Choisir sa narration – 3ème personne narrateur omniscient

« Il est important de signaler que soudain et contre toute probabilité, un cachalot s’était matérialisé à plusieurs kilomètres au-dessus de la surface d’une planète étrangère. Et vu qu’une telle position se révèle difficilement tenable pour un cachalot, la pauvre innocente créature eut fort peu de temps pour assimiler son identité. Voici donc l’ensemble de ses pensées pendant qu’il tombait : “Waaaaouuh hèèè ! Que s’passe-t-il ? Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Quel est le but de ma vie ? Euh… Que veux-je dire par ‘qui suis-je’ ? Bon, allez, du calme, resaisissons-nous…” »

(Le Guide du Voyageur Galactique — Douglas Adams)

NARRATION À LA TROISIÈME PERSONNE EN POINT DE VUE EXTERNE – NARRATEUR OMNISCIENT

Très présente en fiction par le passé, cette narration est de moins en moins répandue à cause de ses grandes faiblesses… et malgré ses (pourtant nombreux) avantages.

Le narrateur omniscient est un narrateur externe au récit. Ce n’est pas un personnage du livre. C’est un conteur, une « voix off ». Il sait tout (y compris ce que pense un cachalot en pleine chute libre). Une analogie ? C’est comme si nous nous installions devant un conteur, près du feu, afin qu’il nous raconte une histoire de son invention. De fait, c’est sans doute la plus ancienne façon d’aborder un récit…

À ne pas confondre

Écrire à la 3ème personne comporte un grand risque pour l’auteur novice : ne pas comprendre la différence entre narrateur omniscient externe (le sujet du présent article) et narration focalisée (couverte par cet autre article). Au niveau de la forme, à première vue, elles se ressemblent. Pourtant, elles sont diamétralement opposées en termes de rendus, de points forts et de faiblesse ! Et quand les auteurs inexpérimentés écrivent à la troisième personne, ils mélangent allègrement les deux.

Le narrateur omniscient raconte les faits d’un point de vue extérieur aux personnages.

« Quant à Bilbo Bessac, il n’avait cessé, tout au long de son discours, de tripoter l’anneau d’or qui se trouvait dans sa poche : son anneau magique qu’il avait tenu secret pendant tant d’années. En descendant de sa chaise, il le glissa à son doigt, et aucun hobbit ne devait jamais le revoir à Hobbiteville. »

La Fraternité de l’anneau, Le Seigneur des Anneaux 1 – JRR Tolkien

Par exemple, la phrase « aucun hobbit ne devait jamais le revoir à Hobbiteville » est la marque d’un narrateur omniscient : lui seul peut savoir l’avenir et nous dire que plus jamais personne ne reverra Bilbo à Hobbiteville.

Points forts

Une absolue liberté

Son principal point fort par rapport aux autres narrations est sa liberté : cette narration n’est pas rivée à un personnage. Le texte peut nous parler de plusieurs personnages et lieux en même temps, et il peut « sauter » du coq à l’âne comme il le souhaite. Cette narration permet de franchir en un clin d’œil de grandes distances, d’évoquer le passé ou le futur, de raconter en parallèle deux actions éloignées dans l’espace, de porter des jugements de valeur externes sur ce qu’il se passe, ou d’expliquer ce que pensent tous les protagonistes d’une même scène.

Exemple :

« Laurent s’ennuyait ferme. À côté de lui, Paul n’avait d’yeux que pour Sarah. Elle, elle était surtout intéressée par ce que racontait Valentin. Ce que pensait Valentin à ce moment précis, nul ne le sut jamais, car au même instant, à l’autre bout de la ville, se déroulait une scène autrement plus importante pour le déroulement de l’histoire… »

Cet exemple, bien que caricatural, est tout à fait à la portée d’un narrateur omniscient. Lors du récit d’un rendez-vous amoureux, le narrateur omniscient peut nous raconter les pensées et réactions de chacun des deux protagonistes en même temps, alors qu’une autre narration devrait s’attacher soit à l’un soit à l’autre… ou alterner un chapitre pour chacun. L’avantage principal pour l’auteur avec cette narration est donc de pouvoir raconter beaucoup de choses en peu de temps, en étant à même de condenser en quelques pages ce que les autres narrations mettraient plusieurs chapitres à relater ou nous faire comprendre.

