Ce blog contient déjà bien des articles sur les personnages, dont un qui s’intitule « Faire aimer ses personnages ». Néanmoins, l’attachement est un autre sujet. La notion même de « personnages qu’on aime » est compliquée à traiter, pour des raisons de vocabulaire, parce que les gens n’entendent pas tous la même chose derrière l’idée d’aimer un personnage. Pourtant, pour le dramaturge, il me semble que la question relève d’une grande importance. Faire aimer ses personnages des lecteurs est une chose ; rendre les personnages attachants n’est qu’un moyen parmi d’autres d’y parvenir. C’est néanmoins un moyen important. Réflexions.
Personnages attachants vs personnages qu’on adore
Ce blog contient de nombreux articles sur les personnages, dont les plus importants sont, je crois, Faire aimer ses personnages et Création de personnages : trois tamis. Dans le premier des deux, j’explique que « aimer un personnage de fiction », ça n’a rien de comparable à « apprécier quelqu’un de la vraie vie » : les critères ne sont absolument pas les mêmes. C’est la raison pour laquelle les lecteurs peuvent adorer des personnages de vilains, ou rejeter des personnages très sympatoches qu’ils apprécieraient pourtant d’avoir pour voisins.
Il existe plusieurs façons de « faire aimer un personnage », et l’une de ces façons est de rendre le personnage attachant – on pourrait débattre de la terminologie, mais comme « attachant » est désormais largement passé dans le langage courant des blogs et critiques littéraires, utilisons celui-ci. Dans mes précédents articles, pour ce sujet précis, j’avais l’habitude de renvoyer à une ancienne traduction que j’avais faite d’un article américain qui date un peu. Il était temps d’y consacrer un post complet remis au goût du jour.
Pour un rapide résumé, rappelons quelques piliers de Faire aimer ses personnages : les lecteurs ont fortement tendance à apprécier les personnages qui sont compétents dans leur domaine, qui sont loyaux à quelqu’un ou quelque chose (et/ou qui génèrent de la loyauté chez les autres), et qui sont déterminés (c’est aussi lié à l’attribut narratif d’avoir un objectif et de s’y tenir). Ce ne sont pas des éléments avec lesquels on rend un personnage « attachant », mais c’est avec cela qu’on crée du respect, et c’est ainsi qu’il est possible de faire adorer des personnages de méchants.
Mais le quatrième pilier, donc, c’est l’attachement. Comment procéder ? Globalement, il y a trois catégories de personnages attachants.
Victime d’injustice
Ce sont des personnages qui font appel au rejet inhérent du lecteur pour l’injustice : en montrant qu’un personnage fait face à des injustices dans son quotidien, on « pousse » le lecteur de son côté. Le lecteur compatit et – karma oblige – il va se mettre à espérer que le personnage obtienne gain de cause par la suite. Par exemple :
Le personnage peut être victime d’un crime ou d’une arnaque qu’il peine à faire reconnaître comme tels. Le personnage peut être exploité d’une façon ou d’une autre, piégé par un système qui tire parti de son travail avec bien peu de compensations. Le personnage peut être quelqu’un de marginalisé, rejeté, exilé, pour des causes dont il n’est pas responsable. Le personnage peut même être traqué, en fuite, poursuivi par un danger. Le personnage peut souffrir (physiquement ou psychologiquement) d’un mal injuste. Si vous écrivez de l’imaginaire, ce mal peut être quelque chose de surnaturel, comme une malédiction.
Précautions : il y a deux choses à garder à l’esprit quand on crée un tel personnage. Premièrement, l’origine de la compassion ressentie par le lecteur est l’injustice, donc si le personnage est poursuivi par les autorisés pour un crime grave qu’il a effectivement commis, c’est forcément moins efficace. S’il est maudit à cause d’une bêtise qu’il a faite, de même. Secondement, notons qu’il est assez facile « d’en faire trop » quand on place un personnage en situation d’injustice. Tout dépendra évidemment du ton que l’on recherche pour le récit, mais généralement, des injustices nuancées fonctionnent mieux que des éléments trop forts, violents ou cruels. En effet, dans ce genre de cas, le lecteur risque de vouloir instinctivement « se protéger ». Si le personnage subit de véritables horreurs, le lecteur peut se sentir mal à l’aise et préférer détourner le regard plutôt que de compatir et « soutenir » le personnage. L’auteur obtient alors l’inverse de ce qu’il espérait.
Altruiste
Ce sont des personnages qui font le plus appel à ce qui nous plaît chez les autres dans la vraie vie : nous aimons « les gens bien ». Et les gens bien, ils sont attachants, on les aime, on recherche leur compagnie, on a envie de rester avec eux autant que possible parce qu’on se sent émotionnellement en sécurité à leur côté. Par exemple :
Le personnage peut être quelqu’un de responsable. Il s’occupe de choses pas forcément très amusantes ou sympa, il accomplit des tâches dont personne ne veut, et il ne le fait pas pour la gloire : il le fait parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Cette responsabilité est peut-être liée à des gens : le personnage a des personnes à charge qui dépendent de lui pour s’en sortir au quotidien. Cela va souvent de pair avec un personnage qui a le sens du sacrifice, prêt à se mettre en première ligne et subir de mauvaises choses à la place des autres. Ce personnage se considère moins important que les autres et il est prêt à donner le peu qu’il a à quelqu’un qui en a encore plus besoin que lui. Le personnage peut se montrer d’une grande modestie. Ce genre de personnage a tendance à voir le bien chez les autres, et à ne pas tenir rancune à ses ennemis, disposant d’assez d’empathie pour comprendre ce qui les a conduit à leurs actions.
