Quand on parle narration, il arrive parfois que le texte adopte le point de vue (POV) d’un personnage. Cette pratique est particulièrement importante et son impact sur la façon d’écrire pas toujours bien compris. Qu’est-ce que signifie « adopter le POV d’un personnage » ? Quelles sont les conséquences concrètes sur la narration ? Comment choisir le personnage POV de son récit ? Réflexions sur ces questions et quelques autres.
Un personnage de point de vue (POV) est un personnage qui appartient à la fiction. Adopter son point de vue signifie que – en théorie – le texte se comporte comme si le lecteur se trouvait dans la tête du personnage. Le personnage sert alors de vecteur entre l’action et le lecteur.
Adopter un POV
Lorsqu’on raconte une histoire, choisir le POV selon lequel on le fait est très important. Dans un média visuel, on place sa caméra à une certaine distance et selon certains angles. Dans la BD, on compose chaque case. En littérature, cela peut paraître moins évident, mais c’est la même logique : même si c’est inconscient, c’est important pour le lecteur de ressentir « où il se trouve » par rapport à l’action, et cette « position » à partir de laquelle se fait la narration donne des effets différents. L’auteur a donc intérêt à écrire « depuis une certaine position », et donc à choisir le POV de son texte.
Le point de vue peut être plus ou moins proche de l’action. Par exemple, un narrateur omniscient peut embrasser une situation de très loin et décrire une ville comme s’il la survolait. Adopter le POV d’un personnage, c’est l’opposé : il s’agit de réduire au minimum la distance narrative en plaçant le POV dans le personnage. Cela signifie que le texte adopte le point de vue de ce dernier, et pas seulement qu’il nous raconte ce qui lui arrive. Il y a en effet une différence fondamentale entre ces deux aspects :
- centrer l’action sur le personnage,
- montrer l’action selon son POV.
En effet, une narration peut raconter l’histoire d’un personnage et demeurer centrée sur lui, tout en demeurant à l’extérieur de celui-ci, par exemple en adoptant un ton omniscient.
Exemple : Dans le roman Wyld de Nicholas Eames (dont j’ai décortiqué les premières pages ici), le texte ne quitte jamais le personnage de Clay Cooper, du premier chapitre jusqu’au dernier. Et pourtant, la narration est bien souvent extérieure à lui, avec des éléments de descriptions omniscientes ou de l’humour méta. Clay Cooper est le héros de l’histoire, celle-ci est centrée sur lui, mais il n’est pas véritablement le personnage de POV.
Une narration qui utilise un personnage POV demeure à l’intérieur de la tête dudit personnage.
Exemple : « Stéphane Arnier adore boire un bon double expresso le matin » est une phrase centrée sur moi et qui parle de moi, mais elle n’est pas écrite de mon POV. « Un bon expresso chaque matin, il n’y a que ça de vrai » est une phrase qu’on peut tout à fait croire issue de ma tête et donc rédigée de mon POV.
Quelles narrations sont concernées par l’usage d’un personnage POV ?
Même si tout est possible, généralement, l’usage d’un personnage POV sert à compenser l’absence d’un narrateur : le personnage sert de véhicule au lecteur pour montrer l’action, quand il n’y a personne pour la raconter.
Par définition, un récit à narrateur omniscient ne se place pas selon le POV du personnage : dans ce type de récit, le point de vue est celui d’une sorte de conteur extérieur aux faits. La narration peut ponctuellement s’incarner dans un personnage ou un autre (en utilisant ainsi leur POV), mais elle vagabonde, sort régulièrement de ces incarnations, prend du recul, etc. Écrire avec un POV omniscient n’est justement pas se limiter à quelque chose d’aussi étroit qu’un unique personnage.
