J’ai déjà parlé de descriptions sur ce blog, par exemple en évoquant le montrer/raconter, ou encore en parlant d’adapter sa description à sa narration. Si tu suis aussi le scribblog de Scribbook, tu as pu lire les adaptations françaises des fabuleux articles de l’éditrice Chris Winkle sur les descriptions. Néanmoins, un échange récent m’a donné envie de centrer un article sur un point précis et concret, et pas très difficile à appliquer : l’importance d’utiliser à la fois des généralités et des détails. Viens, on en parle.
Quand on décrit un décor, on se heurte à plusieurs difficultés : ne pas faire trop court ou trop long, distinguer ce qu’il faut dire ou taire, dans quel ordre présenter les éléments, ne pas rester trop général ni surcharger de détails, etc. Fondamentalement, quand tu dois peindre un grand tableau pour une scène, tu as deux grands outils à ta disposition :
- Tracer les grandes lignes du sujet (fournir des généralités, des impressions, etc.)
- Fournir des détails évocateurs (le plus souvent des exemples de choses intéressantes qui ressortent de l’image, des « zooms » sur un point particulier, etc.)
La ligne entre les deux est parfois floue, mais – pour le salut de l’argument – disons que certaines parties de la description servent soit à l’un, soit à l’autre.
Associer les deux
Par exemple, voici un extrait de Fils-des-Brumes, de Brandon Sanderson.
Vin s’essuya la lèvre tandis que Camon s’éloignait en se dandinant. Le maître des voleurs était très convaincant dans ses habits de noble. C’était le costume le plus riche que Vin ait jamais vu – avec une chemise blanche sous un gilet vert foncé aux boutons d’or gravés. Le manteau noir du costume était long, selon la mode actuelle, et Camon portait un chapeau noir assorti. Des bagues scintillaient à ses doigts et il portait même une canne de duel d’excellente qualité.
La première moitié du paragraphe jusqu’à « jamais vu » fournit le contexte général (Camon est en fait un voleur déguisé en noble, et le costume a une apparence très riche). Le reste donne les détails du costume pour illustrer ladite richesse.
Les écrivains ont moins de difficulté avec les généralités, car c’est évidemment plus facile : la plupart d’entre nous doivent plutôt faire des efforts pour être plus spécifiques. Dans de nombreux textes de novices, les descriptions ne contiennent que des grandes lignes ou des généralités racontées – elles ne sont pas aussi intéressantes ou immersives qu’elles pourraient l’être. Par exemple, voici une description lue récemment que j’ai remaniée pour qu’elle ne soit pas reconnaissable, mais dont j’ai conservé la structure et les défauts :
Nous entrons dans une petite pièce. Aussitôt, ma main monte à mon nez : l’odeur est si puissante qu’elle me pique les yeux. Les murs sont bardés d’étagères métalliques chargées de divers contenants en verre. Certaines sont vides, mais la plupart sont remplies d’un liquide brun rougeâtre dans lequel trempent des masses noires indistinctes. Je déglutis en grimaçant.
Beaucoup de choses sont vagues et imprécises dans cette description : l’allure de la pièce, le type d’odeur, les tailles et formes des contenants, la nature des contenus. Trop de généralités, pas assez de spécifique. Il est probable qu’un « zoom » sur une ou deux fioles en particulier donnerait un autre cachet à la description, par exemple. La vie d’une description se situe le plus souvent dans les détails.
Un peu de contexte
Pourtant, si on conseille souvent aux auteurs d’être plus spécifiques et moins génériques, c’est surtout parce qu’ils ont tendance à faire le contraire, pas parce qu’on peut complètement se passer de généralités. Une description qui ne fournit que des éléments de détails n’est pas forcément une bonne description. Imaginons la description de Brandon Sanderson amputée de ses éléments de contexte :
Vin s’essuya la lèvre tandis que Camon s’éloignait. Il portait une chemise blanche sous un gilet vert foncé aux boutons d’or gravés. Le manteau noir de son costume était long, selon la mode actuelle, et Camon portait un chapeau noir assorti. Des bagues scintillaient à ses doigts et il portait même une canne de duel d’excellente qualité.
Sans les éléments de généralités, la description n’est qu’une liste d’informations sans grand intérêt. On imagine comment est vêtu le personnage, oui, « et alors ? » a-t-on envie de dire. On manque de contexte pour comprendre et interpréter ces détails : on ne comprend pas qu’il s’agit là d’un déguisement, ni que les différents éléments cités reflètent ce que signifie « riche » dans cet univers. Ainsi – quand elle est bien choisie –, la partie générale d’une description permet au lecteur de comprendre l’importance des détails, de leur donner un sens, en plus de faciliter leur visualisation et leur mise en contexte.
