« On arrive à la fin de saison de 2022.
— Je me demande ce qui se passera en 2023 !
— Écoute, on va déjà essayer de finir 2022 proprement. »
Comme l’an dernier, avec cet article d’avant-Noël et dernier post de 2022, je dévie (un tout petit peu) de la ligne éditoriale à laquelle ce blog s’astreint généralement – mais pas tant que cela, puisque j’y parle bel et bien de cliffhanger… et en quoi cette technique ne fonctionne que si (et seulement si) on pense à la satisfaction du lecteur et pas uniquement à créer sa frustration. Je parlerai aussi d’à quel point je me félicite de toujours préférer le blog aux réseaux sociaux pour échanger sur l’écriture (avec ce qu’on vit sur Twitter cette année, c’est d’actualité). Ah, et à la fin je ne finis PAS sur un cliffhanger !
Le paradoxe du cliffhanger
Tu sais que j’aime bien pointer du doigt certaines polémiques sur l’écriture pour identifier où se trouvent vraiment les problèmes, et récemment je me suis rendu compte – non pas d’une polémique – mais d’un drôle de paradoxe. Aujourd’hui, n’importe quel blog de dramaturgie va te conseiller de terminer tes chapitres sur un cliffhanger, c’est-à-dire un rebondissement incroyable, une situation inattendue, un coup de théâtre surprenant. L’idée est de rendre le suspens si insoutenable que le lecteur n’a pas d’autre choix que d’entamer la lecture du chapitre suivant pour savoir ce qu’il se passe. C’est très répandu, et tous les créateurs d’histoires semblent assez d’accord sur l’efficacité du truc. Et pourtant, quand je discute avec des lecteurs et amateurs de livres, il y a quelque chose que beaucoup de monde dit détester : les cliffhangers. Si on écoute les dramaturges, c’est une technique infaillible ; si on écoute les gens, ils détestent ça. Et moi, j’aime bien les questions que ça soulève.
La première question étant : est-ce vraiment un paradoxe ? Le but du cliffhanger est d’accrocher le lecteur (l’agripper, le harponner, l’hameçonner) : qui a jamais prétendu que c’était agréable ? Mais notre but d’auteur ne devrait-il pas plutôt être concentré sur l’idée d’offrir « une bonne expérience » ? Le lecteur ne devrait-il pas continuer à lire notre livre parce qu’il apprécie de le faire ? Or, si j’en crois des critiques haineuses de cliffhangers qu’on m’a faites, cette technique en agace, des gens… peut-être parce qu’on utilise contre eux une tactique (qui a dit « déloyale » ?) pour les obliger à lire.
Et je pense que le cœur du problème est là. Comme les prologues ou les romances, les gens disent « ne pas aimer » les cliffhangers pour une raison très simple : ils ont été confrontés à beaucoup trop de mauvais cliffhangers. Cette technique a été tant et tant plébiscitée que les auteurs tentent de la placer partout, tout le temps, et ils n’ont pas les moyens de faire en sorte qu’ils soient tous bons. Alors, ils trichent : ils créent de fausses attentes, qui incitent certes le lecteur à poursuivre la lecture, mais sans être capables de combler lesdites attentes. Et ça, c’est déloyal… et insatisfaisant.
Exemple : alors qu’on arrive en fin de chapitre, quelqu’un apparaît dans le dos du personnage principal, qui ne l’a pas entendu venir. Le protagoniste fait volte face en sursautant et en criant. Fin de chapitre.
…
Mais au début du chapitre suivant, on réalise que c’est juste le meilleur ami du personnage venu lui rendre sa perceuse. Le protagoniste en rigole : ouh là là, il lui a fait une de ces frousses !
Je pense que nous avons tous des tas d’exemples de ce genre en tête. Ce qu’oublient certains auteurs, c’est que le cliffhanger fonctionne sur le principe des promesses, vus dans un précédent article. Un cliffhanger fait une promesse implicite, et il n’y a satisfaction du lecteur que si la suite tient cette promesse :
- si le chapitre qui suit un cliffhanger révèle que la tension était artificielle, cela passe pour une vulgaire manipulation, qui génère de la frustration voire de la vexation : essaie donc de dire à un ado de 18 ans que tu vas lui offrir une voiture, pour ensuite lui tendre une automobile en modèle réduit.
- si le chapitre qui suit parle de radicalement autre chose (cas typique : changement de personnage de point de vue, avec un chapitre qui se passe complètement ailleurs), la promesse n’est pas tenue non plus, et génère une grosse frustration.
Un bon cliffhanger fait une grosse promesse en fin de chapitre, et la tient au début du chapitre suivant : c’est comme ça que fonctionnent les page turner. Et si tu n’as pas de quoi créer un bon cliffhanger ? Eh bien, n’en mets pas. Comme dans la vraie vie : ne fais jamais de promesse que tu ne peux pas tenir. Tu as remarqué comme, à chaque fin d’année sur les réseaux sociaux, les gens adorent poster des bilans et faire le point sur l’année écoulée ? Les fins, ça sert aussi à ça, à marquer des pauses, et c’est quelque chose qu’un lecteur apprécie aussi.