Nous verrons plus loin que le narrateur omniscient impose une distance narrative, mais celle-ci est un zoom : la narration peut se focaliser sur un personnage le temps d’un paragraphe, puis donner un aperçu aérien et général d’une ville au paragraphe suivant, puis donner un aperçu de la planète entière au paragraphe d’après !

C’est une narration qui permet de briser le 4ème mur, en s’adressant directement au lecteur. C’est aussi la seule à pouvoir raconter des scènes dans lesquelles ne figurent aucun personnage !

Exemple :

« Dans le bureau désert, tout semblait calme. Pourtant, une brise venue de l’extérieur s’insinua par la fenêtre entrouverte. Elle fit frissonner le post-it que Julien avait rédigé et collé en évidence sur le clavier de Nathalie. Le papier se détacha, glissa jusqu’au rebord du poste de travail. Hésita. Bascula. Et tomba directement dans la poubelle. »

Un vrai recul et des possibilités de décalage

Nous verrons un peu plus bas que le récit omniscient impose une distance entre le lecteur, l’action et les personnages. C’est un gros point faible, mais qui peut être très utile dans certains contextes : un narrateur intrusif peut commenter l’histoire et créer de la surprise ou de l’humour, et il peut dédramatiser des situations qui pourraient autrement être considérées comme choquantes. Ce n’est pas pour rien qu’on retrouve abondamment des narrateurs omniscients dans les fictions humoristiques (bonjour Douglas Adams et Terry Pratchett !) ou dans la littérature pour enfants.

Parler de choses que les personnages ne savent pas

Dans la même veine, puisqu’il sait tout, le narrateur omniscient peut facilement fournir des explications au lecteur, ou digresser sur des sujets précis, sans que cela détone. Si ta fiction a un but didactique ou pédagogique (comme un roman historique, par exemple), le narrateur omniscient peut être très précieux pour glisser tes éléments au cœur de ton récit, y compris des choses inconnues des personnages ou qui ne les intéressent pas.

Le narrateur omniscient est aussi libre de raconter ce qu’il veut, quand il le souhaite : c’est un excellent moyen de créer des liens de complicité avec le lecteur et ainsi d’utiliser l’ironie dramatique à son plein potentiel, par exemple en révélant au lecteur des secrets que les personnages ne savent pas encore (« Mais Sabine ne pouvait pas savoir que c’était la dernière fois qu’elle voyait son amie en vie… »). Il est aussi totalement libre de cacher des éléments s’il en a envie, ce qui est bien pratique pour les amateurs de mystère (en revanche, on fait confiance au narrateur omniscient, donc il ne peut pas vraiment mentir – ce n’est pas très grave, puisqu’il peut facilement nous cacher ce qu’il ne veut pas nous raconter).

Une grande liberté de style

Le narrateur omniscient permet à l’auteur doué de sa plume de jouer avec le langage de façon plus libre que dans les autres narrations : l’auteur n’est pas contraint par les sens de son personnage ni par sa « voix ». Les envolées lyriques nuisent d’ordinaire à l’immersion, mais le narrateur omniscient, lui, peut tout se permettre ! Là où un personnage semblera ridicule s’il s’intéresse à la splendeur d’une goutte de rosée dans la lueur matinale, le narrateur omniscient a tous les droits. Si tu aimes faire de la prose, c’est un bon choix. C’est la raison pour laquelle le narrateur omniscient est encore plébiscité par toute une frange « littéraire » de l’édition… malgré ses gros inconvénients.

Points faibles

Avec une telle liberté d’écriture, pourquoi diable tous les livres ne sont-ils pas rédigés en narrateur omniscient ? Eh bien parce que, en dépit de ses nombreux avantages, c’est une narration qui cumule deux défauts extrêmement handicapant pour la fiction : elle éloigne le lecteur à la fois des personnages et de l’action.

Une grande distance narrative

Un narrateur omniscient impose une distance dans l’espace, puisqu’il intercale un narrateur (un conteur externe au récit) entre le lecteur et l’action. Le lecteur « flotte » au-dessus des événements, et a parfaitement conscience qu’il y a « quelqu’un » qui lui raconte une histoire. Il se retrouve donc métaphoriquement « plus loin » de l’action, et ce type de récit est forcément moins immersif. Par nature, le narrateur omniscient est dans la présentation, pas dans la représentation. Il est donc plus dans le « raconter » que dans le « montrer », et cela crée une plus grande distance narrative.

