Le décor, réelle composante de l’histoire

« Tu es où ?
— Je ne suis pas là. »


On parle souvent de l’intrigue d’un livre, on souligne souvent l’importance capitale des personnages, mais il y a pour moi un troisième côté au triangle d’un bon récit : le décor. Truby appelle ça « l’univers », Lavandier utilise le judicieux terme « d’arène ». Et si on parlait un peu du lieu où elle se déroule, ton histoire ?

Le rôle sous-estimé de l’arène

Trop de récits ne prennent pas assez en compte l’importance du décor, et trop d’intrigues pourraient être téléportées d’un lieu à un autre sans aucun impact. Or, souviens-toi de ce que j’expliquais dans l’article Spécifique Vs Générique : les éléments que tu mets dans ton livre doivent être considérés comme les joueurs exceptionnels d’une dream team. Tu dois choisir chaque élément afin qu’il soit le meilleur à son poste. Il en va de même pour l’univers du récit, qui devrait être considéré comme son socle.

triangle

Certains disent qu’il faut traiter le lieu de l’histoire comme un personnage à part entière. Même s’il y a quelque chose qui me dérange dans cette idée (il est bien rare qu’un lieu évolue et dispose d’un arc narratif), le fond va dans le bon sens, et c’est peut-être bien ce principe fondateur que l’on doit retenir : l’arène a tout à gagner à être choisie, caractérisée et décrite avec le même soin qu’un acteur majeur du récit. Que seraient Harry Potter sans l’école de Poudlard, Batman sans Gotham City ou les hobbits sans la Comté ?

Spécifique Vs Générique (le retour)

Peu importe que l’arène soit vaste (« Dans une galaxie lointaine, très lointaine… ») ou réduite (l’unique chalet de montagne où se déroule l’action du film Les 8 Salopards de Tarantino), le but est de construire ton arène selon les mêmes préceptes que tes personnages, à savoir :
– quels sont les « traits » dont mon arène a besoin pour mon histoire ?
– quels sont ses liens avec la thématique de mon histoire ?

Si ton arène est multiple et que les personnages se déplacent d’un lieu très différent à un autre, les questions sont les mêmes, mais à l’échelle de chaque acte / chapitre / scène. Chaque lieu devient une sorte « d’arène secondaire ».

Dans tous les cas :

  • Pense en termes d’ambiance : quelle atmosphère souhaites-tu, comment la rendre au mieux ? Élabore un visuel, des couleurs dominantes, des sons et des odeurs, des éléments de vie afin que ce décors ne donne pas une impression de carton-pâte figé.
  • Pense en termes pratiques : tu as prévu une évasion mystérieuse, une scène de bal, un huit-clos ? Alors vérifie que ton arène aura les caractéristiques techniques appropriées à ce qu’il va s’y dérouler (un passage secret, une salle de réception, un lieu muni d’une seule entrée ?).
  • Pense en termes symboliques : quel est le rapport au thème ? Est-ce que ce lieu a un passé particulier, un côté symbolique pour l’histoire ? Pour le personnage ? Ce dernier en a-t-il conscience ou pas ?

Penser « arène » t’ouvrira de très nombreuses portes en terme de « jeu d’auteur » : changer une scène de lieu peut complètement la révolutionner. Transposer une intrigue et des personnages dans un autre univers peut tout changer (en mal ou en bien). C’est un cercle vertueux qui est en jeu : l’arène doit aider à cerner les personnages et le thème > les personnages et le thème doivent permettre de donner chair à l’arène > l’arène doit alimenter personnages et thème > etc.

Réel Vs Imaginaire

Bien sûr, en littérature de l’imaginaire, l’univers est à créer de zéro, ou presque. C’est un gros travail pour un auteur, qui offre néanmoins l’énorme avantage du « sur-mesure » : si tu écris en science-fiction ou en fantasy, tu n’as aucune excuse si l’environnement de ton histoire n’est pas adapté à ton récit. Méfie-toi des emprunts ! Trop d’univers de fantasy s’inspirent des décors de Tolkien pour en faire autre chose : est-ce réellement adapté ? Par quel curieux hasard l’univers d’un autre pourrait-il « coller » à ton histoire et ta thématique ?

Mais si tu écris des histoires dans le monde réel, ne crois pas que cet article ne t’est pas destiné : ce n’est pas parce que tu n’inventes pas le décor que tu n’as aucune responsabilité. Tu choisis l’arène de ton histoire, et si tu fais du bon boulot, elle impacte ton récit par ses caractéristiques et son atmosphère tout autant qu’un univers inventé. Placer ton récit à Paris n’est pas la même chose que le placer à Marseille ou à New York. Et chaque quartier, chaque rue, chaque bâtiment peut encore receler une myriade d’arènes différentes. Ne donne pas dans le générique, dans le « lambda » ! Un petit coucou à ma comparse l’autrice bretonne Lynda Guillemaud : de l’île de Bréhat à la forêt de Brocéliande, chacun de ses romans est aussi une histoire de lieu.

Et toi, où se déroule ton histoire en cours ? Ton arène a-t-elle un réel impact sur ton histoire, sert-elle ton thème ? Pourrait-on déplacer ton récit dans une autre arène, ou est-il lié à la sienne de façon intrinsèque, comme une plante rare qui germe dans un sol précis et sous des conditions météos particulières ?

