La morale de l’histoire

Même si on peut argumenter qu’une histoire consiste en une suite de péripéties destinées à divertir le lecteur, il se trouve que – le plus souvent – les événements, actions et choix du protagoniste ont souvent des implications morales. Après tout, ce n’est pas pour rien qu’on parle de « morale de l’histoire » quand on évoque les fables et contes de notre enfance : les histoires permettent généralement d’exprimer un thème plus vaste. Est-ce que c’est obligatoire, cette histoire de morale ? Pourquoi et comment se pencher sur la question ? Réflexions.

Intégrer un débat moral dans un récit, vouloir « faire passer un message » (ou tout au moins créer une réflexion chez le lecteur) est probablement l’une des premières raisons d’être des histoires. C’est en tout cas l’une des choses les plus puissantes que l’on puisse réaliser avec.

C’est vraiment obligé, cette histoire de morale ?

Il semble que l’idée même de donner son opinion, d’aborder un thème et d’intégrer une morale à une histoire fasse débat. L’écriture, pourtant, est un moyen d’expression : pourquoi diable écririons-nous si ce n’était pas pour nous exprimer ? Chaque auteur fait bien comme il l’entend, et si quelqu’un souhaite écrire un roman sans se soucier d’y développer une thématique particulière ou d’aboutir à une « morale de l’histoire »… eh bien rien ne l’empêche d’essayer. Néanmoins, travailler une histoire en ayant en tête une thématique et en mettant en place un débat moral a de nombreux avantages – tellement d’avantages qu’il est légitime de se demander pourquoi on s’en passerait.

Cohérence et unité

À celui qui a peur de se complexifier la tâche, j’aurais tendance à dire que c’est tout le contraire : vouloir développer une thématique particulière pour aboutir à un message, ça facilite grandement le travail d’un auteur. Un thème fournit un cadre, un fil rouge, et il est une aide incommensurable pour caractériser ses personnages et assurer la cohérence d’un récit. Avoir l’ensemble des éléments d’une histoire tournés dans la même direction, cela clarifie les événements et leur déroulement. Cela crée une ligne directrice qui induit chez le lecteur des attentes et un sentiment de progression – toutes ses choses qui captivent et donnent envie de poursuivre la lecture.

Anti-cliché

Se fixer un thème de travail pour une histoire est aussi une bonne arme « anti-cliché » : réfléchir son univers, ses personnages et son intrigue au prisme d’un thème, c’est livrer une œuvre personnelle (j’avais déjà abordé ce sujet dans l’article « Spécifique Vs Générique »). Toutes les péripéties ont déjà été écrites, tous les sujets abordés. En revanche, si l’auteur travaille de façon bien personnelle, la façon dont il abordera une thématique sera forcément unique. C’est probablement là – dans ce lien auteur-lecteur – que réside tout l’intérêt d’une création artistique humaine (un terrain où aucun algorithme génératif ne pourra jamais nous suivre).

Nuances

Se fixer un thème offre à l’auteur plus de souplesse pour gérer ses enjeux, nuancer son propos et conclure son récit. Si on se contente d’un point de vue dramatique, l’issue d’un récit ressemble à un pile ou face : le héros peut réussir ou échouer, point. En revanche, si on croise l’enjeu dramatique avec des enjeux thématiques, on s’ouvre des possibilités. Le héros peut « perdre » son combat contre l’adversaire (échec de l’enjeu dramatique) mais apprendre une leçon de vie (réussite de l’enjeu thématique). Ou l’inverse. Ou les deux. Ou ni l’un ni l’autre. Voir l’article dédié Enjeu dramatique vs enjeu thématique.

