« On va enfin savoir pourquoi on l’est !
– Tu n’avais pas encore deviné ? »
J’ai déjà proposé plusieurs articles qui abordent le fait de développer des protagonistes qu’on apprécie, afin d’aider les auteurs qui reçoivent des critiques négatives au sujet de leurs personnages. Mais on m’a posé quelques questions encore, et il semble que, pour compléter, il soit intéressant de s’intéresser – non pas à ce qui fait aimer un personnage – mais à ce qui rend un personnage vraiment agaçant. Il peut y avoir plusieurs éléments selon les goûts de chacun, mais il existe aussi, je crois, des points universels.
Pour un protagoniste majeur, éviter l’agacement ne suffit pas, il faut savoir le faire aimer du public. Mais pour un personnage plus secondaire, tu n’as peut-être pas assez d’énergie et de temps à investir dans un développement trop profond. Dans ce cadre, il est déjà pas mal de faire en sorte qu’on ne le déteste pas, n’est-ce pas ? Éviter quelques maladresses basiques peut suffire à éviter l’agacement du lecteur, sans avoir besoin de fournir trop d’efforts.
Éviter l’incompétence…
Oui, je sais, j’ai déjà parlé de nombreuses fois de la compétence pour valoriser un personnage. Et oui, tu t’en doutes, c’est à double-sens : si un personnage compétent dans un domaine quelconque marque des points auprès du lecteur, un personnage incompétent l’agace vite. Le problème, c’est que le personnage n’a même pas besoin d’être particulièrement incompétent pour cela : il suffit qu’il ne soit utile à rien de spécial dans l’histoire pour que le lecteur se demande rapidement à quoi il sert et ce qu’il fiche ici. Ton protagoniste est sans cesse accompagné d’un ami qui ne lui est jamais utile pour résoudre ses problèmes ou pour avancer dans l’intrigue ? On va le trouver ennuyant. Pire, son incompétence pose des problèmes au personnage et le met dans la panade ? Alors là, on va très vite en avoir marre.
Comme d’habitude, on parle bien ici de compétence « montrée » : tu peux toujours « raconter » que le pote de ton protagoniste est un expert en informatique, mais ça ne justifie pas sa présence à moins qu’il y ait au moins une scène où l’informatique a un vrai rôle à jouer dans l’intrigue (et un peu plus que « taper quelques mots sur un moteur de recherche »). De la même façon, j’ai lu un paquet de romans où l’auteur passe son temps à dire que tel personnage est intelligent, mais où ce dernier se trompe et fait des erreurs à répétition ; à dire que tel autre est balaise, mais où ce dernier prend rouste sur rouste ; etc.
Comment faire ? Il suffit de prendre un peu de recul. Regarde donc ce personnage : en quoi dirais-tu qu’il est fort ou compétent ? Où cela se voit-il dans le récit ? Dans quelle scène, à quel moment ? Si tu ne sais pas répondre, il y a peut-être un problème. Si tu es du genre à utiliser des fiches de personnages en amont de ton écriture, cela pourrait être une question ou un item à y ajouter pour tous les personnages de ton histoire : en quoi ce personnage est-il doué ? Et comment ça se voit ?
Être vigilant au sujet de ses défauts…
Peut-être que, en quête de personnages complexes, tu as voulu adjoindre des défauts à ton personnages (après tout, les lecteurs détestent les personnages parfaits, n’est-ce pas ?) Peut-être passe-t-il son temps à s’engueuler avec les uns ou les autres parce que tu penses que ça crée de la tension ? Peut-être que tu lui mets des piques d’humour noir dans la bouche parce que tu aimes ce genre de ton acerbe, ou pour émuler certains personnages « badass » de certaines séries ?
Pour rappel, les personnages qui s’engueulent, personne n’aime ça (les seules disputes intéressantes sont celles qui opposent des valeurs profondes, et qui révèlent des visions du monde différentes). Quant aux personnages qui se permettent des vannes régulières, ceux qu’on apprécie ont un point en commun : ils sont bons (voir point précédent), et s’ils peuvent se permettre ce ton, c’est parce qu’ils sont doués. Un personnage montré comme incompétent qui joue avec ce registre passe pour un aigri, et il devient très rapidement détestable. Attention enfin aux défauts socialement difficiles à pardonner : l’égoïsme de Han Solo et sa misogynie n’ont pas entaché son aura parce que c’était une autre époque. De nos jours, ces défauts n’ont rien à faire ailleurs que chez un adversaire clairement identifié comme tel. Ne sois pas étonné qu’on rejette un personnage avec des défauts pareils.