Une plus faible immersion

Comme le narrateur « saute » d’un personnage à l’autre, il ne fait que les survoler, et le lecteur se sent forcément plus éloigné des protagonistes de l’histoire qu’avec une autre narration. Il ne sera jamais aussi complice qu’avec une 1ère personne au passé ; il ne les connaîtra jamais aussi intimement qu’avec une 1ère personne au présent ou une 3ème personne en focalisation interne. C’est, de loin, la moins intimiste des narrations.

Tenir sa narration

La narration omnisciente a de grands et nombreux avantages… mais deux inconvénients énormes. Pour compenser ces derniers, il est nécessaire de choisir l’omniscient pour ses qualités et les exploiter du mieux possible (j’en ai fait un article dédié tellement c’est important). En résumé :

Déploie ton style !

Si tu aimes faire de la prose et mettre ta patte au niveau de la forme, l’omniscient est très pratique. Mais alors, assume-le, soit un vrai conteur, et déploie un véritable style ! C’est l’un des éléments qui te permettra d’agripper le lecteur en dépit de la distance narrative. Un narrateur omniscient est un conteur, dans la plus pure tradition du genre. Si tu as déjà assisté à des contes oraux, tu dois savoir que la personnalité du conteur a une grande importance dans le succès de l’histoire auprès de l’auditoire. Dans un livre, c’est pareil : l’auteur a tout à gagner à ce que son narrateur omniscient ait une façon de s’exprimer bien à lui, un « style », et une vraie belle maîtrise de la langue.

Exploite les capacités uniques de l’omniscient

Puisque tu ne pourras pas éviter la distance narrative ou le manque d’immersion, il faudra compenser en rendant ton histoire la plus intéressante possible grâce à toutes les possibilités narratives que l’omniscient te permet : jongle avec de nombreux personnages en même temps, raconte des choses qui se déroulent dans plusieurs endroits en simultanée (et/ou chez l’adversaire du héros, et/ou dans des endroits sans personnage !), raconte des choses appartenant au passé (ou au futur !), utilise les capacités didactiques pour apprendre des choses au lecteur, ou utilise l’humour, ou encore l’ironie dramatique. À chaque chapitre, utilise cette liberté absolue pour te demander « comment puis-je raconter cette histoire de la façon la plus fascinante possible ? » Et si tu écris en omniscient alors que tu suis globalement un seul personnage dans un récit chronologique sans grands effets, demande-toi si tu as choisi la meilleure narration pour ton histoire.

***

Pour conclure l’article, nous résumerons donc en disant que le récit à la troisième personne avec narrateur omniscient apporte énormément de liberté à l’auteur, et a de très nombreux avantages. Hélas, ses faiblesses sont énormes : ces types de récits souffrent d’une grande distance narrative et sont peu immersifs (or, de nos jours, tout le monde ne jure plus que par l’immersion). C’est une narration que je déconseille aux auteurs novices, qui n’ont pas toujours l’expérience pour exploiter toutes les capacités de l’omniscient en vue de compenser ses défauts.


AUTRES ARTICLES DE LA SÉRIE
Sommaire
Narration à la première personne au passé
Narration à la première personne au présent
Narration à la troisième personne en focalisation interne
Synthèse


(37 commentaires)

    1. Bonjour !
      Je ne suis pas bien sûr de comprendre la question.
      Souhaites-tu avoir certains chapitres en narrateur omniscient et d’autres à la 1ère personne, c’est cela ? C’est possible, même si en général je ne conseille pas de mélanger les types de narration. Surtout ces deux-là : la narration à la 1ère personne donne une impression de témoignage « qui fait vrai », mais seulement si on la garde intacte tout du long ; le narrateur omniscient donne plutôt une impression de conte (comme si un conteur nous racontait une fable) et c’est donc presque l’effet inverse. Mélanger les deux me paraît étrange, je le déconseille, mais tout est toujours possible en fantasy et c’est difficile de donner un avis tranché sans connaître ton histoire.
      Si j’ai mal compris la question et que tu voulais savoir s’il était possible de transformer un texte de narrateur omniscient en texte à la 1ère personne, la réponse est que… il faut tout réécrire et c’est très compliqué, puisque cela force à choisir un seul personnage pour raconter l’histoire (alors qu’en général, si on a choisi le narrateur omniscient au départ, c’est qu’on en a plein, des personnages).
      N’hésite pas à me donner plus de détails si je t’ai mal compris.
      À bientôt.

