Identifier les mauvais conseils d’écriture

Est-ce que d’autres domaines artistiques sont autant pollués par des « conseils » en tous genres que l’écriture de fiction ? Pour de nombreuses activités créatives, on trouve des formations, des ateliers et des cours, mais pour l’écriture, il est surtout question de « conseils » et chacun y va du sien. Même certains ouvrages de référence ne sont, finalement, que des listes de conseils fournis par tel ou tel auteur servant de caution. À force, certains auteurs en viennent à tout rejeter en bloc. Alors, comment faire le tri ?

Note : Cet article fait écho à des articles déjà publiés ici, en particulier Choisir ses conseils d’écriture et Apprendre à écrire : à quoi s’intéresser vraiment ? Si les deux articles susnommés se focalisaient sur les choses à rechercher en priorité, celui d’aujourd’hui s’intéresse à détecter ceux qui devraient être mis de côté.

Ce que devrait être un bon « conseil d’écriture »

Un bon « conseil » ne devrait justement pas être un « conseil » : il devrait être un contenu pédagogique ayant l’objectif de mieux faire comprendre à un auteur un sujet lié à l’écriture. Grâce à cette compréhension, l’auteur devrait devenir plus compétent à écrire des textes de fiction. Ce contenu devrait donc permettre :

– De comprendre pourquoi tel sujet est important dans la façon dont le lecteur reçoit l’histoire (qu’il s’agisse de dramaturgie ou de narration).

– De comprendre quels aspects de ce sujet entraînent quels résultats, afin que l’auteur sache comment s’y prendre en fonction du résultat qu’il vise.

Globalement, un bon contenu lié à l’écriture devrait donc nous parler de « comment tel sujet fonctionne » et non de « comment il faut faire ceci/cela ».

Exemple : Pour faire un parallèle avec la musique, apprendre le solfège, l’harmonie et la maîtrise d’un instrument sont divers éléments qui permettent ensuite au musicien de s’exprimer par la musique.

C’est en se basant sur ce postulat de départ qu’on peut tenter de trier les « mauvais » conseils.

Les contenus qui ne parlent pas du tout d’écriture

De nombreux ouvrages ou articles labélisés comme dédiés à l’écriture ne concernent pas l’écriture, en réalité : ils évoquent par exemple des méthodes de productivité ou de concentration, fournissent des stratégies marketing, ou encore prétendent « libérer la créativité ». Cela ne signifie pas que ces contenus n’aient aucun intérêt, mais ils ne permettent pas à une personne désirant écrire des textes de fiction d’inventer et rédiger de meilleures histoires. Ils détournent l’attention des apprentis auteurs des vrais sujets, car ils sous-entendent que si un débutant peine à écrire, le problème est ailleurs que dans la compétence d’écriture.

Exemple : Pour reprendre notre parallèle musical, ce serait comme induire que si un musicien débutant joue mal, il devrait essayer d’améliorer sa compétence à la guitare via des exercices de relaxation ou de méditation.

Les contenus qui parlent de sujets connexes à l’écriture

Ces articles ou ouvrages sont encore plus nombreux, voire majoritaires dans le paysage. Eux non plus ne parlent pas vraiment d’écriture – en tout cas ils ne parlent pas de texte, de narration ou de dramaturgie. Néanmoins, ils ne tapent pas loin et parlent de l’auteur – de ses habitudes, de ses étapes de travail, de ses méthodes d’organisation, de « comment il devrait se comporter ».

J’avais déjà fait ce distinguo dans un article, listant quelques sujets qu’on retrouve souvent : faut-il faire un plan avant d’écrire (auteurs architecte vs jardinier) ? Faut-il faire des fiches de personnages et si oui que mettre dedans ? Faut-il laisser reposer un texte avant réécriture ? Comment procéder à une bêta-lecture ? Dans quel ordre traiter ses corrections ? Écrire son premier jet d’une traite ou corriger au fur et à mesure ? Écrire le matin ou le soir ? Etc.

Ce sont des réflexions sur ce que j’appelle les « pratiques d’auteurs », c’est-à-dire « comment un auteur s’y prend pour travailler sur un livre ». Mais de façon un peu ironique, ça ne concerne pas l’écriture elle-même et n’améliore donc pas la compétence de la personne qui s’y intéresse : ce ne sont que des pratiques qui fonctionnent pour certains auteurs et pas pour d’autres.

Exemples :
– Faire des fiches pour ses personnages (ou pas), écrire des pages de background pour définir leur passé (ou pas) = c’est une pratique d’auteur.
– Comprendre le principe de karma des personnages = c’est une compétence de fond.

En général, ceux qui donnent des conseils « pratiques d’auteurs » ne possèdent pas le savoir technique pour transmettre la compétence de fond, alors ils conseillent aux autres de reproduire des pratiques qui fonctionnent pour eux – ce qui aide certains, et perd les autres.

