tout à fait, justement, mais c’est trop complexe pour entrer là-dedans ici). Si, à ses yeux, les oiseaux ne sont que des oiseaux, alors c’est ainsi qu’il faut les décrire.

    En fait, je suis d’accord avec la seconde partie de ton article, où tu mets en avant la subjectivité du narrateur et le sentiment. Mais cela n’a rien à voir avec le fait d’être flou ou précis! Au contraire, je dirais que plus on reste flou au niveau des détails factuels, plus on peut se concentrer sur le sentiment. Le problème de cet extrait n’est pas qu’il est flou, mais que le lecteur reste en dehors du sentiment évoqué par le narrateur. Puisque tu mentionnes le « show, don’t tell » : bien que le narrateur nous affirme qu’il aime l’endroit, la lectrice ignore totalement en quoi et pourquoi et, par conséquent, ne parvient pas à partager ce sentiment.

    Proposition de réécriture : « Il m’escorta pour me faire visiter : l’atmosphère, à la fois tranquille et vivante, me rappela ma propre enfance heureuse dans les montagnes. Je me sentis immédiatement chez moi. » Et hop! Plié, c’est rangé. À moins qu’ils aient une incidence sur la suite du récit, on se fout des arbres, des gamins et du vieux… Autre possibilité : « Il m’escorta pour me faire visiter. Après les évènements étranges qui m’étaient arrivés ces derniers jours, la simplicité ordinaire qui émanait de ce décor rural agit comme un baume sur mon cœur. » Voilà deux exemples qui prouvent qu’on peut être évocateur sans être précis pour autant (et même qu’être vague peut aider à l’évocation).

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    1. Bonsoir,
      Même si je ne partage pas ton avis (cf ci-dessous), je suis curieuse de lire tes propres articles et je vais passer faire un tour sur ton blog 🙂

      Dans ton exemple : »Après les évènements étranges qui m’étaient arrivés ces derniers jours, la simplicité ordinaire qui émanait de ce décor rural agit comme un baume sur mon cœur. » J’apprend des choses, mais je ne vois rien. Normal : il ne s’agit pas d’une description. Alors, on peut décider d’en mettre ou de ne pas en mettre, mais je n’appelle pas ça une description. Pareil pour ton autre exemple  » l’atmosphère, à la fois tranquille et vivante, me rappela ma propre enfance heureuse dans les montagnes. » : tu analyses, tu déduis, mais tu ne me permet pas de voir la scène. Je fais comment pour imaginer une « atmosphère » ? Ou une « simplicité rurale » ? Tu évoques des choses, mais tu te reposes sur le lecteur pour les imaginer. Moi, ça me va, je préfère des évocations qu’une description vide, mais c’est pour ça que je préfères les deux versions de Stéphane à la première : même si le trait était un peu forcé (il l’a lui-même avoué), elles étaient plus parlantes pour visionner la scène.

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    2. Bonjour Jeanne !
      Un grand merci pour ta (longue) intervention qui soulève des points intéressants. Il me semble que, derrière notre désaccord de façade, il y a beaucoup de points sur lesquels nous nous rejoignons (d’ailleurs j’ai parcouru plusieurs de tes articles liés à l’écriture, et je suis plutôt d’accord avec tout ce que j’y ai lu).

      Pour commencer, je tiens à souligner quelque chose : nous sommes d’accord pour dire que mes exemples sont des caricatures. Ce ne sont bien que cela : des exemples, fournis sans contexte, servant à illustrer le propos. Alors, oui, *évidemment* : si tu donnes un contexte à l’exemple 1, il peut être compréhensible. Et oui, *évidemment* (et je l’ai dit dans l’article) aucune des réécritures proposées ne trouveraient leur place dans un vrai livre (l’avalanche de détails ultra-précis est grotesque). Le but était de conserver un même format de phrases et de montrer toute la différence que donnait le choix des mots en fonction du dégré de précision de ceux-ci (bateau > voilier > catamaran).

      Ceci dit, tu écris :
      « Le narrateur se doit de s’exprimer avec ses mots, dans la limite de ses connaissances (en fait, pas tout à fait, justement, mais c’est trop complexe pour entrer là-dedans ici) »

      Étant donné ce que tu ajoutes entre parenthèses, je penses qu’au fond nous sommes d’accord (rires). Oui, c’est la théorie, sauf qu’en pratique nous savons très bien que ce n’est pas vraiment vrai. Seuls les détails (à condition qu’ils soient bien choisis, nous sommes d’accord) permettent au lecteur de « voir » la scène.

      En conséquence, je suis obligé de ne pas être d’accord avec la fin de ton commentaire. A mon sens ce qui est important c’est le LIEN qu’il y a entre le visuel et le sentiment. C’est ce lien qui caractérise le personnage. Je n’ai peut-être pas assez insisté là-dessus. Pourtant c’est bien cela la formule = description + sentiment. Tout commme une « description neutre » n’a pas d’intérêt, se contenter d’exprimer un sentiment sans donner le visuel, c’est du pur raconté (abstrait).