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  1. Bonjour! Je découvre ce blog et je trouve les articles hyper intéressants!! très complets avec de super cas pratiques! (ça change tout!) donc un grand merci! je suis juste embêtée de ne pas l’avoir découvert avant vu que je viens de terminer le deuxième jet de mon livre (oups lol) et j’ai un doute : je « crois » que je suis en narrateur omniscient vu que je connais l’histoire/caractère de chaque perso, généralement en changeant de chapitre je me retrouve du côté d’un perso différent, décrit ce qu’il pense ce qu’il vit etc. Et en même temps au sein de ce chapitre avec ce perso, je me retrouve souvent en 3eme personne focalisée avec une distance narrative plus ou moins réduite. Est-ce déconseillé du coup?….d’être un peu sur les deux tableaux? Merci d’avance…

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    1. Une seule et unique chose est « déconseillée » : écrire sans savoir ce que l’on fait. Tu as donc bien raison de te poser des questions et d’étudier les narrations, car trop d’auteurs ne comprennent pas à quel point cela occasionne de gros dommages à une histoire de ne pas maîtriser sa narration. D’après ce que tu m’écris, je pense que tu écris en focalisation interne (c’est le cas quand chaque chapitre est centré sur un personnage en particulier). Si c’est le cas, il faut que tu joues cette carte à fond (je te conseille mon article « éviter la distance narrative »). Mélanger l’omniscient et la narration focalisée (surtout quand ce n’est pas fait exprès et pas bien maîtrisé) donne le plus souvent des résultats catastrophiques. Donc relis bien ces différents articles, essaie de bien comprendre la différence entre les deux narrations (j’ai aussi écrit un cas pratique « omniscient vs 3ème personne focalisée »), et… fais ton choix.
      🙂
      Bonne écriture !

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  2. Crois-tu qu’il serait envisageable d’user de quelques intermèdes épistolaires à la première personne dans le cadre d’une narration omnisciente ?
    Ne serait-ce pas une façon d’instiller un peu de simplicité et d’immersion dans un pavé polymorphe et tentaculaire ?
    Si c’est le cas, et si certaines ou certains l’ont déjà fait avec succès, saurais-tu me conseiller un ou deux ouvrages ?
    Tant pis si ma liste de lecture prend encore de l’embonpoint, j’ai fini par m’y habituer.

    Et merci pour tous tes articles autour de la narration, c’est technique. Il faut lire et relire, mais ça aide à progresser.

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    1. Réponse en plusieurs points :
      – Est-ce possible ? Oui, tout l’est, en écriture.
      – Est-ce que j’ai un exemple en tête ? Précisément ce que tu demandes, non.
      – Est-ce que tu obtiendrais le résultat que tu crois ? Probablement pas. Multiplier les narrations n’additionne pas leurs avantages, et n’instille certainement pas de « simplicité » pour le lecteur, qui va devoir jongler avec deux narrations différentes dans sa lecture.

      La plupart du temps, les romans qui utilisent plusieurs narrations différentes en les alternant le font pour des raisons plus narratives que stylistiques : d’un point de vue de la forme pure, s’en tenir à une unique narration cohérente de bout en bout est le plus efficace pour maintenir le lecteur dans la fiction.
      Par exemple, le roman La Passe-miroir de Christelle Dabos utilise deux narrations, mais c’est parce qu’elle a besoin pour son récit de nous raconter deux lignes narratives très espacées dans le temps. Pour bien les distinguer et leur donner des styles propres, elle change de narration (3ème personne focalisée sur son héroïne au passé pour son histoire principale, 1ère personne au présent pour raconter des souvenirs très anciens).
      Je pense aussi à la série Le Bâtard de Kosigan de Fabien Cerutti. Idem. Lui aussi utilise deux narrations (une 1ère personne classique d’un côté, une narration épistolaire de l’autre) pour mettre en parallèle deux intrigues liées mais très distantes dans le temps (à noter d’ailleurs que j’ai lu beaucoup de commentaires négatifs sur ce point précis pour ce roman, et moi-même je me serais bien contenté de son intrigue principale, l’alternance avec la narration épistolaire étant plus agaçante et ennuyeuse qu’autre chose).
      Enfin, puisque tu fréquentes ce blog assidûment, tu connais sans doute Julien Hirt : dans ses romans sur le Monde Hurlant, il multiplie les narrations (pas seulement deux différentes, mais au moins trois si je me souviens bien). Mais c’est un roman de fantasy où la thématique est justement centrée sur « la fiction » et où la multiplication des narrations sert un propos.

