Conseil très classique s’il en est : lorsque nous écrivons de la fiction, il est recommandé d’utiliser les divers sens de nos personnages afin de créer davantage d’immersion. C’est un petit réflexe à prendre, mais c’est aussi un peu plus facile à dire qu’à faire, car techniquement certains sens sont plus simples à rapporter que d’autres. Réflexions.Avant d’entamer cet article, rappelons deux choses.
Avant d’entamer cet article, rappelons deux choses.
Premièrement, la façon dont un auteur va réaliser ses descriptions dépend essentiellement du choix de sa narration : on ne décrit pas du tout de la même façon avec un narrateur omniscient à la 3ème personne ou un texte à la 1ère personne au présent.
Secondement, utiliser les verbes de perception en littérature crée ce qu’on appelle de la distance narrative – qui n’est pas quelque chose qu’on recherche, en général (au contraire). Afin de favoriser l’immersion, nous cherchons le plus souvent à réduire la distance narrative, et nos descriptions ont souvent plus d’impact lorsqu’on se passe des verbes de perception.
Ex : « Stéphane vit un moineau perché sur la branche » est moins immersif que simplement écrire : « Un moineau était perché sur la branche ». Si le texte est rédigé du point de vue de Stéphane, il est évident que cette vision du moineau sur la branche est la sienne.
Néanmoins, ce n’est justement pas si simple à réaliser pour l’ensemble des cinq sens.
La vue
La vue est évidemment le sens le plus simple à utiliser, et celui que nous utilisons le plus : par défaut, un élément de description sera considéré par le lecteur comme quelque chose que le personnage voit.
Ex : Si la phrase indique : « Un moineau était perché sur la branche », le lecteur présume que c’est une information captée par le regard du personnage.
C’est donc particulièrement pratique lorsqu’on vise l’immersion, parce qu’il est souvent très facile de se passer des verbes de perception comme voir, regarder, observer, etc. (et donc de réduire l’effet de distance narrative). Il existe pourtant des situations où préciser le verbe peut être utile, la plus courante étant une situation où un personnage est le seul à voir quelque chose au sein d’un groupe de personnages.
Ex : Si la phrase indique : « Un moineau était perché sur la branche », le lecteur présume que tous les personnages présents dans la scène voient le moineau. Alors que si la phrase indique : « Stéphane remarqua un moineau perché sur une branche », le lecteur va considérer que seul le personnage de Stéphane voit le moineau, et que d’éventuels autres personnages de la scène n’y ont pas prêté attention.
Il est également assez simple de sous-entendre certaines actions implicites : si on décrit des oiseaux qui volent haut dans le ciel, ça sous-entend que le personnage lève la tête, sans forcément avoir besoin de le préciser. Si la phrase dit : « Derrière Stéphane, un paysan passa, une mule à la bride », ça sous-entend que le personnage de Stéphane s’est retourné, sans qu’on ait besoin de l’écrire.
Attention, le corollaire est également vrai : une description peut vite paraître confuse si l’auteur enchaîne des éléments qui se situent en l’air, puis au sol, puis derrière le personnage, car le lecteur ne va plus comprendre comment se comporte le personnage de point de vue. Cela induit qu’une description immersive devrait suivre la logique du regard : qu’est-ce que le personnage va voir en premier en entrant dans la pièce ? Peut-être va-t-il avoir une impression d’ensemble (par exemple si toute la déco est dans les tons rouges), mais peut-être qu’un canapé doré va monopoliser son attention en premier avant tout le reste.
Enfin, se passer du verbe lié à la perception a un autre avantage que de réduire la distance narrative : puisque le personnage de point de vue n’est plus mentionné dans la phrase, c’est le sujet de la description qui devient le sujet de la phrase, permettant d’insuffler plus de vie et d’action.
Ex : La phrase « Un moineau était perché sur la branche » est plutôt faible, animée d’un verbe terne. Utiliser le moineau comme sujet permet d’autres choses : « Un moineau sautillait de droite et de gauche le long d’une branche », « Un moineau fixait Stéphane d’un drôle d’air depuis une haute branche », « Juché sur une branche, un moineau recoiffait du bec son plumage brun ». Etc.
L’ouïe
Notre vie quotidienne contient bien plus de sons qu’on ne le réalise, et nos scènes fictionnelles sous-exploitent souvent ce sens.
