Traquer les longueurs

« S’il y a bien un truc dont on ne peut pas nous accuser, c’est de faire des intros avec des longueurs !
– C’est déjà ça ! »

C’en est devenu une phrase clichée chez les lecteurs et les critiques : « il y a des longueurs dans ce livre ». C’est évidemment une pique dont un auteur se passerait bien, et qui signifie généralement que le texte – même s’il est bon – a peut-être un peu trop de gras. Seulement, pour l’auteur qui a le nez sur son manuscrit, repérer ces longueurs n’est pas toujours simple. Où les traquer, et quelle réflexion mener pour les retirer ? Viens, on en parle.

Les descriptions

Évidemment, à tout seigneur tout honneur, les descriptions (de lieux, d’objets, de n’importe quoi) sont des moments où il est souvent facile d’en faire trop. Bien sûr, le lecteur a besoin de savoir à quoi ressemble le décor, mais il va rarement apprécier de rêvasser devant le paysage trop longtemps. Si tu repères une description qui s’étend dans ton manuscrit, voici quelques questions à te poser :

Cet endroit (ou élément) est-il important pour la suite de l’histoire ? S’il s’agit d’un lieu devant lequel passent les personnages lors d’un voyage mais qui n’a pas de lien avec l’intrigue, la description devrait être courte ; en revanche, si l’endroit sera le théâtre d’une scène d’action dès la prochaine page, cela peut justifier de s’étendre un peu.

Cet endroit (ou élément) sera-t-il récurrent dans l’histoire ? S’il s’agit d’un objet qu’on ne reverra pas de tout le livre, la description devrait rester succincte ; s’il s’agit d’un objet cher au personnage et qui revient souvent dans le récit, en brosser une image précise peut valoir le coup (mais si cet élément va revenir, cela signifie aussi que la description pourrait être faite plus tard).

Peut-on réellement se figurer des détails si précis ? Certains auteurs fournissent des dimensions précises en mètres (longueur, largeur, hauteur), passent plusieurs lignes à décrire un motif compliqué, ou s’extasient sur des termes techniques d’architecture… alors que le lecteur – en dépit d’une description si exacte – sera bien en peine de visualiser quelque chose de si complexe. Remplacer les détails techniques par une comparaison ou une impression peut marquer plus efficacement et plus durablement le lecteur, tout en étant bien plus court.

Surcharge d’exposition

Trop d’exposition, et le monde apparaît soudain inutilement complexe, barbant et lourd ; pas assez d’exposition, et le lecteur se retrouve rapidement confus dans un décor auquel il ne comprend rien. C’est un exercice difficile, l’exposition – et sans doute tout particulièrement en littératures de l’imaginaire. Lorsque tu rencontres un paragraphe d’exposition un peu long dans ton manuscrit (explications sur la société, la religion, les peuples, l’histoire), il y a deux bonnes questions à se poser :

  1. Le lecteur a-t-il vraiment besoin de cette information pour comprendre ce qui se passe ?
  2. En a-t-il vraiment besoin maintenant ?

D’une façon générale, plus un paragraphe (une scène, un chapitre) contient d’informations différentes, plus il va être difficile au lecteur de les mémoriser toutes. Mais généralement, chez les auteurs novices, le problème n’est pas tant de savoir sélectionner l’information, que de déterminer le bon moment pour la fournir : beaucoup d’éléments (sur le monde, les personnages, l’intrigue) sont réellement pertinents et utiles, mais n’ont pas besoin d’être fournis dès le début du livre. Prioriser et étaler l’exposition des éléments importants dans le temps demande un peu d’expérience. Il faut jouer avec l’obsession d’être clair pour le lecteur : ce dernier doit comprendre ce qui se passe dans le chapitre qu’il est en train de lire… mais si un élément lui sera utile plus tard, tu peux sans doute lui fournir plus tard.

Les résumés… pas assez résumés

Parfois, l’auteur rédige un passage « raconté » (et non « montré ») pour résumer quelque chose que les personnages ont vécu mais qui n’était pas particulièrement intéressant – cela permet de faire avancer le temps. C’est par exemple le cas d’un voyage : le récit d’une journée de marche sans péripétie peut vite devenir ennuyeux, n’est-ce pas ? Seulement, l’auteur a l’impression de « tricher » en agissant ainsi. Il veut que le lecteur ressente la longueur du voyage. Alors il procède à une narration résumée, certes, mais pas assez résumée : il décrit quand même vaguement quelques éléments traversés, qui n’ont pourtant rien de très intéressant. Ce qui aurait pu prendre cinq lignes devient trois épais paragraphes : c’est toujours mieux qu’un chapitre entier, mais il y a encore matière à couper.