      Pour résumer, si tu n’as pas ce genre de raison narrative pour justifier la multiplication des narrations (ou une autre raison d’auteur valable, comme un effet précis que tu recherches), ce n’est pas un choix que je conseille. Beaucoup d’auteurs peu expérimentés pensent que ça donne plus de profondeur et de complexité à leur texte que de multiplier les narrations, mais ça donne surtout plus de complexité à leur travail d’écrivain, et plus de complexité à la lecture pour les gens.

      M’enfin, tu connais la chanson, ce n’est que mon avis.
      🙂

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      1. Bien entendu que je connais Julien. Je fréquentais son blog avant le tien. Je relirai son monde hurlant à l’occasion, avec des « questions techniques » en tête… À ma première lecture, les changements de narration ne m’avaient pas du tout choqué. Sans doute pour les raisons que tu cites.

        Je note aussi le Passe-miroir de Christelle Dabos et Le Batard de Kosigan de Cerutti. Dans l’idée qui me trottait dans la tête, l’épistolaire avait justement vocation à témoigner du passé…

        En résumé, j’avais dans l’idée de planter un background politico/socio/historique en usant de l’épistolaire pour avoir du « je » et donc une forme de connivence/complicité avec le lecteur. Que la grande histoire (fictive) soit racontée par le petit bout de la lorgnette et pas par un narrateur-prof « omnichiant ».
        Ceci dit, je goûte peu l’idée de me compliquer une vie que je trouve déjà suffisamment « intéressante » comme ça. Et, dans ma caboche d’auteur, je veux produire des choses fluides, vivantes et accessibles. Je ne m’interdis pas de changer mon fusil d’épaule, surtout à ce stade du projet. Quitte à s’essayer à l’architecture, autant que ça me permette d’éviter un ou deux choix vaseux…

        Bien sûr que je connais la chanson Stéphane, ce n’était que ton avis. Nonobstant, si je te l’ai demandé, c’est parce que je voulais le connaitre. Dis-toi bien que je suis ravi de l’avoir. Un immense merci pour cette réponse rapide et argumentée Stéphane.

        À bientôt au détour d’un article.

        Bon vent

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  3. Je suis partagé vis-à-vis de ce distinguo radical et inconciliable que tu poses entre narration externe et focalisée…

    D’un côté, je n’ai pas l’impression que ce soit si fréquent ne serait-ce que de nommer la narration focalisée. Ne pas la nommer, c’est faire comme si elle n’existait pas ; c’est entretenir durablement un flou autour d’elle, comme s’il n’était pas essentiel de bien la différencier de la narration externe. Sans avoir écumé l’intégralité des blogs littéraires qui existent, le tien n’est cependant pas le premier que je fréquente, or tu es le premier à mentionner ce type de narration et à bien insister dessus. C’est faire œuvre de salubrité publique pour les auteurs débutants, et rien que pour ça, un grand merci ! 🙂 (Et vive la narration focalisée !)

    Après, là où néanmoins je serais tenté de nuancer, c’est sur le côté « choisis ton camp, camarade ». Comme tu l’as dit par ailleurs, en littérature tout est possible, dès lors que les choses trouvent une raison d’être et que l’auteur a assez de talent pour faire passer la pilule sans accroc. Comme l’a dit Picasso, « Maîtrise les règles en professionnel, pour mieux les briser en artiste ».
    Ce qui rend les narrations externe et focalisée faciles à confondre, c’est aussi l’astuce qui permet selon moi de les entremêler : formellement elles sont semblables. On peut donc dérouler un texte complet à la 3ème personne sans que le lecteur s’aperçoive qu’en cours de route la « caméra » fait des zooms d’un personnage à l’autre et devient subjective, quitte même à changer de point de vue plusieurs fois.