Dans une narration à la 1ère personne au passé, on peut argumenter que le texte se place selon le POV du personnage – c’est si proche de la vérité qu’on peut considérer que c’est vrai, tant qu’on se souvient de quel personnage on parle exactement. Le personnage qui raconte n’est généralement plus tout à fait le même que celui qui a vécu les événements. Le texte joue donc, selon les moments, avec deux POV : le point de vue du personnage qui a vécu l’action, et le point de vue de celui qui la raconte (et qui a généralement du recul sur les événements). La plupart du temps, quand on parle « d’utiliser un personnage POV », ce n’est pas ce cas qu’on évoque.
Essentiellement, quand on parle d’un texte qui utilise un personnage de POV, on fait surtout référence aux narrations « sans narrateur », par exemple la 3ème personne en focalisation interne, ou la 1ère personne au présent. Ce sont des narrations d’immersion, où personne n’est censé raconter l’histoire, dont l’efficacité dépend en grande partie de la compétence de l’auteur à faire adopter à ses phrases le POV du personnage, alors même que celui-ci vit ses aventures.
Quel impact sur la narration ?
L’impact le plus concret est l’effort constant de l’auteur pour disparaître. Le but du jeu devient de faire oublier au lecteur l’absence de narrateur – et donc toute indication que « quelqu’un raconte une histoire ». Techniquement, cela revient à circonscrire au maximum le lecteur à la tête du personnage, c’est-à-dire réduire au maximum toute distance narrative : pour un rappel technique de comment ça se passe, voir l’article qui y est consacré.
Un aspect supplémentaire à prendre en compte : utiliser le POV d’un personnage révèle le contenu de son esprit. Le lecteur est censé avoir accès à ses pensées, ses perceptions et ses sentiments – cela joue beaucoup dans l’immersion et l’attachement qu’on ressent pour ce personnage POV. La narration doit ainsi se faire sincère et ne pas mentir au lecteur, essayant à tout moment de confondre ressenti du lecteur et ressenti du personnage. Pour que l’immersion fonctionne, l’auteur doit éviter de dissimuler tout élément que le personnage connaît (par exemple une éventuelle nature cachée ou des motivations secrètes) : un personnage POV ne doit rien avoir à cacher au lecteur – en revanche, un personnage qui a des choses à cacher à d’autres personnages est très intéressant à suivre en tant que POV, tant que la narration informe le lecteur de ce dont il s’agit et de pourquoi c’est secret. Un cas pratique faisait la différence entre les deux ici.
Quel est le meilleur personnage POV pour un récit ?
A priori, par défaut, le meilleur choix de personnage POV est généralement le protagoniste principal du récit – et s’il y a des POV multiples dans le roman (s’il s’agit par exemple d’un roman choral), alors les POV ont beaucoup à gagner à former un ensemble de protagonistes majeurs.
Cela ne veut pas dire que faire autrement est impossible, mais cela pose tant de problèmes que c’est une option à ne considérer qu’avec la certitude d’avoir une excellente raison de ramer contre les conventions. En choisissant son personnage POV, l’auteur indique au lecteur à qui il doit s’attacher :
- Le lecteur se lie de façon très particulière à un personnage POV, et c’est donc problématique si celui-ci se révèle ne pas être le protagoniste principal (ou pire, être un antagoniste).
- Le lecteur s’attend (toujours par convention) à ce que le personnage POV ait une importance centrale pour l’histoire, et c’est donc problématique si ce n’est qu’un personnage très secondaire du récit.
Inversement, le protagoniste principal aura bien du mal à intéresser le lecteur si le texte n’adopte pas son POV, ce qui risque d’être dommageable au récit. De plus, puisque tout le récit repose sur le POV, l’auteur a besoin de choisir un personnage qui va pouvoir être présent dans toutes les scènes du livre – encore une bonne raison de choisir le protagoniste principal.
Quant à savoir comment bien choisir son protagoniste principal, ce blog contient déjà un article proposant quelques conseils en la matière.
Comment décrire physiquement le personnage POV ?
