Le voyage du héros : pourquoi on en attend trop (une analogie à base de tartes)

« J’attends trop des tartes ?
Je ne sais pas, tu veux t’en prendre une ?« 

Le voyage du héros (the hero’s journey) est un concept établi par Joseph Campbell, décrit dans son livre Le Héros aux mille et un visages. Le concept de Campbell a été repris et popularisé par Christopher Vogler dans les années 1990. Ce dernier propose alors de bâtir chaque histoire sur la base de 12 étapes clefs. On conseille souvent cette structure de base aux apprentis auteurs, une structure considérée comme étant un classique en narratologie. Présenté comme une structure universelle par les uns, vivement critiqué par les autres, le voyage du héros est devenu un gros flou pour celles et ceux qui écrivent. Une méthode universelle ? Vraiment ? Il se trouve que, comme souvent, défenseurs comme détracteurs se chamaillent sur des aspects peu importants de ce sujet et oublient de discuter les vraies questions. Je te propose une analogie pour essayer d’y voir plus clair.

Revenons au point de départ

C’est surtout Vogler (poussé d’ailleurs par Disney à l’époque, si ma mémoire est bonne) qui a développé l’idée que les 12 étapes identifiées par Campbell pouvaient servir d’outil pour bâtir n’importe quel récit. Car au départ, le travail de Campbell n’est qu’un travail de recherche qui consiste en l’établissement d’une typologie des mythes ; c’est-à-dire que Campbell a étudié de très nombreux mythes et qu’il a tenté d’établir leurs points communs – aboutissant ainsi à ces douze points.

En gros, c’est comme si Campbell s’était dit : « Hum, j’adore vraiment les tartes ! Je vais étudier toutes les tartes que je peux trouver, les classer, les comparer, et essayer de voir quels sont leurs points communs ». Il a alors mis en évidence un certains nombre de similitudes dans toutes les tartes qu’il a étudiées, et a ainsi dressé une sorte de description type du genre :

  1. Il y a une pâte
  2. Elle est étalée en-dessous
  3. Il y a des ingrédients posés dessus
  4. Le tout est cuit au four

Jusqu’ici, tout va bien : ce n’est qu’une liste de points communs. Certes, après ça, Campbell a avancé que cette recette s’appliquait à absolument toutes les tartes du monde, mais laissons donc cette guéguerre entre les défenseurs et critiques du monomythe, on s’en fiche : l’important, ce n’est pas de savoir si toutes les tartes du monde partagent les mêmes caractéristiques ; l’important, c’est de savoir si respecter les caractéristiques d’une tarte garantit de faire une bonne tarte.

La dérive

Car en effet, le vrai problème vient du biais de pensée suivant (plutôt celui de Vogler donc) qui fut de dire : « Ces tartes sont bonnes, et ces tartes partagent ces 12 points communs, donc toutes les tartes qui partagent ces 12 points communs sont bonnes ».

Ce syllogisme, bien entendu, est erroné : c’est faux parce qu’en respectant ces points clefs d’une tarte, mon ami David te fera la meilleure tarte aux pommes que tu aies jamais mangée, mais qu’avec ces mêmes caractéristiques je te ferai une tarte chocolat pastis gruyère mortadelle dont tu te souviendras longtemps aussi (mais pour d’autres raisons).

Le travail de Campbell est un travail d’universitaire. Il souhaitait établir une typologie, et c’est ce qu’il a fait. Il a étudié a posteriori de nombreux mythes, qui étaient en grande majorité des récits d’aventures initiatiques. Faire entrer ton propre récit dans cette typologie te garantit donc une chose : avoir une structure de récit d’aventure initiatique. Point. Tout comme appliquer une recette de tarte ne te garantit qu’une chose : qu’à la fin tu auras une tarte.

En guise d’aparté, je te propose un petit extrait du récent guide d’écriture de Lionel Davoust qui met justement le doigt sur l’un des problèmes des études littéraires (un problème encore plus prégnant en France qu’aux États-Unis) :

« Il existe en France quantité d’ouvrages d’analyse littéraire décortiquant les ressorts d’œuvres de fiction ; notre université est extrêmement compétente dans ce domaine. Hélas, ces ouvrages, avec toutes leurs qualités, sont aussi utiles à l’auteur voulant construire une histoire que le catalogue des ornementations de Notre-Dame de Paris le serait à un maçon désireux de construire une maison. Pour le dire autrement : ils étudient l’œuvre terminée, sa perspective et le contexte où elle s’inscrit, plus rarement sa genèse, et encore moins souvent sa possible méthode. L’auteur debout devant un tas de briques symboliques gisant par terre et bien souvent armé de sa seule passion se situe dans la situation exactement inverse : il ou elle doit définir ce qui n’est justement pas encore, et il lui faut tout un ensemble d’outils radicalement différents de l’analyse a posteriori. »


Comment écrire de la fiction ? (Lionel Davoust)

Cocher une case parmi d’autres

Je te l’ai déjà expliqué dans l’article Apprendre à écrire : à quoi s’intéresser vraiment ? : une bonne structure, c’est utile, mais la structure d’un récit n’est qu’une petite partie de la dramaturgie, et la dramaturgie n’est elle-même qu’une petite partie de ce qui constitue une histoire. Doter ton récit d’une bonne structure, c’est donc important, mais ce n’est qu’une case parmi toutes les (nombreuses) cases à cocher pour faire une bonne histoire.