Exemple : Pour reprendre notre parallèle musical, ce serait comme dire à un musicien débutant qu’il a du mal à progresser parce qu’il ne s’entraîne pas au bon moment de la journée ou qu’il ne range pas ses partitions dans le bon cahier.

Les contenus qui prétendent « qu’il n’y a pas de règles »

Certaines personnes n’hésitent pas à soutenir alors que l’écriture n’est soumise à aucune règle : « écrivez comme vous le sentez ! »

J’ai tendance à penser que les gens qui proclament ça pensent essentiellement « pratiques d’auteurs » quand ils utilisent le mot « règles » : comme moi dans le précédent paragraphe, ils combattent ainsi ces questions types qui reviennent tout le temps et dont la conclusion est en réalité toujours la même, à savoir qu’il n’y a pas de vérité, pas de bonne ou de mauvaise façon de faire. C’est personnel, c’est auteur-dépendant. « Pas de règle ».

Néanmoins, insister auprès des auteurs novices en disant qu’il n’y a pas de règle en écriture, ça sous-entend également qu’il n’y a rien à apprendre, aucune compétence technique à maîtriser pour devenir un auteur compétent. Et… c’est tout aussi faux et déstabilisant pour celles et ceux qui veulent apprendre.

Exemple : Pour reprendre notre parallèle musical, ce serait comme dire à un débutant que – sous prétexte que l’heure de répétition ou la couleur de cahier de partition n’ont pas d’importance – il n’a rien à apprendre pour savoir jouer de la guitare.

Les contenus qui prétendent que l’art ne s’apprend pas

Pour certains, l’écriture (comme les autres arts d’ailleurs), c’est simple : il faut avoir du talent. Si vous n’en avez pas, vous n’arriverez à rien. L’écriture, c’est inné, et puis c’est tout.

C’est déjà surprenant en soi de lire ça dans un quelconque contenu dédié à l’écriture – si c’était vrai, pourquoi donc prendre la peine de s’exprimer sur le sujet ? Mais surtout, c’est évidemment factuellement faux, sinon il n’existerait aucune école de musique, aucune école de cuisine, aucune école de danse, etc. On pourrait me répondre qu’il n’existe pas ou peu d’écoles d’écriture. C’est vrai (dans l’hexagone du moins), et c’est justement un véritable problème, hérité du romantisme à la française. Les autrices et auteurs français apprennent quasiment tous « sur le tas », et personnellement j’ai mis un temps que j’estime trop long à trouver certaines réponses à des questions techniques et concrètes que je me posais. Encore aujourd’hui, je progresse pas à pas en étant obligé de chercher moi-même ce dont j’ai besoin, ce qui est fastidieux et difficile.

Exemple : Pour reprendre notre parallèle musical, ce serait comme dire à un débutant que c’est inutile de prendre des cours auprès d’un professeur – soit il a le talent, soit il ne l’a pas.

Les contenus « ingrédient secret »

Je prétends que « savoir écrire un bon récit de fiction » ne demande pas UNE compétence, mais bien une pléthore (j’en avais parlé ici). Or, pas mal de contenus que je vois passer sous-entendent qu’un certain élément surclasse tous les autres en importance et qu’en maîtrisant CE truc unique, le succès est assuré.

C’est typiquement le discours de nombreux ouvrages américains sur les structures narratives, qui essaient de vous faire croire qu’une bonne structure = une bonne histoire (et généralement, l’auteur dudit guide vous propose son propre enchaînement préétabli qui vous fera gagner des millions). Je crois personnellement qu’une histoire gagne à être structurée, mais que la structure d’un récit n’est qu’une toute petite composante d’un tout – utile, elle ne fera rien toute seule.

Et c’est vrai quel que soit le sujet, qu’il s’agisse de worldbuilding, de personnages, de style : certains vont prétendre que si les auteurs échouent, c’est parce qu’ils ne maîtrisent pas « cet unique ingrédient secret qui fait tout ». Mais c’est évidemment faux. C’est humain d’essayer de simplifier une tâche qui nous apparaît complexe. Face à un apprentissage difficile, c’est humain de se demander : « Si je ne devais apprendre qu’une seule chose, qu’est-ce que ce serait ? » Mais cela ne fonctionne jamais ainsi. Un roman, c’est l’aboutissement de très nombreux éléments, dont aucun ne peut tenir le tout à lui seul.

Les contenus qui proposent une méthode ou une procédure

C’est très mauvais signe si un contenu envisage d’indiquer à l’auteur comment il doit procéder « étape par étape » sur un sujet donné. Cela sous-entend qu’il s’agit d’une « pratique d’auteur », et non d’une parcelle de savoir : ça va nous dire « comment il faut faire » au lieu de nous expliquer « comment ça marche ».