      « Il m’escorta pour me faire visiter : l’atmosphère, à la fois tranquille et vivante, me rappela ma propre enfance heureuse dans les montagnes. Je me sentis immédiatement chez moi. »

      >> Si dans ton livre tu as passé tout un chapitre à raconter dans le détail l’enfance montagnarde du personnage, cette phrase peut effectivement suffire (le lecteur fait le lien, ça évite les redites).
      >> Mais si ce n’est pas le cas, l’erreur est double : non seulement tu ne nous montres rien du lieu où se trouve actuellement le personnage (comment je fais, moi lecteur, pour l’imaginer ?) ; mais en plus tu rates une belle occasion de caractériser le personnage en nous montrant à quoi ressemblait son enfance. Cela signifie quoi, pour le personnage, « une enfance heureuse dans les montagnes » ? Me le montrer m’en dirait beaucoup sur le personnage et m’aiderait à le cerner (= job de l’auteur). En l’état, je n’ai qu’une formule abstraite, du pur raconté.

      Mais en fait, c’est Alicia qui a raison : tes propositions ne sont pas des descriptions, et nous dérivons en fait de l’article original (qui était « comment faire pour écrire une description qui fonctionne ? »). Tu soulignes le fait qu’il n’est pas toujours utile de tout décrire tout le temps. C’est très (très) vrai… mais ce n’est pas la question ici.

      @ bientôt !
      🙂

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  6. Arrivé ici depuis chez Julien Hirt, et très intéressé par ces réflexions, je propose à mon tour une description :

    Campé sur le pavé bossu, l’homme se tient dans l’ombre de l’auvent du magasin, dos à la rue brûlante de soleil. Ni grand ni petit, ni gros ni maigre, ni vieux ni jeune, il fait face à la vitrine où de grandes lettres au dessin compassé et à la teinte passée annoncent en majuscule : antiquités ; puis, en dessous et en minuscule, expertise-brocante-dépôt-devis gratuit.
    (la suite, au cas où : https://carnetsparesseux.wordpress.com/2015/08/26/vis-a-vis/
    🙂

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    1. Personnellement, j’adore ! Nombreux détails fins qui évoquent une ambiance. Le personnage n’est pas vraiment décrit et laisse le premier rôle à la boutique (c’est elle le protagoniste principal). Merci de ce partage ! À bientôt 😊

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  7. Allez, je suis joueur, je joue avec ma life et j’ose commenter la description du maître…

    « Peinte aux couleurs de l’automne, la sylve s’étendait sur des milliers d’hectares. »

    La première phrase me pose un problème de point de vue. Je ne sais pas encore si on est en narrateur omniscient ou en 3ème personne focalisée, du coup je me demande s’il me faut imaginer cette sylve vue par en-dessous depuis le sous-bois, ou bien si au contraire je suis mentalement en train de la survoler façon Yann Arthus-Bertrand, ce que suggérerait l’information selon laquelle elle s’étend sur des milliers d’hectares (c’est une formulation qui fait très « géographe »).
    Cette information sur l’étendue de la forêt est-elle racontée par un personnage point de vue qui nous livre une information abstraite dont il a connaissance ? Ou bien nous est-elle montrée par notre Yann Arthus-Bertrand de narrateur omniscient ?
    Si cette phrase est bien la phrase d’ouverture du roman, en tant que lecteur je buggue, j’hésite, je m’interroge… et je ne m’immerge pas d’emblée.

    Bien sûr, dès la phrase suivante, l’évocation de la traversée au pied des troncs centenaires place la caméra une bonne fois pour toutes. Ouf ! On sait enfin où on est. 😉 Du coup, on déduit qu’il s’agit vraisemblablement d’une narration focalisée sur un personnage qui connaît la superficie de la forêt. Dès lors, on n’interprète correctement la première phrase qu’à titre rétrospectif. Quitte à livrer une comparaison qui accuse mon âge, cela m’apparaît comme l’équivalent narratif du double demi-tour du siège d’Actarus au moment de descendre dans Goldorak (un sujet qui fait jaser sur internet depuis 40 ans ! 😆) ; je reste dubitatif sur l’efficacité du procédé.