Ajoutons à cela qu’une surabondance de détails peut vite conduire à une surcharge du lecteur, en particulier quand il s’agit de détails peu pertinents (taille exacte exprimées en chiffres, position très précise des bras ou jambes d’un personnage, etc.). Quand un auteur fournit de nombreux détails, c’est dans le souci d’être précis, pour peindre une image mentale bien complète, mais en donner trop a alors l’effet inverse : il est souvent plus efficace de trouver deux ou trois détails très évocateurs, et de laisser le lecteur combler les trous.
« Conservez les détails qui vous impressionnent le plus, ceux qui vous paraissent les plus clairs, laissez de côté tout le reste. »
Stephen King
Mais pour que le lecteur sache faire cela sans trop d’efforts, encore faut-il que la description soit organisée et lui permettent de visualiser les différents éléments dans leur contexte…
Mettons un peu d’ordre
Pour faciliter la façon dont le lecteur va appréhender une scène, un autre élément important est l’ordre dans lequel tu présentes les éléments. Cela peut être du général vers le particulier, ou du particulier vers le général : cela provoque alors une impression de zoom ou dézoom. Mais il peut s’agir aussi (c’est même le plus souvent le cas) d’adopter un ordre logique par rapport au point de vue du personnage qui vit ou nous raconte la scène. Ou les deux à la fois.
Par exemple, si un personnage se réveille suite à une perte de connaissance pour apercevoir un visage ami à son chevet, il est logique que la description se focalise d’abord sur l’ami, puis sur la pièce autour (dézoom, ordre logique). Si un personnage entre dans une vaste et magnifique salle du trône, il est logique qu’il ait d’abord une impression générale de la pièce entière, puis qu’il s’attarde sur des détails comme le trône (zoom, ordre logique).
Autre exemple :
La forêt donnait un sentiment de majesté : mille rais de lumières perçaient les frondaisons tandis qu’un reste de brume sinuait dans l’herbe ; de petits oiseaux d’un bleu vif virevoltaient dans l’air et zigzaguaient entre les troncs ; un énorme rocher couché dans la mousse donnait l’impression d’un golem endormi ; depuis les branches hautes pendaient d’honorables barbes de lichens ou de diaphanes toiles d’araignées.
Cette description donne le tournis : en haut (frondaisons), en bas (brins d’herbe), à une hauteur indéfinie (dans l’air, troncs), en bas (rocher couché), en haut (branches hautes). Pour imaginer cette description, notre œil mental doit sauter partout dans la scène. Ce serait déjà un problème dans une narration omnisciente, mais ça l’est encore plus dans une narration focalisée : on dirait que le personnage a la tête qui bouge dans tous les sens !
Imaginons une réécriture :
La forêt donnait un sentiment de majesté : mille rais de lumières perçaient les frondaisons, soulignaient d’honorables barbes de lichen pendues aux branches hautes ou miroitaient sur de diaphanes toiles d’araignées ; de petits oiseaux d’un bleu vif virevoltaient dans l’air et zigzaguaient entre les troncs ; en face, au centre d’une clairière charmante, un énorme rocher couché dans la mousse donnait l’impression d’un golem endormi, un reste de brume sinuant dans l’herbe autour de lui.
J’ai regroupé tous les détails « d’en haut » pour que le lecteur puisse imaginer la vision dans sa globalité. Cela pourrait aussi refléter le point de vue d’un personnage qui lèverait d’abord la tête sous la majesté du décor pour ensuite regarder plus bas. J’ai précisé où se trouvait le rocher pour réorienter ce détail face au personnage. Enfin je suis descendu au sol. Avec ces ajustements, le lecteur devrait être en mesure de prendre son temps pour imaginer la scène de haut en bas sans trop de difficulté. Terminer la description sur le rocher induit aussi que c’est là l’élément important pour la suite de l’histoire – on s’attend à ce que l’action se poursuive en ce sens. Si l’important dans l’intrigue est la présence des oiseaux bleus, il vaudrait mieux revoir la description pour la terminer sur eux, afin d’assurer la transition entre la description et l’action.
***
Il existe plein de choses à dire sur les descriptions, bien trop pour être résumées dans un unique article… ni dans deux ou trois. Je pense que le plus important est d’abord de penser à respecter sa narration (je te renvoie de nouveau à l’article concerné). Mais le point qui vient juste après, à mon sens, est certainement celui dont je parle dans cet article : savoir illustrer une ou deux généralités qui ont du sens par de judicieux détails évocateurs « montrés »… le tout, dans un ordre qui ne soit pas déroutant et paraisse naturel et logique au lecteur.
M’enfin, ce n’est que mon avis…

Payez-moi un café !
Ce blog publie des articles de dramaturgie et narration depuis 2015. Ils sont en accès libre et le resteront. Ils vous sont utiles ? Participez à ma productivité !
1,00 €