Généralement, il est malaisé (et maladroit) d’intégrer une description physique complète du personnage dont on adopte son POV. Si écrire un paragraphe entier de description d’un héros est quelque chose de très classique en narration omnisciente (point de vue extérieur à lui), c’est très rare dans une narration qui utilise le POV dudit personnage. Outre le cliché absolu du personnage qui s’observe dans un miroir, il est plus courant de glisser des indices au fil du récit quand le personnage interagit avec le monde : quand il s’habille ou se change, quand il se salit, quand il se compare aux autres ou qu’on parle de lui, quand sa corpulence a une conséquence sur l’action en cours (à cause de sa taille, de son poids, de sa force, de sa souplesse, etc.) Dans beaucoup de récits, avoir une description très précise du personnage n’est pas indispensable, et s’acharner sur cette idée a plus de chances de « sortir » le lecteur de la tête du protagoniste (ce qu’on ne veut pas). Il n’y a qu’à voir la grande différence de traitement du physique des personnages dans la rubrique « 4 pages pour une narration », en comparant par exemple la narration omnisciente de Raphaël Bardas et l’introduction focalisée de Brandon Sanderson.
Si le roman change de POV entre deux chapitres, il est en revanche possible d’utiliser le POV d’un personnage pour décrire l’aspect d’un autre.
100% du texte doit-il forcément être considéré comme la pensée du personnage POV ?
C’est l’idée générale de la narration, oui. Sauf que… sur la taille d’un roman, c’est concrètement impossible d’atteindre ces 100% – du moins, c’est impossible sans générer de la confusion chez le lecteur, en particulier dans la première partie d’un livre. Le personnage POV connaît très bien le monde dans lequel il vit, alors que ce n’est pas le cas du lecteur. Si l’auteur joue les extrémistes en écrivant chaque phrase comme si elle était issue de l’esprit du personnage – comme si le lecteur connaissait déjà les personnages, les lieux, les noms, et tous les éléments inventés de cet univers fictionnel –, alors le texte risque fort de perdre une partie de son sens. L’exposition et la gestion des informations sont des impératifs qui obligent parfois l’auteur à un peu de souplesse, et nous devons parfois arbitrer entre « réalisme de l’immersion » et « accessibilité du texte ». Néanmoins, l’immersion repose bel et bien sur cet effet tant recherché : plus le texte semble jaillir de l’esprit du personnage, mieux ça marche. Tant que l’auteur n’oublie pas que la narration est censée aussi rester compréhensible par le lecteur, tout va bien.
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Utiliser un personnage de POV est le B-A-BA des narrations « sans narrateur », et cette absence de distance narrative (le lecteur est censé être DANS le personnage) est probablement la plus grande différence concrète et technique à maîtriser pour l’auteur qui souhaite écrire de cette façon. Quand il n’y a pas de narrateur identifié – ni conteur omniscient ni personnage narrateur –, un récit qui ne limite pas le POV à un personnage a tendance à devenir « flottant » : le lecteur ne sait plus très bien d’où il observe les faits, comme s’il était un peu partout et nulle part à la fois. C’est un grand facteur de décrochage et d’ennui.
M’enfin, ce n’est que mon avis…
Merci pour ces éclaircissements 🙂
C’est toujours délicat de garder le cap sur « rester dans la tête du personnage » et en même temps, donner des détails sur le monde qui l’entoure alors que le personnage n’a pas de raisons apparente de penser à ces détails (surtout sur le début d’un roman).
Je vais d’avantage creuser le sujet. 🙂
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Sur ce sujet, tu peux aussi lire ou relire l’article suivant :
On se met parfois un peu trop de pression sur ce point. Le lecteur est censé connaître ce que le personnage connaît : si un élément d’exposition est connu du personnage, ce n’est pas une faute de l’exposer au lecteur au moment opportun. C’est même important de le faire.
(Mais effectivement c’est plus facile à dire qu’à faire :))
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