[Question de lecteur] Évolution du personnage

Il m’arrive de plus en plus souvent de recevoir des questions de lecteurs du blog, et ça fait plaisir. Et comme les questions des uns peuvent faire échos aux interrogations des autres, pourquoi ne pas répondre « en public » et en faire des articles ? Aujourd’hui, la question que l’on me pose concerne l’évolution du personnage. On dit souvent qu’il est important pour un protagoniste qu’il évolue, qu’il ne soit pas le même à la fin qu’au début. Plus facile à dire qu’à faire. Voyons comment ça peut s’appliquer à un cas très concret.

Merci donc à Nicolas qui m’écrit la question suivante : « Votre article sur l’évolution d’un personnage ne dit pas comment la faire procéder. Pour faire court, je cherchais un moyen, pour un homme qui a un profond sentiment d’insécurité dans sa vie lié à son vécu, d’arrêter d’angoisser sur le statut de père et sa responsabilité vis-à-vis d’une vie perçue comme hostile qu’il offre à son enfant. Suis-je clair ? Donc, j’imagine bien que le personnage ne peut pas évoluer seul ou avec un psy, c’est mieux en mouvement avec l’histoire. Peut-être un obstacle dont le dépassement représenterait la sécurité acquise ? Mais, là, je ne trouve rien de pertinent et de naturel. Mes symboles sont trop alambiqués. »

Nicolas fait probablement référence à l’article Évolution des personnages, mais plusieurs autres articles du blog évoquent ce sujet, par exemple 4 clefs pour un personnage solide.

Principes généraux

La notion d’arc narratif, à la base, est relativement simple en théorie : elle suppose qu’un personnage puisse évoluer grâce aux différentes épreuves qu’il va traverser au cours du récit, pour finalement être un peu différent à la fin de ce qu’il était au début (généralement, sous-entendu, « un peu meilleur », mais dans le cas d’une tragédie, l’évolution peut aller dans l’autre sens). Tout protagoniste ou héros n’a pas forcément à vivre ce genre de parcours, mais c’est quelque chose de récurrent dans nos histoires car ça fonctionne particulièrement bien. Mais comment faire ça, concrètement ?

Cela implique de déterminer le « voyage » narratif que fait le personnage, avec un point de départ : quel est l’obstacle psychologique et/ou moral qu’il doit surmonter ?

Obstacle psychologique : il s’agit le plus souvent d’un trauma, d’un événement du passé du personnage qui l’a marqué et avec lequel il se débat encore aujourd’hui. Cet élément de son passé dirige une grande partie de ses actions et décisions, et généralement, pas pour le meilleur. Un obstacle psychologique est le plus souvent une souffrance pour l’individu lui-même, avec peu de répercussions sur les autres (la plupart du temps, le personnage le dissimule).

Obstacle moral : il s’agit plutôt d’un trait de caractère négatif, un défaut personnel (par exemple : égoïste, égocentrique, misogyne, etc.) qui a une part importante dans la vie du personnage. Ce trait influe à plusieurs moments du récit, et généralement, pas pour le meilleur. Un obstacle moral est le plus souvent une souffrance pour les autres personnages, pas pour le personnage lui-même : il blesse les autres à cause de son comportements (la plupart du temps, le personnage n’en a pas conscience).

Et donc, le point de départ détermine également le point d’arrivée : comment le personnage est-il supposé terminer l’histoire ? Une fois qu’on a le début et la fin, on peut réfléchir à diverses étapes intermédiaires, qui peuvent prendre bien des formes différentes. Voici une liste non-exhaustive de ce qui peut se passer :