    Exemple :

    Sous le soleil de juillet, la plage de Knokke-Le-Zoute grouillait d’une populace bruyante aux bedaines rebondies et aux rires gras satisfaits. Impressionné par la foule du weekend, Valentin Loustereau se sentait gauche dans son habit du dimanche, et songeait qu’un salon de thé eût peut-être formé un meilleur cadre pour la déclaration officielle qu’il projetait de faire de ses sentiments à la jeune Célestine Van Haagen. Loin de ces considérations, son chien Toby courait joyeusement sur la plage à la poursuite des mouettes stupides qui s’enfuyaient à son approche avec la même vivacité que le crétin de matou du boucher de la Grand Place.

    On passe d’un narrateur purement externe (et plutôt injurieux envers les figurants) à une narration focalisée sur Valentin (avec un changement radical de champ lexical et un style littéraire soudain très XIXème siècle) puis sur Toby (avec une nouvelle rupture sémantique et des considérations beaucoup plus terre-à-terre). Bien sûr, pour l’exemple j’ai un poil forcé le trait et n’ai pas développé plus d’une phrase par « unité de narration », mais chaque phrase pourrait aisément se transformer en un petit paragraphe. Pourtant, je n’ai pas l’impression que ce petit texte soit bancal, et il me semble que le lecteur passe de façon plutôt fluide d’une vue d’ensemble acerbe aux tergiversations sentimentales du jeune Célestin puis à l’excitation canine de Toby. Il n’y a pas de confusion pour le lecteur car chaque unité de narration possède son propre focus (la foule / le meilleur endroit pour déclarer ses sentiments / ces connes de mouettes) et sa propre voix (sarcastique / maniérée / turbulente).

    Ton exemple « Laurent s’ennuyait ferme… » était d’ailleurs du même genre. Pour moi, le fait qu’il soit écrit en narration externe ne condamnait pas éternellement tout le reste du texte à cette seule forme, et pouvait ouvrir à des focalisations ultérieures comme je l’ai fait ci-dessus.

    Par contre, bien entendu, il est préférable de faire tout ça en pleine conscience, et non parce qu’on n’a pas assez lu le blog de Stéphane Arnier et qu’on ne maîtrise pas suffisamment sa narration !

    M’enfin, ce n’est que mon avis. 😉

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    1. Eh bien… c’est que je m’exprime parfois mal, voilà tout ! 🙂 Je ne dis pas qu’il faut choisir entre POV externe et POV focalisé, je pense qu’il est important de bien distinguer narration omnisciente et narration en focalisation interne.
      Un narrateur omniscient est capable de tout, et donc effectivement d’alterner les POV externes et internes. Il peut narrer « de loin » tout comme il peut aller jusqu’à zoomer et entrer ponctuellement dans la tête des personnages en narration focalisée. C’est le cas de ton exemple, et on retrouve des romans entiers écrits dans le même genre : chez Pratchett, il nous arrive régulièrement d’être en focalisation interne avec tel ou tel personnage, alors que la narration est autrement globalement externe. C’est ça que signifie « omniscient ».
      Mais quand je parle de « la narration à la 3ème personne focalisée », il s’agit d’une narration bien particulière qui vise justement à ne *jamais* quitter la focalisation, pour obtenir un effet d’immersion totale. C’est, par exemple, le cas de romans comme ceux de Brandon Sanderson.
      Ce sont deux narrations radicalement différentes, et la seconde ne « marche pas » (sous-entendu « pas comme elle le devrait ») si l’auteur sort de la focalisation à tout bout de champ.
      Donc, oui, de mon point de vue, quand on choisit sa narration, il est très important de comprendre à quel point ces deux narrations divergent. Parce que – c’est vrai – le lecteur lambda est incapable de faire la différence entre les deux, car formellement elles se ressemblent. Et pourtant, l’effet de rendu n’a rien à voir.
      Par contre, tu as 100% raison, on peut très bien avoir de l’externe et du focalisé dans un même texte, sans souci : c’est une narration omnisciente, qui offre beaucoup d’avantages mais quelques (gros) inconvénients, qu’il faut savoir manier pour savoir en tirer tout le potentiel.
      🙂

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