« Si on fait notre traditionnelle intro pourrie, ce ne sera pas très original.
— Tu as conscience que ce n’est pas vraiment l’originalité, le problème ? »
Lorsqu’on écrit des histoires, c’est forcément frustrant et décourageant de s’entendre dire que notre récit manque d’originalité. Pourtant, ce qu’il se passe dans la communauté littéraire dès qu’on parle d’originalité, c’est que ça déclenche des polémiques ; et des polémiques – c’est ironique – à base de clichés pas très originaux. Or, si polémique il y a, c’est certainement qu’il a des mésententes et des incompréhensions quelque part. Dans cet article, j’essaie d’expliquer pourquoi une critique sur l’originalité de ton histoire est un sujet important, mais pourquoi le traitement qu’il faut en faire n’est pas forcément celui que tu crois. Réflexions.
Problème de vocabulaire
Comme je le prétends pour d’autres polémiques comme celle sur les conseils d’écriture, je pense que les gens débattent beaucoup autour de l’originalité pour une raison très simple : personne n’est d’accord sur la définition du terme, les gens s’écharpent sur des notions différentes, et au fond on ne sait pas trop de quoi on débat. Et je n’essaierai pas de te donner une définition personnelle car, si j’ai longtemps réfléchi à la question, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire, l’originalité en fiction. Certains te diront que ça n’existe pas, car « tout a déjà été écrit » ; un argument étrange, très cliché et assez facile à réfuter puisqu’il est factuellement faux. J’aurais même tendance à penser que c’est tout le contraire, que c’est la nature même d’une production artistique (à l’opposé d’une production industrielle) que d’être unique. Mais bref, je m’égare : que rien ne soit original ou que tout le soit, ce n’est pas ça qui t’aidera avec ton histoire ni avec ce lecteur qui prétend qu’elle n’est pas originale.
L’exemple de la prophétie
Sitôt la polémique lancée, il y a toujours quelqu’un pour parler de la prophétie en fantasy. Et là, le second argument cliché arrive à la vitesse de l’éclair : « l’important, ce n’est pas le cliché, c’est ce que vous en faites ». En gros, on est à *ça* de te dire que c’est ok d’utiliser des choses pas originales (ah !), tant que tu le fais de façon originale (oh). Personnellement, je ne pense pas que ce soit ça, l’important : Harry Potter est une histoire de prophétie et d’élu, Rolling l’a traitée sans aucune originalité, et les livres ont fait un carton. Donc, l’important, ce n’est ni le trope de la prophétie ni comment on le traite. Je pense même qu’une critique sur l’originalité n’est qu’un symptôme pour une toute autre cause. Qu’est-ce qui se cache vraiment derrière un lecteur qui critique le manque d’originalité de ton livre ?
Une critique elle-même pas très originale
Ce qui est amusant avec cette critique de « ce n’est pas original », c’est que la phrase elle-même est clichée, et je la classe dans le même genre de remarques que les retours du genre « les personnages sont plats », « il y a des longueurs » ou « l’intrigue est creuse » : ce sont des phrases toutes faites qui ne veulent pas dire grand chose. En conséquence, ce qui est intéressant, c’est de se demander pourquoi les lecteurs y ont recours. Mon avis personnel (tu peux appeler ça une intuition ou une théorie) est que les gens qui utilisent ces phrases le font pour mettre des mots sur des problèmes qu’ils ressentent mais ne savent pas clairement identifier et nommer. Or, je te rappelle l’adage de cet auteur américain dont je ne retrouve plus le nom :
Quand un lecteur t’indique qu’il y a un problème dans ton texte, neuf fois sur dix il a raison.
Quand il tente de te l’expliquer et de te dire comment le corriger, neuf fois sur dix il a tort.
Le lecteur s’ennuie
Pas mal de gens très gentils sur les réseaux sociaux essaient de consoler les auteurs déprimés parce quelqu’un a critiqué l’originalité de leurs textes : après tout, il n’est pas très difficile de trouver des exemples de récits « peu originaux », mais qui plaisent au public. Alors il ne faut pas s’en inquiéter ! Haut les cœurs ! Mais alors, quoi ? Cela signifie-t-il qu’une critique pour « manque d’originalité » doit être classée verticalement dans la poubelle ?
Je ne crois pas : si un lecteur t’a dit que ton histoire n’était pas originale, c’est parce qu’il ne l’a pas trouvée intéressante et qu’il s’est ennuyé ; et ça, c’est un vrai problème. Je pense simplement que le problème est caché, et qu’il n’a pas grand-chose à voir avec l’originalité : ce n’est pas en « ajoutant de l’originalité » (pour autant que ça signifie quelque chose) que ça résoudra la situation. Et si on te reproche l’usage du trope de la prophétie, je ne pense pas que l’enlever du récit rendra celui-ci meilleur.
Mon avis, c’est que le lecteur n’a pas su identifier pourquoi il s’est ennuyé, et comme ton histoire ressemblait vaguement à quelque chose qu’il avait déjà vu, la phrase clichée lui est venue à la bouche : « bof, c’est cliché, ce n’est pas original ». Cela justifie son ennui, le soulage. Ce qui signifie (selon moi) que tu as un sérieux souci. La bonne nouvelle, c’est que tu n’as pas besoin de te prendre la tête avec cette histoire d’originalité, ce qui est un soulagement puisque tu ne savais pas trop où trouver cet ingrédient mystère de toute façon. La mauvaise nouvelle, c’est que tu as sans doute une histoire dysfonctionnelle sur les bras et que tu ne sais pas pourquoi. Et tu sais quoi ? Eh bien, je ne sais pas non plus. Mais je suis joueur, alors je veux bien faire quelques paris.