Exemple : Le manga « Kuroko’s basket » raconte une histoire de sportifs tentant de remporter un tournoi de basket. Côté « dramatique » (action), on enchaine séances d’entraînement et matchs, sur un schéma récurrent. MAIS les auteurs ont donné beaucoup d’importance au thème (jeu collectif, plaisir du jeu). En effet, dans un tel récit, l’enjeu dramatique (« les joueurs vont-ils gagner le match ? Vont-ils aller en finale ? Remporter le championnat ? ») pourrait vite devenir répétitif, et on se doute bien qu’ils finiront par gagner. Développer le thème au travers des héros et de leurs adversaires renforce grandement l’intérêt du récit. Ce n’est plus seulement « vont-ils gagner ? » mais aussi « untel va-t-il comprendre que tisser des liens avec ses coéquipiers est important ? » ou « untel va-t-il retrouver goût au jeu ? ». On déplace le récit d’un puéril « qui est le plus fort ? » vers des oppositions de valeurs morales. L’histoire devient une aide à la compréhension humaine, un miroir qui nous interroge sur nos propres motivations dans la vie… ce qui est bien plus intéressant.

Résonnance

Si certaines histoires marquent durablement les lecteurs – au point que ces derniers y pensent encore après avoir refermé le livre, en parlent sur les réseaux, recommandent l’ouvrage à leurs proches – c’est parce que ces livres ont su leur dire quelque chose de fort ou de valable, de sincère ou d’intelligent, de réconfortant ou de touchant. Pure opinion personnelle, mais… je ne pense pas qu’une histoire puisse véritablement résonner chez les gens et avoir un impact fort si elle ne contient pas ces éléments thématiques et moraux. Si un auteur travaille sur un texte et qu’il n’est pas capable de répondre à cette question : « qu’est-ce mon histoire dit au lecteur ? », il a probablement des inquiétudes à se faire sur la réception qu’en fera le public.

Qu’on ne nous fasse pas dire ce qu’on ne voulait pas dire

Enfin, je pense qu’un auteur devrait se pencher sur ce sujet car en réalité, il n’a pas le choix : même s’il se défend d’inclure toute morale dans son histoire, même s’il jure ses grands dieux que son récit n’est que divertissement et qu’il ne véhicule aucun message de sa part, les lecteurs les y chercheront… et les y trouveront. En réalité, il n’existe aucun moyen pour un auteur d’écrire une histoire qui ne véhicule pas ses vues sur tout un tas de sujets. Cela signifie que si l’auteur ne cherche pas sciemment – en toute conscience – à véhiculer certains messages, il les véhicule inconsciemment. L’écriture est un moyen d’expression, qu’on le veuille ou non : il est généralement profitable d’avoir les idées claires sur ce qu’on veut dire, avant que nos interlocuteurs ne trouvent dans nos propos des choses qu’on regretterait.

Comment s’y prendre ?

Vouloir développer une thématique particulière pour aboutir à une morale, cela revient à poser une question, à instaurer ce que Truby nomme un « débat moral » (1), puis à y apporter son point de vue d’auteur au travers de l’univers, des personnages et de l’intrigue.

Point de départ

Concrètement, cela revient à identifier (soit en amont de l’écriture pour un auteur architecte, soit dans le premier jet d’un auteur jardinier) les éléments suivants :

  • De quoi parle cette histoire, au fond ? (sujet/thème)
  • Quelle(s) question(s) est-ce qu’elle soulève ? (débat moral)
  • Quel est mon point de vue d’auteur sur ces questions ? (message)

Développement

Quand un auteur a clarifié de quoi parle son histoire (au niveau thématique), charge à lui de développer les divers éléments à sa disposition dans cette direction.

  • Décor : pour chaque élément de worldbuilding, essayer de créer des liens et parallèles avec la thématique peut apporter beaucoup de situations parlantes et ouvrir des portes intéressantes pour le récit.
  • Personnages : lier les personnages à la thématique centrale – en particulier protagoniste et adversaire principaux – est une aide incommensurable pour traiter la thématique et offrir des développements qui ont du sens.
  • Intrigue : imaginer une intrigue clairement liée à la thématique du récit permet de construire peu à peu une histoire qui aboutira à une conclusion porteuse d’un message.

Climax

La conclusion du récit est évidemment ce qui porte le plus de sens, et c’est là que les événements devraient résonner en lien avec le débat moral du livre. C’est un moment important en terme de dramaturgie, puisque c’est là que le lecteur va trouver l’histoire satisfaisante ou pas. Voir les articles Bâtir un climax satisfaisant ou encore Le karma des personnages. C’est aussi là que s’arrête l’argumentation du roman, et cela peut se faire de plein de façons différentes : l’auteur peut y affirmer ses convictions, ou certains questionnements peuvent demeurer sans réponse claire, à charge du lecteur d’apporter sa propre pierre.