Tu as des passages résumés dans ton manuscrit ? Alors demande-toi pourquoi tu as choisi de les résumer au lieu de les montrer. L’ellipse complète est parfois un outil puissant, et plus efficace qu’un paragraphe résumé ; et quand tu as besoin de résumer, eh bien, résume, mais un unique paragraphe devrait suffire.

Des personnages qui parlent pour ne rien dire

Les dialogues – bien que moins rebutants pour un lecteur, généralement – peuvent aussi briser le rythme du récit, donnant une impression de longueur, si l’échange s’éternise. Pris par la joute verbale et son « jeu de rôle », l’auteur multiplie les répliques et s’écarte du sujet. Si un dialogue commence à recouvrir plusieurs pages de ton manuscrit, revenir aux fondamentaux peut une nouvelle fois t’aider : quel est l’objectif de ce dialogue ? Quelles sont les informations qu’il devrait contenir, les émotions qui devraient y transparaître ? Si tu as besoin d’une longue liste pour répondre à ces questions, tu as sans doute de quoi couper ici. Tout comme pour un paragraphe de description ou d’exposition, il est facile d’en demander trop à un dialogue. Fixe-toi des priorités en fonction du moment de l’histoire, fais en sorte que ton échange véhicule les idées ou sentiments dont tu as besoin, et poursuis l’histoire.

Les pensées des personnages

Lors de récits en focalisation interne, l’auteur peut facilement relater les pensées de son personnage de point de vue, y compris des pensées complexes en pleine situation d’urgence. Cela peut permettre de mieux nous faire comprendre ce qu’il ressent, ou de nous expliquer pourquoi il agit ainsi. Néanmoins, cela met le reste de l’action sur « pause », et cela peut donner une impression de longueur si on a le sentiment que le temps de la réflexion ne colle pas au temps de l’action. Cinq lignes pour raconter une émotion ou expliquer la conception d’une stratégie de combat peuvent saboter le rythme d’une scène d’action censée être trépidante.

Ainsi, traque les intériorisations de ton protagoniste dans ce genre de passage : dans un combat ou une course-poursuite, on n’a pas vraiment le temps de penser ni d’analyser ses propres émotions. Distille les éléments clefs de la même façon que tu donnerais des coups de poings, sois vif et va à l’essentiel, et privilégie les actes du personnage à ses pensées.

La dramaturgie (et oui)

Si tu as le sentiment que tu ne peux pas rendre ton texte moins épais, mais que des bêta-lecteurs te disent toujours qu’il y a « des longueurs », le problème n’est peut-être pas dans le forme, mais dans le fond. Peut-être que le souci est dramaturgique, avec des parties qui se détournent de l’intrigue principale, ou en tout cas dans lesquelles le lecteur n’a pas le sentiment de progresser dans l’histoire. C’est alors un autre problème (hélas, probablement un peu plus grave).

***

Tous les auteurs sont différents : certains écrivent des premiers jets assez « secs » et ont besoin de donner de la chair à leur manuscrit en réécriture ; d’autres (dont je fais partie !) sont facilement bavards en premier jet et ont besoin de dégraisser massivement leurs textes (personnellement, mon manuscrit final fait généralement 15% de moins que mon premier jet, sans pourtant couper d’événements). Mais quand il faut traquer les longueurs, le surplus se colle un peu toujours aux mêmes endroits : dans les descriptions et l’exposition, dans le « raconté », dans les dialogues et monologues intérieurs. Avec toujours les mêmes questions : est-ce primordial ? Et dois-je vraiment le dire maintenant ?

M’enfin, ce n’est que mon avis…

Don_sarnier

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(2 commentaires)

  1. Bonjour, merci pour cet article. Je suis en train de finir un premier jet (yoepie !) et vais bientôt passer à la réécriture… avec l’inquiétude du ‘dégraissage’.
    « Kill your darlings » : ça me fait trembler comme un film d’horreur !

    Aimé par 1 personne

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