  • Une situation « titille » le personnage sur son défaut et il agit « mal », mais il ne s’en rend pas compte : la scène souligne à quel point il n’a pas conscience de son défaut, ou qu’il nie son importance. Par exemple, le personnage égoïste est confronté à un choix, durant lequel il se montre égoïste, mais il ne voit pas le problème.
  • Plusieurs situations jouent sur le défaut du personnage, en crescendo, jusqu’à un moment grave de « bascule », qui lui fait prendre conscience du problème (ex : la première scène « égoïste » n’a pas un grand enjeu. Par exemple il finit la bouteille de jus d’orange sans en proposer à son partenaire – mais plusieurs scènes s’enchaînent avec des enjeux très importants jusqu’au moment où un choix implique quelque chose de très grave.
  • Un autre personnage confronte le personnage à ce sujet et tente de lui démontrer par a + b qu’il y a un problème. Le personnage peut réagir positivement à ça (réalisation du problème), ou bien se braquer (tension avec le personnage, souvent pourtant un proche). Par exemple, le personnage fait un choix égoïste qui a un impact sur un ami, et celui-ci s’en offusque et le lui reproche. La confrontation peut mener à une prise de conscience ou une dispute.
  • Un autre personnage (un personnage secondaire « miroir » ou un antagoniste) se comporte d’une façon similaire, avec un impact sur le personnage, mettant en relief le défaut aux yeux du personnage. Par exemple, un personnage assez similaire au protagoniste fait un choix égoïste très similaire à un choix que le protagoniste a fait plus tôt dans le livre, avec des retombée négative pour le protagoniste. Celui-ci s’en offusque. Peut-être que ça lui fait prendre conscience de la situation… ou peut-être pas.
  • Dans ce genre de débat moral, il est souvent intéressant aussi de créer des situations qui vont « dans le sens » du personnage, càd où le personnage semble avoir eu raison de se comporter mal. Cela renforce ses mauvaises croyances, justifie qu’il s’y accroche, complique sa progression. Par exemple, le personnage égoïste fait un choix égoïste… qui se révèle avoir des retombées inattendues mais super positive pour lui. Qu’il a bien fait d’être égoïste sur ce coup !
  • Quand le personnage a conscience du problème et essaie de trouver des solutions, il peut de nouveau être « testé » par une ou plusieurs situations, de la plus simple à la plus compliquée. Il peut alors obtenir des résultats mitigés ou des réussites partielles, qui montrent sa progression. Souvent, une belle réussite positive qui met du baume au cœur est suivie par un contrecoup. Par exemple, le personnage fait face à un choix, fait l’effort de ne pas se montrer égoïste, et il en est si fier qu’il ne réalise pas que juste derrière il s’est montré égoïste dans une autre situation.
  • Le climax en fin de récit est souvent en deux parties : d’abord, la situation (et/ou l’adversaire) joue sur son défaut et le personnage est poussé à agir mal une fois de plus > cela l’amène à une scène très difficile où il est au plus bas > puis quelque chose fait rebondir l’histoire, le personnage obtient une seconde chance, une nouvelle opportunité de faire le bon choix, et cette fois il y parvient.

Un arc narratif peut contenir tout ou partie de ces étapes, les mixer, en créer bien d’autres encore : tout ce qui touche au « débat moral » est bon à prendre, que ce soit dans la création de l’univers (par exemple : worldbuilding qui se focalise sur différents aspects égoïste d’une société ; création de plusieurs personnages qui ont une relation différente avec l’égoïsme, miroirs ou au contraire opposés du protagoniste ; intrigue focalisée sur cette thématique, avec un antagoniste qui fait beaucoup de mal par égoïsme, etc.). Tout dépend de la longueur du récit, de l’importance du personnage concerné (d’autres personnages que le protagoniste peuvent suivre des arcs narratifs), de l’importance du thème traité (un personnage peut suivre un arc narratif sur un sujet annexe à l’histoire), etc.

Il n’y a pas de recette miracle toute faite, ce ne sont que des exemples. L’important pour « bâtir » l’arc est de savoir où le personnage doit arriver à la fin, afin de le placer dans une position opposée en début de récit, et pour chercher comment des situations du roman peuvent « jouer » avec sa problématique.

Dans ce cas particulier

Dans le cas particulier de Nicolas, la question est néanmoins compliquée à plusieurs titres. Premièrement, on y parle d’angoisses, visiblement très fortes, et c’est un mal très puissant qui affecte beaucoup de personnes dans la vraie vie. Je connais personnellement beaucoup de gens qui en souffrent, et on ne peut pas prétendre via une histoire qu’une personne peut surmonter ses angoisses d’un coup de baguette magique. Secondement, ça semble toucher un père vis-à-vis de son enfant, et tout ce qui touche aux enfants est toujours trèèès délicat.

Nicolas décrit la problématique du personnage ainsi : « arrêter d’angoisser sur le statut de père et sa responsabilité vis-à-vis d’une vie perçue comme hostile qu’il offre à son enfant ». Or, peut-on vraiment, quand on est parent, cesser d’angoisser sur ça, surtout de nos jours ? Ou l’exiger des parents qui liront le roman ? Probablement pas.