***

Aucune histoire n’est « juste une histoire »… ou alors il est probable qu’elle soit ennuyeuse et sans grand intérêt. L’écriture étant un moyen d’expression, la fiction est une transmission d’un imaginaire à un autre, de l’auteur vers le lecteur. Il se passe des choses, *là*, qu’on le veuille ou non. Alors il est probable qu’il soit avantageux pour quelqu’un qui écrit de se demander sciemment ce que son texte véhicule, ce qu’il dit. Parce que, eh bien, on ne sait jamais : il est bien possible que quelqu’un nous lise.

M’enfin, ce n’est que mon avis…


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(1) L’Anatomie du scénario (John Truby)

(17 commentaires)

  1. Que le thème soit capital, je suis d’accord. Mais qu’il faille le fixer, je n’en suis pas si sûre.
    J’avais beaucoup apprécié le cours de D. Meulemans sur le sujet où il proposait d’écrire et de découvrir son thème. Personnellement, je repère mes thèmes au moment où j’écris. Les situations me montrent in situ ce que je voulais monter.

    En prenant le temps de découvrir, je pense qu’on évite de s’enfermer dans le carcan d’un thème spécifique et de passer à côté d’un autre qui pourrait se révéler peut-être plus important.

    Mon problème, en ce qui me concerne, c’est d’avoir plusieurs problématiques et de n’avoir peut-être pas encore décider de la principale…
    Mais mon premier jet n’est pas encore fini. J’ai encore un peu de temps pour me décider. Encore faut-il y arriver. Mais est-ce vraiment nécessaire de n’avoir qu’un thème en fait ?

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  2. On m’a fait la même remarque sur la page FB du Mooc DraftQuest. Attention : c’est ma page perso, donc je parle avant tout de mes pratiques. Donc oui, personnellement, en bon architecte que je suis, je commence par ça… ce qui ne signifie pas que c’est impérativement le point de départ de toutes les histoires, et je sais à quel point les auteurs jardiniers aiment découvrir leur thème en cours de route. 🙂
    Après, pour répondre à ta question sur les thèmes multiples, d’expérience j’ai tendance à dire que plus il y en a, moins ils sont clairs et plus ils sont dilués dans l’esprit du lecteur. J’ai personnellement l’habitude d’en choisir un qui sera clairement central. Mais là encore il s’agit d’une pratique personnelle, à chaque auteur de gérer son discours… 🙂

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    1. Lunela, tu mets le doigts sur la question que je comptais poser aussi ! 😀 Les thèmes multiples… Est-ce que dans un roman à deux points de vue, par exemple, chaque personnage pourrait porter un thème différent ? Jusqu’à ce que, évidemment, les deux thèmes se retrouvent, s’unissent, et ne puissent se résoudre l’un sans l’autre ?

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      1. J’ai un peu de mal à comprendre la question : si ça se rejoint, il n’y a bien qu’un thème, non ?
        Tout l’intérêt de creuser un sujet, c’est justement de l’aborder sous de nombreux angles différents (via les personnages, ou des aspects du worldbuilding, ou via des intrigues secondaires). Mais ce sont bien différents aspects d’une même thématique.
        Développer plusieurs thématiques vraiment différentes dans un même récit est possible (tout est possible), mais généralement plus il y en a et plus ils s’affaiblissent les uns les autres. Ils se diluent et le lecteur peut finir par se demander de quoi parle vraiment le livre.

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  3. J’étais sûr d’avoir vu un avis totalement opposé, et je viens de remettre la main dessus:
    https://www.revue-solaris.com/pour-les-ecrivains/dossier-special-comment-ne-pas-ecrire-des-histoires/

    Le passage incriminé:
    « Message
    La pire raison pour écrire un texte. Si vous faites partie de ceux qui croient qu’une histoire doit livrer un message pour être valable, de grâce, détrompez-vous. On peut très bien écrire une excellente nouvelle qui n’a pas le moindre message.