Comme précisé en début d’article, éviter d’utiliser un verbe de perception permet de réduire la distance narrative, mais il y a un autre avantage à ça. En effet, nous ne disposons pas de nombreux verbes différents pour signifier « entendre », et ça deviendrait très vite lourd si nous étions sans cesse obligés d’écrire : « Stéphane entendit ceci, Stéphane entendit cela ». En revanche, si le personnage n’est plus le sujet de la phrase, mais qu’on le remplace par l’élément qui produit le son, nos options se démultiplient, car il existe une immense variété de sons différents.
Ex : « Un chien aboya dans la rue », « Les pneus de la voiture crissèrent », « Les feuilles bruissèrent dans les frondaisons », « Le clavier de l’ordinateur cliquetait sous ses doigts », etc.
Notre premier réflexe devrait être de choisir le verbe le plus adapté et spécifique possible en lien avec le son, mais il est aussi possible de chercher à dresser des parallèles et des images.
Ex : « Le sergent aboya un ordre », « Le feu ronronnait dans l’âtre », etc.
Aboyer et ronronner sont d’habitude attribués à des éléments très spécifiques (c’est le chien qui aboie, le chat qui ronronne), mais on peut exploiter certains verbes hors de leurs contextes pour des métaphores sonores plus évocatrices.
Il existe une telle variété de sons qu’il est souvent approprié de les moduler : est-ce un son faible ou puissant ? Aigu ou grave ? Bref, long, ou répétitif ? Quand un son est mélodique, il peut être associé à un ressenti ou une émotion : un chant peut être gai, plaintif ou lugubre, par exemple. S’il y a de la musique dans une scène, il est souvent très important de préciser de quel type, là encore en essayant d’être le plus spécifique possible.
Il est aussi possible d’utiliser des onomatopées, selon le ton et le style du livre. Cela peut paraître osé, mais c’est parfois un bon moyen de remplacer une phrase par la représentation directe du son : si l’onomatopée est bien choisie, elle peut avoir un impact fort, et lors d’une scène supposée rapide, elle permet de gagner du temps et de rendre le son plus spontané.
À noter enfin que, puisque la vue est le sens que le lecteur va considérer par défaut, il peut être pertinent de clarifier quand le personnage entend quelque chose qu’il ne voit pas. Si la phrase dit : « Un moineau chantait depuis les branches hautes », le lecteur va sans doute présumer que le personnage peut voir le moineau. Si ce n’est pas le cas (et que ça a une importance pour l’histoire), il peut alors être utile de s’y prendre autrement.
- En réintroduisant un verbe de perception (bien que ça ajoute de la distance narrative) : « Stéphane entendit un moineau chanter depuis les branches hautes ».
- En utilisant le son lui-même comme sujet, et non l’élément produisant le son : « Un chant de moineau cascadait depuis les branches hautes ».
- En rendant la localisation incertaine : « Quelque part dans les branches hautes, un moineau chantait ».
Parce que la vue est un sens très important, un son aura souvent un impact plus marquant si sa source est invisible : le lecteur aura cette impression d’avoir besoin de se concentrer sur son oreille.
Le goût et l’odorat
Le goût et l’odorat sont moins utilisés parce que – contrairement à la vue et l’ouïe – ce ne sont pas des sens qui sont sollicités en permanence. Nous n’avons pas toujours quelque chose dans la bouche, et tous les lieux où nous nous trouvons n’ont pas forcément d’odeur assez spécifique ou marquante pour qu’on en parle. Ce sont aussi deux sens qui posent des problèmes identiques, car dans une grande majorité des cas, chaque aliment a un goût qui lui est propre, et chaque odeur est unique : la rose sent… la rose, et un ragoût de bœuf a un goût… de ragoût de bœuf.
Le goût a au moins l’avantage de disposer de quelques qualificatifs utiles : un aliment peut être sucré ou salé, acide ou amer, doux ou piquant. Hélas, au-delà de ça, il est plus difficile de véhiculer des goûts de façon imaginative. Dans tous les cas, comme pour les autres sens, se passer du verbe de perception est généralement un bon choix, et permet de se concentrer soit sur l’élément qui provoque le goût ou l’odeur, soit sur la saveur ou la senteur elles-mêmes.