L’écriture est un art créatif, et il ne peut donc pas y avoir de procédure préétablie pour faire telle ou telle chose : une formation d’écriture doit vous permettre – une fois la compétence acquise – de créer ce que vous voulez. Une formation d’ébénisterie devrait vous apprendre à concevoir n’importe quel meuble, pas vous fournir une notice de montage IKEA qui ne sera valable que dans un cas très spécifique (surtout que bon nombre de ces conseils évacuent le sujet du contexte, et on se retrouve avec de nombreux conseils qui partent au départ d’un élément véritablement intéressant et qui finissent par ne plus avoir de sens, car séparés du cadre où ils sont applicables).

***

Je suis toujours aussi étonné de l’implantation tenace du terme « conseil d’écriture » dans la communauté des auteurs. Peut-être que je connais mal les autres domaines artistiques, mais en musique on ne m’a jamais bassiné de « conseils de musique » : on apprend et on travaille des techniques, on acquiert peu à peu un ensemble de savoirs et une compétence, qui nous servent ensuite à exprimer une créativité personnelle. Le terme « conseil » sonne comme « trucs et astuces », comme si – à l’aide de deux ou trois petites entourloupes – on allait soudain écrire un best-seller. Il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui beaucoup de gens se braquent contre certains adages vendus comme des formules magiques. Mais ce n’est pas parce qu’il existe de nombreux « mauvais conseils » qu’il n’existe pas de bonne source d’apprentissages ou de bons contenus. Il faut juste les trouver et savoir faire le tri.

Face à un contenu, la question à se poser en permanence est : « Est-ce que comprendre ceci améliorera ma capacité soit à imaginer de meilleures histoires, soit à les rédiger de façon plus satisfaisante ? »

Ce ne sera probablement pas le cas :

  • Si le contenu ne parle ni d’histoire ni de texte
  • Si le contenu part du postulat que l’écriture ne s’apprend pas
  • Si le contenu fait reposer le succès ou l’échec d’un roman sur un élément unique
  • Si le contenu propose de vous accompagner et de vous guider pas à pas

M’enfin, ce n’est que mon avis…

PS Je tiens à préciser que ce blog contient plus de 200 articles rédigés depuis 2015, et qu’il est donc très probable que certains posts soient à ranger dans la catégorie des « mauvais contenus d’écriture ». Je vous laisse juge, vous avez désormais des pistes pour séparer le bon grain de l’ivraie.


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(4 commentaires)

  1. Bonjour Stéphane ! Un article qui tombe à point nommé pour moi. En début d’année j’ai suivi une formation d’écriture (justement) sur quelques mois, à distance. Intéressante, des choses à prendre, d’autres qui ne me conviennent pas, de belles rencontres avec d’autres auteurs-autrices.

    J’en fais le bilan en ce moment et ce n’est qu’avec plusieurs mois de recul que je parviens à savoir avec certitude ce que cette formation m’a apportée : plus de confiance (c’est toujours bon à prendre), de bons collègues d’écriture et des bêta-lecteurs de confiance (certains en bonne voie sur le chemin de l’amitié), et la confirmation que je suis prête à passer mon temps à travailler en tant qu’autrice.

    Sur l’écriture à proprement parler… j’apprends beaucoup plus en te lisant par ici ! ^^

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    1. Mine de rien, les rencontres, c’est extrêmement important, même dans cette activité soi-disant solitaire qu’est l’écriture. J’ai encore aujourd’hui des contacts solides dont j’ai tissé les liens lors de formations écriture, et ce n’est pas rien, c’est important de le souligner… même si effectivement ça ne remplace pas une compétence technique 😅

      Tant qu’on mettra sous la même appellation la technique (dramaturgie et narration) et le process créatif de l’auteur, on continuera d’avoir des « formations écriture » qui seront au moins à moitié vides. C’est même généralement plus que la moitié, parce que la « technique » ce n’est pas vendeur et qu’on met donc l’accent sur le process créatif : LE truc qui fait kiffer les novices, mais LE truc qui ne s’enseigne pas.

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  2. « Il est donc très probable que certains posts soient à ranger dans la catégorie des « mauvais contenus d’écriture ». Je vous laisse juge, vous avez désormais des pistes pour séparer le bon grain de l’ivraie.« 

    Certes, convenons-en. Ceci étant dit, arrête de te flageller et pose-moi donc ces orties fraiches, camarade. Ces menus écarts sont le signe qu’il y a bien un être humain qui barbote au fond de ce puits de science. Ceci dit, rien de surprenant, après 200 articles, tu creuses toujours.

    Merci encore d’ailleurs.

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    1. Oh, pas de flagellation, juste une réflexion, qui me paraît logique et lucide. Je n’ai jamais eu le courage de relire mon blog depuis le début, mais il est probable que si je le faisais, j’aurais envie d’y changer des choses. Ça pourrait être un projet, remarque ! 😅

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