RÉSUMÉ DES PRINCIPALES NARRATIONS
Cette page fait suite à une série d’articles pour choisir sa narration en fonction de son projet (le sommaire est ici).
L’objectif est de t’aider à choisir la narration de ton roman en fonction de tes objectifs, selon l’histoire que tu veux raconter, sur la base de critères concrets, et j’ai essayé d’être le plus factuel possible. Soyons clairs : aucune narration n’est supérieure à une autre d’un point de vue général. Il existe de réels chefs-d’œuvre de littérature écrits en usant de chacune de ces narrations – ou même parfois de narration atypiques ou hybrides. Le tout est de savoir distinguer au plus tôt laquelle t’aidera le mieux à atteindre tes objectifs d’auteur pour un récit donné.
Voici un récapitulatif des narrations, et quelques pistes pour guider ton choix selon les objectifs que tu vises.
Narration à la première personne au passé
Convient plus particulièrement :
— pour un récit centré sur un personnage en particulier plus que sur l’intrigue elle-même ;
— pour un récit qui veut donner l’illusion du réel, de témoignage ;
— pour un récit où le personnage principal n’est pas forcément « quelqu’un de bien ».
Difficultés principales :
— narration : il faut être capable de donner vie à la « voix » du personnage ;
— dramaturgie : plusieurs contraintes scénaristiques et de caractérisation du protagoniste.
C’est une narration généralement très appréciée pour le lien de complicité qui se tisse avec le personnage narrateur, et pour le sentiment de réel qui s’en dégage. Mais c’est une narration avec un peu moins d’immersion, et qui limite l’expression au seul personnage narrateur.
Narration à la première personne au présent
Pour un récit au présent de narration (dit aussi « présent historique »), se reporter à la narration à la première personne au passé ci-dessus (globalement mêmes avantages et inconvénients) : au passé il y a plutôt une impression d’écrit et d’archives, au présent de narration plutôt une impression d’oral avec plus d’immédiateté.
Au présent de l’indicatif :
Convient plus particulièrement :
— pour un récit qui vise l’immersion dans le personnage et son caractère ;
— pour un récit qui mise sur l’immédiateté, le côté intense et/ou haletant et/ou oppressant de son intrigue.
Difficultés principales :
— narration : il faut être capable de donner vie à la « voix » du personnage ;
— dramaturgie : nombreuses contraintes scénaristiques et de caractérisation du protagoniste (plus encore qu’au passé).
C’est une narration très critiquée car elle n’a pas le même effet selon les lecteurs. Brisant les conventions avec l’emploi du présent, elle plaît beaucoup à certaines personnes et déplaît beaucoup à d’autres. C’est un bon choix si on vise l’immersion et l’intensité, et si on se sent capable de créer un récit autour d’un personnage de caractère. Elle induit néanmoins plusieurs problématiques scénaristiques et de narration avec lesquelles il faudra composer. Pour ce qui est de l’immersion, elle est en concurrence directe avec la troisième personne en focalisation interne (voir plus bas).
Narration à la troisième personne en point de vue externe — narrateur omniscient
Convient plus particulièrement :
— pour des auteurs qui aiment être très libres dans leur prose, exprimer leur talent de plume, faire du « littéraire » et pouvoir digresser tranquilles ;
— pour un récit qui s’étale sur de longues distances, et/ou de longues périodes temporelles, et/ou de nombreux personnages ;
— pour un récit qui s’intéresse plus à l’intrigue et l’histoire qu’aux personnages ;
— pour des récits à visées comiques, didactiques ou pédagogiques.
Difficultés principales :
— implique par nature une grande distance narrative (narration moins immersive, qui ennuie si on n’est pas capable d’exploiter ses avantages).
Narration à la troisième personne en focalisation interne
Convient plus particulièrement :
— pour des récits plus immersifs (aventure, action, suspens) : le lecteur est directement « dans » le personnage et « dans » l’action ;
— pour des auteurs qui veulent mettre en avant leur récit plutôt que leur style.
Difficultés principales :
— à action égale, généralement plus longue que les autres narrations ;
— il faut savoir rester focalisé et appliquer à la lettre l’adage du « montrer plutôt que raconter » : le grand ennemi est la distance narrative !