Ne sous-estime pas le pouvoir de l’arène.
M’enfin, ce n’est que mon avis.


« Mon histoire de déroule en Laponie.
— Ah oui ?
— Oui : c’est l’arène des neiges.
— …
— Désolé. »

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(9 commentaires)

  1. Salut Steph, C’est quoi, cette manie de mettre des ‘s’ à décor ???Et c’est pas cool, pour la chanson en fin d’article… Vais me la trainer toute l’aprem, du coup 😦 😉 …J’espère que tu avances bien sur ton tome 3.Gros bisous !!Anne-Lise

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  2. C’est vrai, le décor est important au même titre que les personnages, les dialogues, et l’histoire elle-même. Pour moi, c’est lui qui donne son relief au roman. Il me semble que sans décor, il doit être plus difficile « d’entrer » et de se balader dans l’histoire.
    Je vois que chacun à ses propres mots pour en parler. Arène ? Pourquoi pas. Un mot qui évoque les combats. Je lui préfère le mot de théâtre, alors… ça doit être mon côté féminin.

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  3. Je ne suis pas fan de la terminologie « arène », ni même bien convaincu par « univers », je crois que je trouve que « lieu » suffit. Un lieu c’est toujours beaucoup de choses, présentes et passées. Je fais donc parti de ceux qui vont considérer le lieu comme une espèce de macropersonnage, avec son histoire et son destin en quelque sorte. Bien sûr c’est plus facile de penser comme ça quand on écrit sur un drame familial : la demeure de famille est un membre actif de ce qui se vit sous son toit. Puis j’ai un personnage architecte, donc je suppose que cette sensibilité au lieu est exacerbée par son approche.
    Tu mets aussi le doigt sur un point important : même dans un récit contemporain dont le cadre pourrait être réaliste, on est dans un univers inventé, déformé par la fiction et ses exigences holistiques. Il y a le lieu de la réalité, et il y a le filtre qu’on lui superpose dans la façon dont on va l’aborder, le représenter, l’écrire.

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  4. Ben là, je suis vraiment d’accord! Ton point sur l’ambiance, c’est aussi ce dont je me sers quand vient le temps des descriptions. Je ne suis pas fana de descriptions à priori, mais ça me vient facilement si, au lieu de penser en termes de tableau figé, j’en fais justement une composante à part entière de la scène. Ce que le personnage perçoit de son décor peut influencer son attitude, son comportement, ses pensées…

    J’ai un projet de série contemporaine que j’ai décidé de placer pas trop loin de chez moi, quelque part dans le Canada central. J’aurais bien aimé situer ça dans la région de Montréal, puisque c’est ce que je connais le mieux, mais j’avais justement de la difficulté à plaquer tout un cadre fictionnel sur une réalité qui m’est trop familière, voire intime. Mon cadre s’inspire beaucoup d’un milieu réel que je connais, dans lequel mon conjoint et nos amis jouent des rôles de premier plan, et mon intrigue aurait donc nécessité que je zappe totalement leur existence… pour mettre des personnages fictifs à la place. D’une manière générale, le rapport fictif-réel est très difficile à maîtriser pour moi. D’un côté, tu ne veux pas utiliser une personne réelle dans ton roman, mais, de l’autre, ton milieu est tel qu’il est (et pas autrement) à cause de son histoire réelle, des vraies personnes qui l’ont façonné… Exemple : est-ce qu’on peut parler du MMA au Québec sans parler de Georges Saint-Pierre?

    Je me suis aussi rendu compte à cette occasion à quel point le « worldbuilding » est nécessaire, même (surtout?) en contemporain… Peut-être que je vais un peu loin dans les détails, mais je suis par exemple allée jusqu’à rechercher le prix de l’immobilier dans telle ville spécifique, à telle année, pour que le budget de mes personnages et les choix qu’ils font par rapport à ça (montant de l’hypothèque, qui met combien, le niveau de vie qu’ils peuvent avoir par la suite, etc.) soit réaliste. Pour moi, ces choses ont du sens, parce qu’elles ont un impact direct sur la représentation des classes sociales et de leurs différents dilemmes. Ça me chagrine toujours lorsque je lis un livre où la représentation des pauvres, des riches ou des classes moyennes me semble stéréotypée et non conforme à la réalité sociale.

    Enfin, il se trouve que cette série, c’est aussi un peu ma façon de faire découvrir au monde ma vision du Canada… enfin, d’un certain Canada, justement (les Maritimes, les Prairies, le Grand Nord, c’est encore autre chose!). Les lecteurs européens connaissent souvent très mal l’Amérique du Nord (il suffit de lire la plupart des livres que leurs auteurs situent ici sans y avoir mis les pieds!), et moi j’aime bien mon bout, alors je veux le partager. 😉

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    1. Oui, utiliser des lieux qui existent réellement est souvent délicat pour un auteur : le risque est d’utiliser plein de petits détails parce qu’on les connaît, et non parce qu’ils sont utiles à l’histoire. Il y a un vrai travail de tri, pas facile à faire. Du coup, écrire en gardant à l’esprit cette nécessité d’ambiance, d’atmosphère, de « personnalité » du lieu qu’on décrit, ça peut aider. Merci pour ton long commentaire / témoignage ! @ bientôt 🙂

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