    Comment? Vous avez quelque chose à dire d’important? Un grand message à faire passer? Vous vous êtes trompé d’adresse: c’est un essai, un article pour une revue de réflexion, une lettre à La Presse que vous voulez écrire, pas une fiction. La grande majorité des gens qui lisent des fictions les lisent pour se divertir, pas pour se faire sermonner.

    Vous insistez? Vous avez une vraie histoire à raconter, qui illustre votre message? Encore une fois, vous faites fausse route.

    D’abord, parce que votre message, je le connais déjà. C’est « aimez-vous les uns les autres », n’est-ce pas? « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît »? « Quand on veut, on peut »? Beaucoup d’auteurs débutants semblent oublier que la culture occidentale véhicule un ensemble de grandes idées morales depuis un bon deux mille ans, que ce soit sous la forme de proverbes ou de principes religieux; et que des auteurs par centaines ont pondu des ouvrages philosophiques examinant le sens de la vie sous toutes ses coutures. Si je lis une histoire dont le message est « Accepte-toi tel que tu es et tu seras heureux », le message en lui-même m’est familier. Même si je suis bien d’accord avec, c’est la centième fois que je l’entends.

    Et ça m’amène à la deuxième raison pour laquelle vous faites fausse route: parce que vous avez asservi votre texte à la morale qu’il doit donner. Votre personnage principal se comporte comme un parfait imbécile, parce qu’il doit démontrer le message en action. Votre intrigue est truquée, pour être sûr que les bons vont gagner, parce qu’ils mettent le message en action. Vos méchants sont simplistes et ridicules, parce qu’ils doivent s’opposer à la vérité du grand message. Votre texte, en fin de compte, ne vaut que pour son message; tout le reste est médiocre. Or, puisque votre message est banal et familier, votre texte reste sans intérêt. Ceci est une forme courante du péché cardinal mentionné dans la première partie de ce guide.

    Oubliez le message; oubliez d’essayer de le faire passer. Si vous avez la moindre parcelle de talent, votre vision du monde transparaîtra à travers ce que vous écrivez. Tous les messages que vous pourriez vouloir faire passer vont passer, sans effort de votre part, sans emmerder le lecteur, sans transformer votre histoire en un sermon. Si vous croyez sincèrement que « quand on veut, on peut », vos personnages et votre intrigue vont refléter cette croyance d’eux-mêmes.

    Mais si vous tenez mordicus à faire une leçon de morale, dites-vous bien une chose: « aimez-vous les uns les autres », y a rien là. C’est facile d’y croire. Ce qui est extrêmement difficile, pour ce principe comme pour tous les autres, c’est de le mettre en pratique dans la réalité, la vraie réalité de la vie. Beaucoup de grands textes parlent de dilemmes moraux, de la difficulté de concilier les grands principes avec la vie: comment puis-je aimer celui qui a violé et tué ma fille? Comment se fait-il que la même personne puisse être bonne et mauvaise en même temps? Ma volonté doit en principe me faire triompher de tous les obstacles; mais qu’en est-il de la maladie et de la mort, de la stupidité de la race humaine toute entière? Si votre histoire refuse d’admettre que les choses ne sont pas toujours comme elles devraient l’être, comme on souhaiterait qu’elles le soient, pensez-vous vraiment que votre message sera pris au sérieux? »

    Pour replacer dans son contexte, c’est là un article de directeur littéraire qui parle des tares récurrentes dans les manuscrits qu’il refuse, et en lisant bien on se rend compte qu’il ne parle pas tellement d’interdire la morale, mais témoigne du grand nombre d’écueils qui en sont nés.
    Mais il a raison sur le fait que poser un « message », c’est volontairement ou non un coup à modifier sa trame pour qu’elle « colle bien ».
    De manière caricaturale, les gentils gagnent parce qu’ils sont gentils, les méchants perdent parce qu’ils sont méchants. Mais même si on n’est pas dans cet excès, il y a une grande différence pour moi entre soulever une question et porter un message.
    Soulever une question, c’est montrer un problème potentiel ou avéré, c’est montrer que telle ou telle solution est possible, tout en montrant ses limites, pour finalement laisser au lecteur assez d’arguments de part et d’autre.
    Par contre, porter un message c’est affirmer que telle chose/solution/whatever est « la bonne ». Sauf qu’un roman n’est pas une démonstration, son auteur modèle l’univers comme il l’entend ; avec le risque que le lecteur ait l’impression qu’on le manipule pour le faire penser X, ou encore qu’on le prend pour un débile (cf. caricature ci-dessus). J’ai déjà vécu ça en lisant et j’ai toujours trouvé cette expérience très désagréable. (surtout quand c’est des poncifs, du genre de l’écologie ou du féminisme simplet)

