Il existe plusieurs narrations différentes qui utilisent l’intériorité des personnages : c’est le cas évidemment de la 3ème personne en focalisation interne, mais aussi des récits à la 1ère personne, au passé comme au présent. Ces narrations permettent de mieux connaître les personnages et offrent beaucoup de possibilités, mais exploiter celles-ci demande un peu de travail. Réflexions.
L’un des défauts de certains manuscrits qui utilisent des narrations internes aux personnages, c’est d’avoir un personnage qui ne sert que de « caméra » à l’auteur : le texte se sert de la présence du personnage comme d’un prétexte pour raconter ce qui se passe, mais la personnalité dudit personnage n’a pas de réel impact. On dit souvent aux auteurs qu’il est capital de « trouver la voix » du personnage quand on écrit, mais ceci est un conseil un peu abstrait. Parlons plutôt des éléments concrets qui peuvent aider à rendre une scène plus spécifique au personnage qui la vit ou la raconte.
Préciser ses opinions
Nous avons des opinions et des goûts, et ils nous sont personnels. Si le texte décrit le repas qui est servi au protagoniste dans cette auberge, pourquoi ne pas nous dire s’il l’apprécie ou pas ? Est-ce qu’il trouve ça bon ? Est-ce qu’il retire tous les légumes de son assiette avant de manger ? Est-ce qu’il sauce son assiette jusqu’à la dernière goutte ? Qu’est-ce qu’il aime boire pendant son repas ?
Ces exemples parlent de nourriture, mais il en va de même avec tout, les décors comme les gens. Aime-t-il l’allure de ce manoir ? Est-ce qu’il apprécie la compagnie de la comtesse ? Le texte ne devrait pas se contenter de nous décrire les lieux ou les gens, mais indiquer si le personnage les apprécie ou pas. Nul besoin de justifier ses goûts, mais leur accumulation clarifie peu à peu les contours de sa personnalité.
Souligner ses incertitudes et jugements
En parallèle de nos opinions et goûts, nous avons des valeurs et des biais, et eux aussi nous sont personnels. Au-delà du goût, que pense le personnage de ce plat ? Est-ce qu’il trouve la cuisine trop rustique pour son palais raffiné ? Est-ce qu’il la trouve trop prétentieuse ou avec trop d’ingrédients méconnus qui l’impressionnent ? (qu’est-ce que c’est, ces petits machins verts ?) Est-ce que le personnage est scandalisé que sa bière ne lui soit pas servie fraîche ? Le personnage assiste à une dispute de couple ? Pourquoi se contenter de raconter la dispute, au lieu de glisser des éléments qui expriment ce que le personnage pense de la situation. Est-ce que cela l’amuse ? Le stresse ? Est-ce qu’il prend parti ? Pour qui ? Quelle conclusion tire-t-il de la scène ?
Montrer comment le personnage réagit à un événement actuel ou à venir nous en dit beaucoup sur lui : certaines personnes angoissent énormément à la simple idée de passer un simple coup de fil, d’autres vont affronter des dragons sans trembler ; certains vont assumer qu’un personnage qui pleure est triste, quand d’autres vont le penser ému… ou hilare. Montrer qu’un personnage a raison sur certaines choses mais qu’il s’est trompé sur certaines interprétations sont deux excellents moyens de caractérisation.
Focaliser les descriptions sur ce qui l’intéresse
Dans la description d’une marche en forêt, le texte ne devrait pas du tout être le même selon que le personnage soit un botaniste passionné, un citadin émerveillé mais ignare en matière de plante, ou quelqu’un de blasé qui n’éprouve aucun intérêt pour la végétation. De même, la description ne sera pas la même si le botaniste est actuellement en quête de fruits ou de champignons : son attention première ne sera pas portée aux mêmes endroits.