Dramaturgie et narration
Ainsi se termine une année de plus à parler dramaturgie et narration ici (je t’ai expliqué pourquoi je m’obstine sur ces sujets dans l’article « Apprendre à écrire : à quoi s’intéresser vraiment ? »). L’écriture, ça s’apprend, mais c’est très long car il y a un nombre invraisemblable de choses à maîtriser pour produire un bon texte. Je suis ravi d’avoir pu continuer à tenir ce blog en 2022, et d’en arriver à 180 articles mis en ligne depuis 2015. Alors que les réseaux sociaux deviennent bien compliquer à naviguer et sont (peut-être ?) en train de doucement péricliter, je me félicite d’avoir cet espace privilégié pour stocker mes réflexions. Merci à toutes et à tous, vous qui étiez plus nombreux à venir ici cette année que l’an dernier (j’ai la chance de pouvoir répéter ça tous les ans depuis huit ans). Je continuerai en 2023 à parler d’écriture, et toujours au prisme de ses aspects techniques ; je n’ai toujours aucune « méthode » à proposer, pas de coaching à vendre, pas de solution miracle à l’équation « qu’est-ce qu’un bon livre ? »… mais j’ai un apprentissage infini à poursuivre et à traduire sous forme d’articles ici. J’aimerais faire plus, je l’ai souvent dit ici par le passé, en commentaires ou lors d’échanges privé avec certaines et certains. Alors sache que :
- Tu ne l’as peut-être pas vu, mais j’ai ouvert un second blog, plus intimiste et personnel, où j’évoque mes travaux d’écriture en cours (en ce moment je parle surtout de deux gros projets de jeux de rôle sur lesquels je bosse, mais j’ai aussi un nouveau roman en chantier). Passe prendre un café à l’occasion ! Parce que ça s’appelle « Encre Café », et c’est ici.
- J’ai un autre projet également, en rapport avec ce que j’ai toujours essayé d’apporter avec ce blog, sur la narration. Il est trop tôt pour communiquer dessus, mais j’ai de solides raisons de penser que ça va se concrétiser en 2023. Peut-être que je lâcherai de petites infos dans quelques mois sur le blog de travail d’Encre Café ! Non, ce n’est pas un cliffhanger, juste un court teaser… et je compte bien tenir cette promesse plus ou moins tacite que je fais ici 😉
J’espère que toi, de ton côté, tu as appris plein de choses intéressantes en écriture cette année, ici ou ailleurs, que tu as bien avancé sur tes projets, que tu as lu des livres super. Je ne doute pas que d’autres bouquins arrivent sous le sapin. Je te souhaite une excellente fin d’année et de joyeuses fêtes, et te donne rendez-vous ici en janvier pour continuer à causer dramaturgie et narration.
Stéphane.
Félicitations pour cette année très bien remplie et plein succès pour tes projets prévus (ou pas) pour 2023.
En ce qui concerne les cliffhangers, même si je suis plutôt d’accord avec toi, je me méfie tout de même de ce que « beaucoup de monde » pense des techniques de narration. Je ne suis pas sûr que la plupart des gens aient les idées claires sur les éléments dramaturgiques qui leur plaisent ou pas. En plus, un procédé peut te rebuter en théorie, mais malgré tout fonctionner sur toi en pratique, donc je pense qu’ici l’aspect analytique se suffit à lui-même sans avoir besoin de le transformer en sondage d’opinion.
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Merci Julien. J’espère que 2023 sera plus rempli encore, j’ai bon espoir.
Pour le reste, comme je l’explique en début d’article, ce que pensent les gens – les discussions ou polémiques que j’observe sur les réseaux – est souvent une source de réflexion pour moi… mais ce n’est que ça, un point de départ. En particulier, j’aime creuser l’aspect technique derrière les grandes divergences d’opinions, *justement* parce que je suis complètement d’accord avec toi, à savoir que la plupart des gens qui s’expriment sur ces sujets ne les maîtrisent pas vraiment, et que ça n’aide pas un auteur à s’en servir de façon utile.
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Bonjour, quand vous abordez le cliffhanger comme promesse à tenir, ça me fait penser aux notions de ‘préparation’ et ‘paiement’ dans le livre de Yves Lavandier « La dramaturgie, l’art du récit » (il traite du scénario, théâtre et BD, mais fourmille de techniques valables aussi pour l’écriture).
Merci pour cette année de blog, j’ai savouré chacune de vos publications… et je suis bien curieuse de découvrir votre nouveau projet en 2023.
Mes bons voeux, je vous les envoie dans la langue de ‘par chez moi’ : Vrolijke Kerstfeesten en Gelukkig Nieuwjaar ! Que le plaisir de l’écriture et de la lecture continue à vous accompagner, vous et vos lecteurs !
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Merci beaucoup pour ce commentaire ! Oui, ça fonctionne en effet comme une préparation-paiement, mais dont le paiement devrait arriver tout de suite : on donne envie au lecteur de lire un chapitre de plus, et on le récompense immédiatement de l’avoir fait.
🙂
Hyvää joulua!
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En 2023 comme en 2015, 2016, 2017 (bref, vous avez saisi l’idée) : toujours le meilleur blog à suivre quand on écrit! J’ai très très hâte de voir ce que tu vas faire de ce projet narration, j’avoue sans peine que ce sont ces articles que je reviens relire le plus ^^
Bon 2023!
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Merci beaucoup ! 🙏
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