    Après, juste pour être clair je suis contre l’universalité du message. Que M.X soit enfin heureux après avoir pardonné à son ennemi, c’est très bien pour lui, c’est un aboutissement personnel. Par contre, transformer cette évolution personnelle en message universel « il faut toujours pardonner à son ennemi », quitte à montrer que tous les personnages respectant cette règle réussissent et tous ceux qui la violent échouent , cela devient un message universel et un message moral, ce qui pour moi n’a pas sa place en fiction.

    Bien sûr je suis très catégorique, mais comme tout il y a des nuances, des zones d’ombres, de petits messages discrets qui passent très bien ou des auteurs ridicules à force de refuser de choisir un camp.
    Néanmoins, je pense qu’on peut très bien avoir un récit intéressant et qui soulève des questions sans pour autant le centrer autour d’un « message ».

    (bon ça se trouve par « message » tu voulait dire « questionnement central au récit », auquel cas j’ai écrit tout ça pour rien ^^)

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    1. Ah ah 🙂 J’ai déjà lu cet article, et on entre ici dans un débat vieux comme l’écriture. Je peux te citer en retour d’autres gens de lettres qui considèrent que le message est le seul point important d’une histoire. J’en connais aussi qui fustigent les auteurs qui se contentent de poser des questions sans y répondre (« des lâches ! » ai-je lu une fois). Choisis ton camps, camarade 😉

      Ce qui me gêne avec l’article que tu cites, c’est la même chose que ceux qui critiquent les prologues : leur principal argument est « les auteurs le font très mal, alors ils devraient arrêter d’en faire ». Cela me semble absurde. Oui, beaucoup d’auteurs sont maladroits quand il s’agit de messages, oui pas mal enfoncent des portes ouvertes, ou tombent dans la caricature. Mais ce n’est pas une raison pour les interdire : c’est juste une bonne raison de se remettre au travail.

      Mon point de vue (qui reste donc le miens) est que c’est la raison d’être des histoires, à l’origine, que de véhiculer quelque chose (un message, une morale, un questionnement). Ok, nous sommes dans une ère de divertissement, et c’est à la mode de dire qu’une histoire qui divertit suffit. Mais même si tu écris une histoire bien ficelée qui va tenir tes lecteurs en haleine, si elle ne « contient » rien, ils l’auront oubliée dix jours après. Les grandes histoires qui restent en mémoire sont celles qui agissent sur toi (qui te donnent l’impression qu’une clef a tourné dans une serrure de ta tête). Mais oui, c’est très difficile, parce que ce message, il ne faut pas « le dire » à travers l’histoire, et il faut « le faire comprendre », et ça c’est un vrai challenge (et elle est « là » l’erreur la plus commune au niveau thématique, en fait). Qui a dit que l’écriture était quelque chose de facile ? Tu dis que l’auteur est tenté de « modifier » son histoire pour coller au thème ? Cela n’a pas de sens, puisque l’histoire EST le thème (ou alors on parle d’auteurs qui ne savent même pas ce qu’ils écrivent). En ce qui me concerne, et puisque tu apprécies mon franc-parler, j’estime qu’un auteur qui n’a rien à dire… devrait juste se taire.
      😉

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      1. « Ce qui me gêne avec l’article que tu cites, c’est la même chose que ceux qui critiquent les prologues : leur principal argument est « les auteurs le font très mal, alors ils devraient arrêter d’en faire ». »
        Comme je l’ai dit, il faut se rappeler que celui qui parle est un directeur littéraire qui en a plus que marre des âneries qu’il lit. Et comme pour tout les trucs « qu’il ne faut pas faire », il faut entendre en réalité « il ne faut pas faire… sauf si… »
        Effectivement, pris au premier degré c’est absurde.