    Ceci étant posé, si la sylve est « peinte aux couleurs de l’automne », comment expliquer que le feuillage soit aussitôt décrit comme « dépouillé » ? Ce dépouillement me semble d’ailleurs contredit par la « pénombre » et le fait que le soleil ne pénètre que par quelques maigres « rais accidentels qui s’insinuent »… Un feuillage dépouillé ferait-il un barrage si efficace à la lumière ? Ou est-ce à dire que ce sont les troncs eux-mêmes qui sont responsables ? Ils doivent alors être bien serrés et s’élever bien haut. Si haut que le feuillage dépouillé n’est sans doute plus trop visible, si ce n’est comme d’indistinctes et minuscules ombres chinoises, très loin là-haut, dont on serait bien en peine de dire si oui ou non elles sont peintes aux couleurs de l’automne…

    Mais la critique est aisée, l’art est difficile !
    À mon tour de jouer le jeu et de soumettre cette description ronflante au feu des critiques :

    « Une fois que la population de Boissy eu reluqué les appétissants cuissots des majorettes (en tout bien tout honneur, Monsieur le maire !) et que les flonflons patriotiques de l’harmonie municipale se furent tus au grand soulagement des esgourdes buxériennes, un quarteron d’élus transpirants gravit pesamment l’estrade dressée sur le champ de foire pour abreuver quelques vagues notables endimanchés de flatteries sirupeuses, leurs administrés de radotages interminables, et l’État de doléances larmoyantes.

    D’aucuns commençaient à croire ça n’en finirait jamais et lorgnaient avec inquiétude sur le somptueux buffet qui flétrissait à vue d’œil sous le cagnard de juillet, pour l’instant au seul bénéfice des mouches qui avaient quitté le cul des vaches du Père François dans le champ d’à-côté, et qui, en nombre sans cesse croissant, ornaient les rondelles de sifflard et les pâtés en croûte de reflets verts nacrés, couvraient les pâtes de fruits de manteaux bourdonnants, et constellaient les meringues de chiures noires les faisant vaguement ressembler à des manteaux d’hermine royalistes. »

    La folle journée de la veuve Quatremain (extrait) / Tyrell JACODSEN

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  8. Je sais, c’est un vieil article, mais j’ai tellement de retard que pour moi c’est du neuf.

    En tant que lecteur, je m’accommode assez facilement du flou. En l’occurrence, le tout premier exemple ne m’a pas spécialement choqué.

    Ceci étant dit, grâce à ton article, je comprends bien mieux une remarque que j’avais reçu de la part d’un bêta lecteur. J’ai parfois la description un tantinet trop télégraphique et floue. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas.

    Et pour finir, je prête mon flanc pour quelques minutes, c’est pour la critique…

    « Il y a parfois d’étranges fruits dans les arbres, c’est moi qui vous le dis. Le plus étrange que j’ai jamais ramassé avait deux bras, un pantalon kaki et une paire de rangers. C’était un jour d’août 1944, dans un chemin creux tout près de chez moi. Je regardais attentivement où je posais les roues de la bicyclette de ma mère, parce que les rustines étaient chères en ce temps-là et que cette Hirondelle était le seul moyen de transport de toute la famille. C’est pour cela que je l’ai vu si tard, suspendu au grand chêne. Il pendouillait comme un gland en costume d’aviateur. Il paraissait mort avec ses mains bouffies et violacées qui pendaient mollement le long de son corps. J’ai pensé qu’il devait sécher là depuis deux jours. J’avoue que j’ai failli passer mon chemin, mais quand une libellule s’est posée sur son nez, il s’est réveillé. Je ne savais plus vraiment comment réagir. »

    PS: Et merci pour l’extrait du grand Automne. C’est une lecture prévue de longue date, mais un petit teaser, c’est pas de refus.

    Aimé par 1 personne

    1. Salut, et désolé pour le long délai de réponse, c’était mes vacances estivales ! 🙂
      Les descriptions, ça reste un vaste sujet, essentiellement parce qu’il est quasiment impossible de qualifier concrètement une description comme étant « bonne » ou « mauvaise » : comme souvent en écriture, le but pour l’auteur est surtout de parvenir à écrire la description dont il a besoin. Le but de l’article est essentiellement de montrer à quel point l’usage de mots plus précis peut changer l’ambiance et le ressenti du lecteur, mais tout dépend ensuite de l’importance de la scène, du temps que l’auteur souhaite allouer à la scène, du ton du livre, etc. Sans autre contexte, je trouve que la description que tu as mise en commentaire fonctionne très bien ! Mais une scène trois fois plus longue et détaillée pourrait fonctionner aussi, selon les cas. Personne d’autre que l’auteur lui-même peut décider que le résultat convient à ce qu’il souhaitait véhiculer.
      Mais ton extrait sonne bien, pour moi, justement grâce à quelques éléments « précis » qui vont bien dans le contexte : la raison de la prudence du narrateur (les rustines étaient chères), la marque de la bicyclette (Hirondelle), la nature de l’arbre (un chêne), le mini-évènement qui réveille le soldat (une libellule s’est posée sur son nez), etc. Ces différents éléments apportent des touches de netteté à la scène et la rendent réelle. La description n’a (à mon sens) pas besoin d’être plus élaborée ou complexe pour véhiculer ce qu’elle a à véhiculer.
      Bonne écriture !

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