En fonction des centres d’intérêt du personnage, l’auteur dispose d’accroches pour « zoomer » sur des éléments de description de façon vivante. Avoir un protagoniste tailleur ou couturière pourrait justifier de longs paragraphes sur les tenues des personnages ; un phobique des insectes sursautera au moindre mouvement dans les airs ou surveillera les coins sombres ou sales ; un personnage recherché par la police sera à l’affût de tous les symboles d’autorité. Etc.
Orienter les descriptions en fonction des intérêts, des buts ou des craintes du personnage est un bon moyen de gommer la sensation de « caméra » et de fluidifier le récit. Si le personnage recherche activement des champignons, évoquer le sol du sous-bois n’a soudain plus allure de description et s’intègre naturellement dans la narration intériorisée.
Souligner ses connaissances
Si un personnage botaniste se promène en forêt, la description peut s’agrémenter de termes techniques ou de noms latins des fleurs, et la narration peut tenter de faire en sorte que cette compétence serve le récit. Si au contraire il n’y connaît absolument rien, le texte devrait éviter de lister dix noms d’essences différentes : pour le personnage, sans doute qu’un arbre est « juste » un arbre. Il en va de même avec des personnages architectes ou artistes peintres, capables de jauger des proportions ou le travail des lumières, ou d’un passionné de voitures capable d’identifier le modèle et l’année de fabrication du moindre véhicule croisé dans la rue.
Jouer avec la précision de son savoir permet de montrer au lecteur à quel point le personnage s’y connaît ou pas sur certains éléments, et cela s’associe très bien avec le point précédent sur ses intérêts, objectifs et craintes.
Tisser des liens avec son historique personnel
Dans la vie, certains lieux nous rappellent d’autres lieux, des gens nous rappellent d’autres gens, des situations font écho à d’autres situations. Chaque chose que le personnage vit est une occasion de dresser un parallèle avec un élément de son historique personnel.
Est-ce qu’il est déjà venu ici par le passé, et si oui qu’est-ce qui a changé ? Est-ce que cette dispute conjugale à laquelle il vient d’assister lui rappelle son propre divorce ? Est-ce que cette mauvaise pizza surgelée lui renvoie en pleine face son enfance en Italie et la cuisine succulente de sa grand-mère ? Est-ce que ce marchand qui commence à négocier lui rappelle la fois où il s’est fait arnaquer l’an dernier ?
Bâtir des ponts entre ce que le personnage vit et son passé est un excellent moyen de ramener dans le texte des éclats de flash-back qui – touche par touche – précisent le personnage. Ils sont aussi très utiles pour justifier et clarifier les décisions du personnage : si le protagoniste claque la porte du magasin en traitant tous les marchands de voleurs, le lecteur va sans doute le trouver dur et antipathique ; si la narration nous apprend qu’il a perdu gros l’an dernier à cause d’une arnaque, on le comprendra mieux.
Non seulement apporter ces différentes précisions donne vie au texte et donne l’illusion au lecteur d’une réelle personnalité chez le personnage, mais en plus c’est un bon outil de travail pour l’auteur que de se poser ces questions-là à l’écriture. Un personnage, ce n’est pas une caméra : il n’est pas là juste pour permettre des descriptions et montrer au lecteur ce qui se passe ; il est là pour vivre les choses, les aimer ou pas, avoir des opinions dessus, assouvir ses intérêts et connaissances, et réagir selon les échos de ses expériences personnelles. C’est toute la différence de ces narrations en comparaison, par exemple, d’un narrateur omniscient qui nous fera des descriptions de lieux ou de personnages de façon plus distante et objectives. C’est une excellente piste à suivre quand les lecteurs ont tendance à critiquer nos descriptions, ou si nous prétendons ne pas aimer les écrire.
M’enfin, ce n’est que mon avis…

Payez-moi un café !
Ce blog publie des articles de dramaturgie et narration depuis 2015. Ils sont en accès libre et le resteront. Ils vous sont utiles ? Participez à ma productivité !
1,00 €
(1 commentaire)