Premier chapitre : trois axes pour ne pas perdre le lecteur

Les débuts sont toujours des moments compliqués, peut-être plus encore en littératures de l’imaginaire que dans d’autres genres. Non seulement les lecteurs découvrent des personnages et des situations, mais en plus ils appréhendent des mondes nouveaux et des concepts parfois étranges. C’est déjà un effort. De plus, les auteurs ont souvent l’une de ces deux mauvaises habitudes : soit ils aiment raconter d’entrée de jeu toute la biographie détaillée de leur monde, soit au contraire ils aiment faire des mystères et des cachotteries. Si on ajoute à ça quelques éventuelles maladresses rédactionnelles, il existe de nombreuses façons de perdre le lecteur dès les premières lignes de son livre. Comment NE PAS perdre les lecteurs dès le début de son roman ? Réflexions en trois axes.

1. Limiter le nombre de sujets

Dans notre empressement à présenter nos univers, nos personnages et nos histoires, nous avons tendance à vouloir intégrer beaucoup trop d’idées différentes dès le départ. Hélas, le lecteur a une capacité d’absorption limitée, d’autant plus limitée qu’il démarre un nouveau livre sans aucun contexte. Balancer plusieurs noms propres (personnages et lieux), des mots inconnus, ou des allusions n’est pas intrigant : c’est déroutant.

D’une manière générale, il est utile d’essayer de commencer son récit par une première scène qui :

  • Se déroule dans un lieu unique, ni trop vaste ni trop compliqué à décrire.
  • Implique le moins de personnages possible.
  • Se focalise sur une situation accrocheuse, en lien avec le thème et la ligne directrice du récit.

Les concepts complexes et les mots nouveaux devraient être limités le plus possible, introduits plus tard (quand il y aura plus de contexte pour les comprendre, voir ci-dessous), ou a minima judicieusement sélectionnés pour qu’ils soient évocateurs (quelques exemples dans cet article).

Enfin, comme la narration qu’il choisit permet à l’auteur de transmettre ses informations plus ou moins aisément, mieux vaut garder en tête les risques associés :

  • Une narration omnisciente peut très facilement introduire beaucoup d’éléments en très peu de lignes, mais c’est justement courir le risque de vouloir exposer trop de choses trop vite (l’exemple classique est le roman de fantasy qui commence par exposer tout son mythe et la généalogie complète des monarques d’un royaume inconnu) ;
  • Une narration en focalisation interne peut inciter l’auteur à ne pas expliquer des éléments qui sont évidents pour le personnage, alors qu’ils sont inconnus du lecteur, ce qui rend l’immersion difficile (l’exemple classique est le roman de science-fiction qui nous montre un personnage vivant sa vie quotidienne en utilisant tout un tas d’objets cités sans qu’on ne sache à quoi ils servent).

2. Prioriser la clarté

Le lecteur ne sait pas encore qui est qui, ni même où l’action se déroule. Limiter le nombre de sujets qu’on introduit dans un premier chapitre permet déjà de limiter sa charge mentale… mais cela n’est pas suffisant si le texte oblige le lecteur à se poser à chaque phrase tout un tas de questions. Dans ce cadre, certaines pratiques d’écriture – qui fonctionnent très bien plus tard dans le texte – devraient être limitées en tout début d’ouvrage :

  • L’usage des pronoms : introduire un texte par une phrase du genre « Ils regardèrent le bateau approcher » n’évoque absolument rien au lecteur tant qu’il ne sait pas qui sont ces « ils ». Beaucoup de textes commencent par des phrases de ce genre, avec des « il » et des « elle » sans nom ni désignation, mettant parfois plusieurs lignes à nous dire de qui ou de quoi il s’agit. S’il s’agit du début de l’histoire, ces pronoms gagneraient à être remplacés clairement par ce qu’ils désignent.
  • L’usage de termes équivoques : dans l’exemple « Ils regardèrent le bateau approcher », le terme « bateau » n’est pas très précis, ni en taille ni en type. Ce terme générique serait sans doute suffisant plus tard, une fois que le texte aura exposé de quel genre de bateau il s’agit, mais en attendant, le lecteur n’en a qu’une trop vague idée.