Si tu écris de la fantasy et de l’imaginaire, tu écris sans doute souvent des histoires d’aventures et d’initiation. Si c’est le cas, je te conseille d’étudier le voyage du héros. Ce n’est pas du temps perdu et cela peut t’aider à structurer tes récits. C’est une structure simple et efficace qui a fait ses preuves, si répandue que les gens y sont bien habitués (et c’est un avantage pour un raconteur d’histoires). Mais respecter cette structure ne te garantit pas que ton histoire sera bonne, juste qu’elle sera bien structurée (ce qui est un pas vers la qualité, mais… juste un pas).

En particulier – restons encore un peu dans les tartes – lister les similitudes entre les tartes permet de parler de plein de choses sauf de ce qui les distingue, comme par exemple les ingrédients que tu mets dedans. Rien qu’en remplaçant des pommes par du concombre (et même si tu fais tout le reste à l’identique) tu obtiendras des résultats très différents. De même, le voyage du héros ne parle ni de thème, ni d’intrigue, ni de conception des personnages. Appliquer les douze étapes de Campbell à une intrigue et des personnages sans intérêt te donnera un récit d’aventure initiatique… mais sans intérêt.

Conclusion

Connaître les caractéristiques propres aux tartes, c’est très utile si tu as envie de faire une tarte (si tu souhaites faire des muffins ou un cake, non).

Connaître les caractéristiques propres aux tartes, ça ne te garantit pas que ta tarte sera bonne (ça, ça dépendra de ce que tu mettras dedans, de ton habileté à exécuter les différentes étapes de la réalisation, etc.)

De façon générale, face à une tâche immense (comme l’écriture d’un roman), l’être humain a une furieuse envie de simplifier le problème. La plupart des auteurs essaient de se convaincre qu’un sujet est plus important que tous les autres et que maîtriser ce savoir-faire unique suffira à compenser tout le reste et à faire un bon livre : certains pensent que la littérature ne repose que sur le style ; d’autres ne misent que sur le plot ; d’autres ne pensent qu’en termes de structure. Tous ont tort. Un bon livre est un puzzle, de plus en plus lisible au fur et à mesure qu’on y ajoute des pièces. Le voyage du héros est un outil qui te permet de structurer une histoire d’aventure, un récit initiatique. C’est tout. Mais si tu écris ce type d’histoire, hey ! C’est déjà pas mal.

M’enfin, ce n’est que mon avis…

(4 commentaires)

  1. « L’espace d’un an » de Becky Chambers ne colle pas du tout au pattern du « voyage du héros ». Même s’il y a un voyage dedans. Pire, l’antagoniste n’apparaît qu’à la toute fin et les héros s’en sortent sans avoir à se battre réellement. L’auteur ne s’intéresse vraiment qu’aux personnages et à leur petite vie quotidienne dans un vaisseau spatial. Pourtant c’est un bouquin qui fonctionne, qui a du succès (et rare sont les déçus, même s’il y en a quelques uns qui ne s’y retrouvent pas, indéniablement). Pierre Bordage le recommande dans une interview, c’est ce qui m’a amenée à le lire. Et j’ai beaucoup aimé, son atypisme radical est vraiment rafraîchissant.

    Aimé par 1 personne

    1. Des TAS de livres possèdent des structures différentes de celle-ci (il n’y a pas que les tartes, dans la vie). Ce qui ne signifie pas que c’est une mauvaise structure non plus. C’est juste une structure, solide, simple et qui fonctionne, pour peu qu’on veuille faire une tarte. Mais ce n’est pas la seule.

      J’aime

  2. Tout cela est très bien dit. En plus, maintenant, j’ai faim !

    Le voyage du héros, selon moi, c’est une structure parmi d’autres, ni meilleure, ni pire, et dont l’omniprésence au sein des mythes n’a pas été efficacement démontrée. Mieux vaut s’intéresser à la structure dramatique en général et à son fonctionnement que consacrer du temps à ce qui n’est, au fond, qu’un cas particulier.

    Aimé par 1 personne

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