        « J’en connais aussi qui fustigent les auteurs qui se contentent de poser des questions sans y répondre »
        Donc tout les auteurs de fantastiques sont visée :p
        Mais encore une fois, c’est une manière de faire. Regarde, est-ce Isaac Asimov dit que les robots « c’est bien » ou « c’est pas bien »? Non, il interroge, montre des possibilités. C’est ça que je voulais dire par « ne pas donner de réponse ».

        Par contre, si toute l’histoire est une opposition entre A et B, bien sûr qu’il faut trancher à la fin.

        « Les grandes histoires qui restent en mémoire sont celles qui agissent sur toi »
        Je n’y avais jamais pensé comme ça ; pour s’attacher à une oeuvre, il faut être pris dedans, et donc qu’il y ai un « message profond ». Je n’y avais jamais pensé.

        « Tu dis que l’auteur est tenté de « modifier » son histoire pour coller au thème ? Cela n’a pas de sens, puisque l’histoire EST le thème »
        Je me suis mal exprimé : l’auteur est tentée de sacrifier la cohérence de l’histoire au profit de son message.
        Mais après coup, c’est vrai que l’auteur subi cette tentation en permanence.

        En te relisant, je me suis rendu compte que je suis tombé dans le même travers que l’auteur de revue-solaris : a force de voir quelque chose de mal fait, on a envie de condamner cette chose.

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        1. Je n’étais pas ironique quand je disais qu’il faut choisir son camps : j’ai *vraiment* lu beaucoup d’avis divergents sur ce sujet, de la part de professionnels de l’écriture, qui ont tous des arguments qui peuvent être compréhensibles. Certains auteurs estiment que leur rôle n’est que de poser des questions sans donner leur avis ; d’autres disent qu’un auteur qui ne donne pas son avis n’est qu’un lâche, et que ça ne vaut pas la peine d’écrire un livre si ce n’est pas pour donner « sa » vision (sans pour autant être catégorique, mais au moins donner son point de vue) ; d’autres semblent très content d’écrire juste pour divertir et semblent trouver le « besoin de morale » dépassé. Damasio estime que si ce n’est pas pour écrire un livre qui change le monde, un auteur devrait s’abstenir.
          Après tout, chaque auteur fait ce qu’il veut, et j’encourage surtout sur ce blog à ce que les auteurs réfléchissent à leur pratique pour écrire leurs livres « en toute conscience » : quel est mon but, qu’est-ce que je veux faire ? Et du coup : comment je vais le faire ? Parce que la vérité, c’est surtout que beaucoup d’auteurs n’ont aucune idée de ce qu’ils font… 😉

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          1. Débat très intéressant ! Je rebondis juste sur le « il faut choisir son camp ». J’approuve complètement cette vision, écrire est affaire de choix. Mais je diluerais légèrement cela en disant qu’un même auteur peut se permettre de faire un choix différent d’un manuscrit à l’autre. Une amie autrice écrit dans différents genres et passe d’un camp à l’autre entre le « ce manuscrit va clairement faire passer un message », et le « ce manuscrit est juste là pour divertir ». S’autoriser à changer est possible pour certains auteurs/autrices.

            Perso, que ce soit en fantasy ou en littérature contemporaine, j’ai besoin de poser un thème, je m’appuie dessus, et l’histoire s’y fond.

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          2. Oh, oui, bien sûr : le choix varie d’un projet à un autre. De plus, une thématique peut être plus ou moins sérieuse/grave. La morale de l’histoire peut-être drôle, par exemple. C’est pour cela qu’on peut tout à fait bosser un thème pour un projet dit « de divertissement ». De toute façon, plus j’avance, et plus je crois que écrire une histoire qui n’est « que du divertissement », c’est une illusion, et généralement un mensonge qu’on se raconte à soi-même en tant qu’auteur.

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