Précautions : pour que quelqu’un qui « donne » aux autres soit considéré comme altruiste, il ne doit pas en tirer de bénéfice personnel, et ses actes doivent être coûteux. Un millionnaire qui donne 50€ à un sans-abri n’est pas considéré comme altruiste. Un enfant qui donne son unique de pièce de 2€ d’argent de poche au même sans-abri est considéré comme généreux. Ce point est important pour tout ce qui est mentionné ci-dessus : si le personnage est responsable d’un truc important, ça ne doit pas être trop cool ou glorieux ou rémunérateur ; s’il s’occupe d’un parent malade, ça ne doit pas être « parce qu’il n’a pas le choix » ; s’il donne quelque chose à quelqu’un, ça doit être quelque chose dont il a l’utilité lui-même. Toutes ces bonnes actions génèrent du karma, karma qui rendra satisfaisantes les bonnes choses qui arriveront au personnage plus tard… mais justement, le retombées positives de ses bonnes actions ne devraient pas arriver trop tôt dans le récit.
Singulier
Ce sont des personnages qui attirent le regard parce qu’ils sont différents et se démarquent des autres. Si vous êtes invité(e) à une soirée chez des amis, il va s’agir de cette femme à la robe somptueuse et bariolée qui semble sortir d’un film de SF, ou de ce musicien qui joue d’un instrument exotique que vous n’avez jamais vu, ou de cet individu portant un costume géant de pokémon. Il y a à la fois un côté « divertissant » à cette catégorie de personnages, mais aussi un côté « spécifique » (un adjectif que j’aime et utilise beaucoup quand on parle d’écriture). Ce sont des personnages « qui ne sont pas comme les autres », et qui promettent donc d’être « intéressants ». Par exemple :
Le personnage peut être quelqu’un plein d’esprit, qui a une grande répartie et enchaîne les répliques hilarantes. Le personnage peut être quelqu’un d’excentrique, qui dénote dans son environnement et n’y semble pas à sa place (si vous écrivez de l’imaginaire, il peut s’agir d’un personnage non humain, qu’il soit elfe ou robot). Le personnage peut être une version subversive d’un archétype ou cliché déjà vu mille fois, disposant d’un twist qui le rend différent de ce qu’on connaît habituellement. De façon plus simple et moins extravagante, ce peut être un personnage qui dispose d’un trait complètement inattendu pour le genre d’histoire où il est placé : il peut disposer d’un hobby hors contexte, méconnu, surprenant, qui rend soudain le personnage plus intéressant pour le lecteur.
Précautions : il faut tenir compte de deux choses. Premièrement, la « nouveauté » fane très vite, et un personnage singulier a beaucoup de risque de perdre de son impact sur la durée. Ce n’est pas forcément un grand problème si l’auteur l’a rendu attachant par d’autres biais (voir précédentes catégories), mais ça peut le devenir s’il n’a que ça. À moins que son côté singulier puisse être alimenté tout au long de l’histoire et influencer régulièrement les comportements et actions du personnage ? Secondement, puisque ce côté singulier peut vite verser dans les choses comiques et un peu loufoques, il faut s’assurer que ça va coller avec le ton de l’histoire qu’on est en train d’écrire : tous les récits ne s’accommodent pas d’un Shrek, d’un Deadpool ou d’un Dirk Gently.
***
Tous les personnages n’ont pas forcément à être « attachants », et tous les personnages attachants n’ont pas forcément besoin d’empiler tous les aspects vus dans cet article. Néanmoins, j’écrivais dans Faire aimer ses personnages (article qui liste des moyens de créer du respect pour les personnages) que tout le monde pouvait faire avec un peu de respect – il n’y a jamais trop de respect. Il en va de même ici, car où est le mal à rendre un personnage trop attachant ? Pour des protagonistes majeurs, s’assurer qu’ils cochent deux aspects sur les trois listés ici, ça ne peut pas faire de mal… tant que c’est bien fait (attention aux quelques précautions listées).
M’enfin, ce n’est que mon avis…

Soutenez le blog en m’offrant un café !
Ces articles vous sont utiles ? Alors participez à ma productivité en m’offrant un café ! Les soutiens – ponctuels ou récurrents mensuels – m’aident à assurer la maintenance du site et à poursuivre l’écriture. Ce blog contient plus de 200 articles de dramaturgie et narration publiés depuis 2015. Ils ont toujours été en libre accès et le resteront.
(2 commentaires)