Ex : « Les lys dégageaient une senteur puissante et florale », « Le ragoût étalait d’abord sur la langue ses notes herbacées avant de piquer le palais à coup de poivre ».
Ex : « La puissante odeur de lys tournait la tête », « Les notes herbacées du ragoût caressaient la langue avant que le poivre n’explose en bouche ».
Le toucher
Le toucher est un sens sous-estimé, qu’on utilise pourtant de façon aussi permanente que la vue et l’ouïe. À l’instant où j’écris ces lignes, mon nez ne sent aucune odeur particulière, et je n’ai pas vraiment de goût en bouche. En revanche, mon toucher est sollicité : je ressens les touches dudit clavier sous la pulpe de mes doigts, le poids de la chemise épaisse que j’ai passé par-dessus mon tee-shirt, l’appui du tabouret haut sous mes cuisses. Un personnage n’a donc pas forcément besoin de tendre la main vers un objet pour que l’auteur exploite le sens du toucher dans sa description.
Rappelons que le toucher concerne énormément d’aspects de nos vies : le chaud et le froid, les sensations externes ou internes, la douleur, la position dans l’espace et l’équilibre (par exemple le vertige), la fatigue, etc.
Les perceptions internes peuvent servir d’indicateurs puissants lors de scènes émotionnelles, avec un personnage qui a la chair de poule, est secoué d’un frisson, a le ventre noué ou les yeux qui pleurent, etc.
Le toucher tel qu’on l’imagine de façon littérale (les doigts du personnage qui caressent ou effleurent quelque chose) est généralement réservé à un moment où l’auteur veut mettre une emphase émotionnelle importante sur l’acte, car visuellement le lecteur éprouve une impression de zoom (comme si le cadre d’une caméra se focalisait sur les doigts). Si la scène ne justifie pas cela, cela peut la rendre mélodramatique, voire même étrange ou inappropriée.
À noter enfin qu’un personnage n’a pas forcément besoin de toucher quelque chose pour imaginer ce que cela fait. Le texte peut produire de fortes sensations chez le lecteur simplement en décrivant une fourrure animale qui a l’air douce et chaude, un sol pavé de petits galets produisant sans doute un effet granuleux sous la plante du pied, ou une tunique dont le personnage constate l’épaisseur et la qualité de la laine.
Un sixième sens ?
Dans certaines histoires – et encore plus fréquemment en littératures de l’imaginaire –, un personnage peut disposer d’autres formes de sensations : ça peut être une forme d’intuition, un ressenti surnaturel ou d’origine magique. Certains récits qui jouent sur la peur ou l’horreur peuvent vouloir induire des craintes dont il est difficile de discerner l’origine, avec un malaise inexplicable, une trouille viscérale venue de nulle part, un mauvais pressentiment. Il est difficile de lister ces situations, tant les cas peuvent varier d’un roman à un autre, mais quelques petites astuces peuvent parfois aider :
- Même si un univers de fiction dispose d’un sens particulier (par exemple lié à une capacité magique spéciale), le lecteur peinera à l’imaginer si ce sens n’est pas rattaché à un sens déjà existant. Par exemple, si un personnage peut « percevoir les âmes » des individus, ce sens peut être rattaché à la vue (en parlant des formes et couleurs de l’âme), à l’ouïe (l’âme pouvant produire une mélodie ou un rythme), au toucher (le personnage doit effleurer la personne et ressent froid et chaleur de l’âme, ainsi que sa douceur ou rugosité), ou même odorat et goût !
- Comme pour la remarque sur le « toucher littéral », mieux vaut généralement réserver les perceptions extrasensorielles inexplicables à des moments forts de tension ou d’émotion, au risque de tomber dans un texte mélodramatique où le personnage « ressent des choses » pour un oui ou pour un non.
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Évidemment, nous n’avons pas à utiliser systématiquement l’intégralité des sens de nos personnages à chaque description. Néanmoins, il est souvent utile de se rappeler qu’il n’y a pas que la vue dans la vie : varier les sens apporte plus de vie, et certains sens sont parfois plus évocateurs que d’autres selon les situations. Enfin, la façon dont on va rapporter ces perceptions va avoir une grande influence sur l’impression d’immersion qu’éprouvera le lecteur.
M’enfin, ce n’est que mon avis…

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