Tes objectifs
Je vise quelque chose de littéraire, j’ai une belle plume et je veux pouvoir le montrer, j’ai des réflexions à faire sur le monde
Pour ce type de récit, la 3ème personne en narrateur omniscient semble le plus approprié.
Je vise quelque chose de comique, drôle et déjanté
Pour ce type de récit, la 3ème personne en narrateur omniscient semble le plus approprié par défaut (nous avons tous en tête les exemples de Terry Pratchett ou Douglas Adams). Mais un récit à la première personne (surtout au passé) peut avoir de grandes capacités comiques si le personnage narrateur est créé en conséquence.
Je vise l’immersion, je veux que les lecteurs soient plongés dans mes personnages et ressentent leurs émotions avec force
Pour ce type de récit, tu as deux choix : la troisième personne focalisée et la première personne au présent de l’indicatif. De façon générale, la troisième personne focalisée est plus efficace et plus facile à mettre en œuvre, avec moins de contraintes, à condition que tu sois à l’aise avec la notion de « montrer plutôt que raconter ». C’est aussi le meilleur choix pour un récit choral, c’est-à-dire si tu veux avoir plusieurs personnages de point de vue importants. La première personne au présent est plus efficace si tu n’as qu’un personnage central avec un tempérament fort et que tu maîtrises bien, avec une voix qui a du caractère. C’est aussi un bon choix si tu as une intrigue menée tambour battant sans temps mort et que tu ne veux pas laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle (récit d’action ou d’aventure, thriller, ambiance oppressante, etc.).
Je veux écrire une saga épique (façon fantasy) pour déployer mon univers et raconter une grande histoire
Pour ce type de récit, tu as plusieurs choix. Le narrateur omniscient est le choix fait par Tolkien avec Le Seigneur des Anneaux, qui apporte une grande liberté, permet de relater facilement des événements distants et de couvrir plusieurs personnages (en particulier si tu ne veux pas mettre en avant « un » héros mais un groupe), mais aujourd’hui c’est une narration un peu datée qui manque de punch et d’immersion ; à n’utiliser que si ta plume peut profiter des avantages de l’omniscient à fond. La première personne au passé est le choix fait par Robin Hobb dans L’Assassin Royal ou Jean-Philippe Jaworski dans Rois du monde. Elle permet de donner un effet de réel au récit, de jouer avec la langue, et de tisser un lien particulier avec le personnage. Mais elle oblige à centrer l’histoire autour d’un personnage qui sert d’axe à tout le récit (comme Ftiz ou Bellovèse). Si tu as un bon personnage central, tu peux y aller ainsi ! La troisième personne focalisée (en récit choral avec de multiples personnages de points de vue) est le choix moderne : c’est le choix de Brandon Sanderson dans Les Archives de Roshar, le choix de John Gwynne dans The Bloodsworn Saga, le choix de Robin Hobb dans Les Aventuriers de la mer, le choix de GRR Martin pour Le Trône de fer. Cela risque de t’entraîner dans plusieurs tomes longs (as-tu les épaules ?) mais devrait créer une grande immersion… si tu sais montrer plutôt que raconter.
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Mais je m’arrête ici, parce que évidemment, en réalité, personne ne peut te conseiller sur ta narration avec si peu d’éléments en tête. Tout a une influence sur ta narration, ou plutôt ta narration influence tous les aspects de ton livre ! Son genre, son ton et son ambiance, le nombre et le type de personnages, la taille de l’arène du récit, ton éventuel besoin de raconter dans un ordre non-chronologique, ton envie de faire des cachotteries au lecteur, etc. Il n’y a que toi, sur la base de ton projet et avec toutes les pistes listées dans ces articles, qui pourra deviner quelle narration sera la plus adaptée à ton livre. Laquelle t’aidera le mieux grâce à ses points forts, ou te gênera le moins par ses faiblesses ?
Si tu crains de ne pas encore bien distinguer les différentes narrations ou identifier leurs forces et faiblesses, entraînes-toi avec les articles « 4 pages pour une narration » ! Je t’y propose les quatre premières pages de plusieurs romans connus, et décortique avec toi les choix de narration faits par leurs auteurs : comment ils profitent des avantages de la narration choisie, comment ils esquivent ou composent avec leurs difficultés. Bonne écriture !
« Alors, tu l’as trouvé comment, le narrateur de ces articles ?
— Dois-je choisir entre les adjectifs “omniscient” et “limité” ? »
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