« Cela me rappelle qu’il ne nous a toujours pas décrits, nous.
— Cette narration sous forme de dialogue ne s’y prête pas.
— Dommage !
— Non. »
J’ai encore vu passer sur les réseaux sociaux des demandes de conseils d’auteurs novices pour savoir comment faire une bonne description. Et j’ai été surpris des réponses, forcément très diverses et variées avec plein de suggestions et d’astuces en vrac… mais où personne ne posait la question à l’auteur : « Eh bien ça dépend ! Ton histoire, tu l’écris en quelle narration ? » Or, chaque narration a ses spécificités propres et tu ne peux pas du tout écrire tes descriptions de la même façon à la première personne ou en narrateur omniscient. Petite revue.
À la troisième personne focalisée
Le plus important lorsqu’on écrit à la troisième personne focalisée est de respecter la focalisation : c’est elle qui produit l’immersion, et l’immersion est la principale qualité et raison d’être de cette narration. Une bonne description passe donc par les points suivants :
- Elle se limite à ce que perçoit ou sait le personnage de point de vue (le texte ne peut pas décrire ce que le personnage ne sait pas ou ne voit pas) ;
- Elle est subjective, teintée par les sentiments, les croyances et les valeurs du personnage (si le personnage déteste le lieu où il se trouve, cela devrait se ressentir dans sa façon de le percevoir) ;
- Son déroulement suit la logique du personnage (la description devrait montrer en premier ce qu’il perçoit en premier, ou ce qui est le plus important ou urgent pour lui dans sa situation actuelle) ;
- Elle est factuelle et ne devrait se prêter ni au mystère ni à un lyrisme excessif, à moins que le personnage lui-même ne comprenne pas ce qu’il voit, ou à moins qu’il ait une raison d’être si fasciné par la scène que cela justifie des envolées textuelles.

Dans cet extrait, la description se limite à ce que perçoit Vin ou à ce qu’elle sait du plan des voleurs ; on y ressent son avis ou opinion ; la description « dézoome », s’intéressant d’abord à Camon qui vient de la gifler, puis à la scène autour ; la description est claire et factuelle.
À la première personne
Distinguons deux cas ici : si tu écris à la première personne au présent, cela émule l’immersion de la troisième personne focalisée : une bonne description passe donc par les mêmes points que ceux décrits ci-dessus. Si tu écris à la première personne au passé, la description repose sur des bases différentes.
- Elle peut (et devrait) révéler des informations que le personnage ne savait pas sur le moment mais a appris depuis – en revanche elle ne peut toujours pas raconter des choses que le personnage ignore toujours ;
- Elle reste subjective, mais le personnage narrateur peut avoir pris du recul depuis et teinter sa description de commentaires nuancés ;
- Son déroulement peut être moins linéaire, car la description est choisie par le narrateur afin de rendre son histoire intéressante, et il peut donc volontairement dissimuler une information pour ménager un effet d’annonce, laisser de côté un élément qu’il sait sans importance pour son récit, ou au contraire s’appesantir sur un sujet parce qu’il sait que ce sera utile pour la suite de l’histoire.
- Selon la personnalité du personnage narrateur, la description peut s’étendre volontairement sur des détails, faire dans le lyrisme ou le poétique, faire des ellipses, voire même mentir. Elle peut avoir recours à l’humour si le personnage en est doté.

On ressent ici le recul du narrateur par rapport à la scène tandis qu’il n’est plus très sûr des détails ; le côté « mise en scène » de son récit ; la logique de la scène est plus décousue, reflétant sa mémoire ; elle se focalise sur des points et en élude d’autres, la description étant très floue et non exhaustive sur le décor et les personnages.
En narrateur omniscient
En théorie, cette narration est la plus libre de toute.
- Elle peut informer le lecteur de choses que les personnages ignorent ;
- Elle peut survoler le décor d’une façon plus ou moins objective, ou sauter de personnage en personnage pour user de la multiplicité des avis subjectifs ;
- Elle peut facilement jouer sur l’humour, les métaphores étranges et des décalages satiriques ou anachroniques.
Cela semble vouloir dire que tu peux rédiger tes descriptions comme tu l’entends… mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus.
- Puisque la description n’est ni subjective, ni racontée par un personnage, elle ne peut pas mentir et le lecteur prend les informations données pour argent comptant.
- Sans personnage de point de vue pour « guider » la description, il est plus facile pour l’auteur de tomber dans le piège d’en dire trop ou pas assez, d’accorder une importance énorme à un détail sans intérêt, ou de passer rapidement sur quelque chose auquel le personnage devrait s’intéresser.

La description est externe au personnage, qui ne se décrirait sans doute pas lui-même en ces termes ; elle est plus travaillée et stylisée dans la forme qu’une 3ème personne focalisée ne pourrait se le permettre (à la première personne, il faudrait un personnage narrateur avec un sacré bagout pour parler ainsi). L’auteur est plus libre d’utiliser tout un tas de métaphores et d’effets de style.
Avec des cadres narratifs particuliers
Il existe d’autres narrations, bien sûr (par exemple les récits épistolaires) qui peuvent avoir leurs propres limites, contraintes ou exigences. Globalement, un texte épistolaire suit les mêmes règles que la narration à la première personne, sauf que le personnage narrateur peut changer d’une lettre à une autre. Les cadres narratifs (récits épistolaires, simulation d’article de presse ou scientifique etc.) impliquent souvent qu’ils sont censés être lus par des gens fictifs. Un problème descriptif récurrent est, par exemple, d’avoir à décrire quelque chose que le destinataire est déjà censé connaître. Et alors ? Pas de solution miracle, il faut ruser, le plus souvent en usant de l’action d’un personnage pour expliciter le décor autour de lui.
Quelques généralités quand même
D’une façon générale, s’il n’existe aucune recette miracle pour trouver l’équilibre entre une description « trop courte » et « trop longue », la piste à suivre est globalement de décrire en fonction :
- De ce que lecteur a besoin de connaître pour comprendre et apprécier l’histoire ;
- De ce que le personnage concerné juge important (à la première personne ou en narration focalisée) ;
- De ce que tu pourrais bien dire au lecteur que les personnages ignorent (en narration omnisciente).
Pour conclure, quelques astuces rédactionnelles techniques utiles pour toutes les narrations :
- Privilégie les termes spécifiques et non génériques (« un chêne » ou « un saule », plutôt que « un arbre ») ;
- Montre au lieu de raconter (décrit le visage du personnage en termes positifs plutôt que de seulement dire qu’il est beau ; décrit ce que les personnages mangent plutôt que de simplement dire qu’ils dînent ; décrit les pensées rageuses du personnage plutôt que de statuer qu’il est en colère) ;
- Préfère les formes actives (« sur la colline se dressait une maison » plutôt que « sur la colline il y avait une maison ») ;
- Inclus du mouvement, pense ta description comme une scène de film au lieu d’un tableau ou d’une photo (les feuilles des arbres bougent, les animaux et gens aussi, etc.)
- Utilise les cinq sens (un conseil classique mais toujours valable, en particulier pour les sons et les odeurs).
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Beaucoup de gens prétendent ne pas aimer les descriptions, mais ce n’est pas vrai : tous les livres sont truffés de descriptions, et on ne s’en rend pas compte… tant qu’elles sont bien écrites et restent ainsi transparentes, incluses dans le flot du récit. Il existe plein de choses à dire sur les descriptions, bien trop pour être résumées dans un unique article. Mais la base de la base, avant toute chose, c’est de décrire en respectant la narration qu’on utilise.
M’enfin, ce n’est que mon avis…