En revanche, il est tout à fait possible que ces angoisses poussent le personnage à des actes concrets « qui ne sont pas bien ». Nicolas évoque « un profond sentiment d’insécurité dans sa vie lié à son vécu », et ça ressemble fort à un obstacle psychologique. Peut-être serait-il intéressant de lui adjoindre un obstacle moral qui y serait lié. Par exemple, peut-être le personnage est-il surprotecteur, n’accorde pas assez de liberté à l’enfant, l’empêche de vivre une passion estimée trop dangereuse, etc. Je pense qu’il y a là matière à creuser dans cette direction : le protagoniste n’aura probablement pas fini d’angoisser à la fin de l’histoire, cela semble irréaliste, et il paraît malhonnête de le prétendre ; en revanche, le personnage peut réaliser que certains de ses actes (liés à ses angoisses) ne sont pas bons ni pour les autres, pas bons pour son enfant, pas bons pour lui… et changer sa façon d’agir en dépit de ses angoisses. Bien sûr, l’obstacle psychologique peut lui aussi être affronté dans le roman, mais surclasse-t-on complètement ce genre de situation ? Je l’ignore : comme toute histoire, il est important de faire ses recherches et éventuellement d’en discuter avec des gens dans cette situation.

Mon conseil (qui n’engage que moi) serait ici de travailler d’abord sur ce que le personnage devrait cesser de faire concrètement (en lien avec ses angoisses, mais autre chose que « angoisser », qui est quelque chose qu’on ne contrôle pas). Cela permettra de déterminer comment il va se comporter en début de récit (c’est-à-dire : mal), ce qui permettra de réfléchir à comment l’intrigue du récit peut « jouer » avec cette problématique, en s’inspirant des points listés plus hauts. Dans l’exemple d’un parent surprotecteur, ça pourrait être d’interdire à son enfant quelque chose qui apparaîtrait d’abord d’assez anodin. Puis d’autres choses feraient monter la tension de plusieurs crans, montrant au lecteur que ça dépasse les bornes, jusqu’à ce que le personnage le comprenne aussi. Il pourrait en particulier se braquer contre une passion de l’enfant, jugée dangereuse, mais dont l’enfant a besoin pour s’épanouir. Il y aurait ensuite des hauts et des bas, jusqu’à un climax final où le personnage réussirait enfin à faire bonne figure en laissant l’enfant faire quelque chose d’important (probablement d’un peu risqué, mais raisonnablement). La fin ne serait pas toute rose avec l’idée que le personnage a complètement vaincu ses angoisses, mais serait de bon augure pour mieux vivre l’avenir. Fin.

Attention : la mise en place d’obstacles moraux implique des répercussions sur les autres. Surtout si le protagoniste se comporte « mal » en lien avec un enfant, il faudra veiller à la fois à doser ce comportement (par exemple, de la violence envers l’enfant est inacceptable pour un protagoniste, ce serait une ligne rouge) et à la fois y aller très fort sur les outils d’attachement au protagoniste (voir les nombreux autres articles dédiés, comme Faire aimer ses personnages). Probablement qu’une narration en focalisation interne, pour faire vivre au lecteur les tourments de l’intérieur du protagoniste, serait pertinente.

Mais tout ça, ce ne sont que des idées en l’air : c’est l’histoire de Nicolas. Bonne écriture à lui !

***

Les arcs narratifs peuvent être petits ou grands, concerner des protagonistes majeurs ou toucher des personnages plus secondaires. Ils ne sont pas indispensables non plus, et tous les personnages n’ont pas à vivre de tels changements. Néanmoins, bien montés, ces arcs sont extrêmement satisfaisants pour les lecteurs ! C’est un véritable wishfulfilment pour les lecteurs de voir des personnages surmonter leurs problèmes et s’en sortir, pour la simple et bonne raison que nous avons tous des soucis personnels dont on espère se tirer ! Attention quand même à faire du personnage quelqu’un d’attachant, qu’on a envie de soutenir dans ses épreuves (c’est primordial)… et attention aussi à la morale de l’histoire ainsi véhiculée via son arc.

M’enfin, ce n’est que mon avis…


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