Quelques pistes
Il y a quand même un indice qui peut t’aider : c’est que le lecteur n’a pas su identifier ton problème. Il est donc probable qu’il s’agisse d’un problème un peu technique.
- Si on parle d’ennui, je parie ma première pièce sur la distance narrative. Déjà que les auteurs ont du mal à maîtriser la gestion de narration, alors les lecteurs et bêta-lecteurs en général, n’en parlons pas ! La plupart ne sauront jamais te souligner un problème de narration : ils trouveront le livre chiant, ils s’ennuieront sans trop comprendre pourquoi et te diront que ton histoire n’est pas très originale, qu’il y a des longueurs, que tes personnages sont plats ou que ton intrigue est creuse. Alors qu’en vérité, tu n’utilises pas la bonne narration, ou que tu la maîtrises mal. Es-tu sûr(e) que tu sais éviter la distance narrative, que tu maîtrises le montrer/raconter ou que tu sais jouer des atouts de l’omniscient ?
- Si tu penses que ta narration fonctionne, alors je mise sans hésiter ma seconde pièce sur la dramaturgie. Si un texte est correctement écrit mais que le lecteur s’ennuie, ça vient le plus souvent du trio objectifs, obstacles et enjeux. Il est si facile de décrocher d’une lecture quand on ne sait pas ce que les personnages veulent, pourquoi c’est important, ou qu’il n’y a pas de vrais obstacles face à eux !
- Si tu penses que de ce côté-là aussi tu es au point, alors je mise ma troisième pièce sur les personnages : ce sont les véhicules de ton récit, et si on s’ennuie en te lisant, il y a pas mal de chances que ça vienne d’eux. Ton protagoniste a-t-il toute latitude pour agir ? Est-ce que tes personnages sont attachants ou méritent notre respect ? L’antagoniste fait-il son boulot ? Il est difficile de s’accrocher à un protagoniste qui n’a jamais le choix de ses actions, ou à des personnages pas très appréciables ou qui font pitié. Et si l’adversaire n’est pas compétent, c’est un bon motif pour avoir envie de reposer le bouquin.
Généralement, si tu es au point sur ces sujets, mon avis est que tu peux utiliser tous les clichés et les tropes que tu veux, même au premier degré, même sans rien en faire « d’original » : si les lecteurs sont captivés par ton récit, bien peu viendront s’en plaindre.
***
Évidemment, un récit de fiction est un assemblage si complexe d’éléments qu’il existe en réalité une infinité de raisons pour lesquelles un lecteur peut s’ennuyer en te lisant. Néanmoins, je prétends que « l’originalité » – ce truc dont tout le monde parle, mais que personne ne sait vraiment définir – n’en est pas une. Le manque d’originalité est quelque chose qu’on ne critique que lorsque l’histoire ne fonctionne pas, et qui passe totalement inaperçu si le récit est efficace. Apporter de la nouveauté dans un texte, c’est un « plus » qui peut le faire sortir du lot ; mais ce n’est pas ça qui fait que ton histoire marche ou pas.
Cela signifie que derrière une critique pour « manque d’originalité » se cache un vrai problème, potentiellement plus sérieux et grave ; un problème que tu as plus de chances de résoudre si tu cherches à rendre ton histoire plus intéressante que si tu cherches à la rendre plus innovante.
M’enfin, ce n’est que mon avis…
Pour quelqu’un qui dit ne donner « que » quelques pistes, je trouve au contraire que tu aiguilles bien sur où chercher ! (Et un grand merci pour ça! #BigFanAsAlways)
C’est tellement frustrant d’avoir un lecteur qui montre d’interêt qu’on pense vite que notre histoire est juste « mauvaise » (comme si ça voulait dire quelque chose ça aussi).
Merci pour cet article, c’est rassurant de se dire que ce n’est qu’une question de construction de l’histoire et qu’on peut vraiment travailler dessus, sur le fond, la forme, sans pour autant toucher l’histoire qui, elle, tient sur un post-it.
RBerg
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Disons qu’une histoire, c’est une mécanique complexe, et que quand ça ne marche pas, ça peut venir de plein de raisons différentes (et pas forcément de ce qui est le plus apparent). Apporter de la nouveauté dans un roman, je pense que c’est important (mon article n’est pas un article « anti-originalité »). Mais il est important de se rappeler que, si une carrosserie rutilante attire plus l’œil et captive l’intérêt plus facilement, ce n’est pas elle qui fait tourner le moteur. Salissons-nous un peu plus les mains sous le capot ! 🙂
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J’ai repensé à cet article sur une histoire que j’écris pour le moment : en envisageant de modifier un élément, j’ai été gêné par le fait que la modification envisagée sonnait un peu « cliché ». Et puis, en creusant, je me suis rendu compte que le problème était surtout qu’elle ne correspondait plus du tout au thème sous-jacent que j’avais l’impression de traiter, et donc qu’elle en donnait l’impression de tomber de nulle part, qu’elle avait quelque chose d’inutile. Du coup, je me demande si ce problème d' »originalité » ne tient pas souvent aussi à une impression de bricolage : on a pris la première (ou la seconde) solution qui nous est venue à l’esprit parce que c’est une solution fréquente, mais en réalité elle ne correspond pas vraiment aux besoins du récit particulier sur lequel on travaille.
Merci pour ces réflexion, en tout cas ! C’est réellement utile !
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C’est effectivement une remarque tout à fait juste ; un autre problème du « manque d’originalité ». Utiliser les premières idées qui nous viennent à l’esprit, cela pose en effet la question de « est-ce que ça apporte quelque chose au thème / au sujet de MON histoire ? »
La réponse est rarement « oui ».
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