Ainsi, si le texte avait déjà statué qu’un groupe de spectateurs assiste à l’arrivée d’une course de catamarans, une phrase comme « Ils regardèrent le bateau approcher » ferait sens. En revanche, s’il s’agit de la toute première ligne du livre, ce n’est pas assez clair. Écrire une phrase comme « les spectateurs de la régate regardèrent le catamaran approcher » serait bien plus évocateur pour le lecteur – elle crée une image mentale dans sa tête. Alors que « Ils regardèrent le bateau approcher » – sans contexte – ne forme que des points de suspension dans l’esprit du lecteur, obligeant ce dernier à attendre la suite pour pouvoir y donner un sens.

  • L’usage des synonymes : si le personnage est désigné une fois sous le nom de Madame Radis, une fois sous le terme « l’institutrice », et une fois sous les mots « la vieille dame », le lecteur se voit obligé d’assembler un puzzle. Et avec le manque de contexte propre à un début de livre, il n’est pas impossible qu’il croie voir là trois personnages différents !

Par crainte des répétitions, les auteurs jonglent avec les noms et les termes, alors que répéter deux ou trois fois le même nom aura plutôt l’avantage de marquer la mémoire du lecteur. Désigner un personnage par son nom, puis son métier puis un surnom, cela ne fait que créer de la confusion (voir aussi l’article Désigner ses personnages). Les surnoms peuvent venir plus tard, quand le lecteur aura plus de contexte pour comprendre que tel surnom se réfère à tel personnage.

Il en va de même avec tous les termes inconnus ou nouveaux : souvent, le sens de ces mots inventés peut être déduit du contexte alentour…. à condition qu’il y ait du contexte ! Prioriser la clarté, cela signifie aussi de prendre le temps de fournir le contexte avant d’exposer un élément qui le nécessite. Cela peut revenir à montrer un personnage se servir d’un objet avant de dire que l’objet s’appelle un orculis, décrire une bande de pilleurs d’épaves avant de les désigner sous leur nom de bande « Les karsts », ou bien décrire la falaise avant de vouloir faire tomber le personnage dedans.

Il y a une telle pression mise sur les auteurs pour que leur histoire « commence vite », pour que l’action soit « immédiatement présente », pour se dépêcher de « plonger le lecteur dans l’intrigue », que nous avons désormais tous peur de prendre notre temps. Mais la clarté est prioritaire sur tout le reste, et ne fait pas forcément bon ménage ni avec la vitesse ni avec le mystère (mieux vaut miser sur le suspens que sur le mystère : rappel ici).

3. Tenir sa narration

Il y a autre chose que l’auteur introduit auprès du lecteur, sans parfois bien le réaliser : la narration qu’il compte utiliser pour ce roman. Le rôle des premières lignes est aussi celui-là, c’est-à-dire faire comprendre au plus tôt au lecteur où il est placé par rapport aux événements qu’il lit. Cela induit :

  • Si c’est une narration à la première personne, ne pas attendre dix lignes avant d’introduire un « je » dans le texte ;
  • Si c’est une narration omnisciente, éviter d’écrire le premier paragraphe de façon focalisée sur un personnage ;
  • Si c’est une narration focalisée, ne pas commencer par une punch line aux allures méta ;
  • Si c’est un récit destiné à être rédigé au présent, ne pas commencer par une phrase au passé (ou vice versa) ;
  • Etc.

Le lecteur n’en a même pas conscience, et pourtant : sans le savoir, il capte dès les premières phrases les indices suggérant telle ou telle narration. S’il obtient des indications contradictoires, il est confus. Alors que si la narration lui donne les bons indices très tôt puis s’y tient, cela clarifie grandement la lecture.


Réussir son début d’histoire, ce n’est pas simple. Il y a déjà tant de choses à penser en matière de dramaturgie ! Mais si un bon début d’histoire cherche à accrocher le lecteur, notre priorité d’auteur devrait surtout être de ne pas le perdre, et avant de vouloir le pousser en avant, mieux d’abord s’assurer qu’on ne le repousse pas en arrière. Faire simple en limitant le nombre d’éléments introduits, être particulièrement clair dans ce qu’on écrit, éviter toute ambiguïté au sujet de la narration utilisée : ce sont trois bons axes à garder en mémoire quand on s’attaque à la rédaction du tout premier chapitre (voire des toutes premières lignes !) d’un roman.

M’enfin, ce n’est que mon avis…

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