Comment faire ? Mieux vaut distinguer clairement le rôle du personnage dont on parle. Si c’est un personnage secondaire appelé à servir d’obstacle aux protagonistes, autant lui choisir un défaut qui se montrera parlant dans ce cadre (tu peux le rendre égoïste parce que tes héros vont avoir besoin qu’il leur prête quelque chose ou leur donne de l’argent). Si c’est un personnage secondaire appelé à aider les protagonistes, a-t-il vraiment besoin d’un défaut ? Tu n’as peut-être pas le temps de développer trop profondément ce personnage. Si c’est un personnage que tu souhaites un peu plus complexe, peux-tu faire en sorte que ce défaut soit en lien avec le thème du récit ? Cela aurait le mérite d’ajouter une couche au débat moral et de nourrir ton propos. Le personnage aurait moins de chances d’être agaçant, car le lecteur ressent ou devine la raison d’être du défaut et le propos qu’il y a derrière. Pour revenir à Han Solo, son égoïsme colle bien à l’histoire de la résistance contre l’Empire, car cela parle du bien individuel vs le bien commun, de s’unir contre une tyrannie, de mettre son propre intérêt de côté pour aider les autres, etc. En revanche, sa misogynie n’a pas été écrite consciemment comme un défaut à l’époque, ça n’appartient pas à la construction du récit. De nos jours, quand on revoit le film, son attitude avec Leia nous apparaît juste cringe.
Lui fournir plus d’une dimension…
Utiliser des archétypes ou des stéréotypes pour créer un personnage peut-être utile, si ça reste un point de départ et que tu parviens ensuite à le développer pour le rendre spécifique à ton histoire et lui inventer une individualité. Si le lecteur le trouve identique à d’autres personnages du même genre qu’il a lu ailleurs, il va rapidement trouver le personnage agaçant, essentiellement parce que le personnage ne va pas apporter de nouveauté à l’histoire. Avec un stéréotype, tu ne peux provoquer que des interactions et des scènes stéréotypées. C’est ce qui arrive parfois avec les compagnons des héros, qui peuvent s’avérer moins complexes et plus « unidimensionnels » : si on se retrouve avec des personnages qui ne sont rien de plus que « le pote informaticien » ou « la bonne copine d’enfance », on ne va pas bien loin.
Comment faire ? Je te renvoie à deux articles différents. Le premier est Spécifique vs Générique, qui te donne des conseils pour adapter un stéréotype à ton histoire et le rendre personnel. Le second est Quatre clefs pour un personnage solide, qui te rappelle quelques éléments de base pour donner un peu de profondeur à un personnage. En particulier, il est utile de se rappeler que personne n’agit toujours de la même façon, indépendamment du contexte. Si ton personnage se conduit toujours exactement pareil, qu’il se trouve en ville ou à la campagne, chez lui ou à une réception publique, au travail ou en famille, tu as probablement un personnage unidimensionnel.
… et ne pas le glorifier s’il ne le mérite pas !
Le pire du pire, c’est quand il existe un tel personnage – incompétent, bourré de défauts et sans personnalité propre – et que toi, l’auteur, fait tout pour le glorifier. Glorifier, cela signifie : le mettre en avant dans le récit ; le positionner en héros à un moment donné ; « raconter » que c’est quelqu’un de super alors qu’à chaque scène « montrée » on est témoin du contraire ; le récompenser par des succès qu’il ne mérite pas en faisant intervenir chance et hasard ; montrer d’autres personnages qui semblent l’apprécier et le traitent avec respect en dépit de son incompétence crasse et de ses défauts, là où n’importe qui de sensé prendrait ses distances.
L’exemple classique est Jar Jar de StarWars : le problème du personnage n’est pas seulement qu’il est ridiculement incompétent ; c’est aussi qu’en dépit de cela, les autres héros le traitent comme un membre de l’équipe, quelqu’un de confiance, qu’il se retrouve général d’armée lors du conflit final, et qu’il remporte la bataille en faisant pourtant complètement n’importe quoi – tout cela le rend absolument insupportable d’un point de vue de spectateur (rappelle-toi, c’est aussi affaire de karma).
Comment faire ? C’est en théorie très simple : il suffit de ne pas fournir de victoires à un personnage nul, qui a des défauts, et qui n’a pas lutté pour obtenir ces victoires. Tu peux créer des arcs de progression ou de rédemption, où un personnage incompétent travaille dur pour obtenir une réussite, ou bien avec un personnage qui a des défauts mais qui fait des efforts pour changer et obtient une victoire à la fin. Mais cela demande des efforts visibles (= montrés) pour que le lecteur estime qu’il mérite cette réussite. Le contexte est important. Je te renvoie aux articles Bonbons et épinards, ou encore à celui sur le karma des personnages.
***
Si tu n’arrives pas à faire aimer tes personnages, ou que tu n’as pas le temps d’investir trop d’efforts sur des personnages secondaires, essaie au moins de ne pas les rendre agaçants. Cela signifie d’éviter d’en faire quelqu’un de nullissime, d’être vigilant sur leurs défauts les plus pénibles, de dépasser le stade du stéréotype, et surtout de ne pas le glorifier alors qu’il ne le mérite pas !
M’enfin, ce n’est que mon avis.
J’avoue que le personnage dont l’incompétence met le protagoniste en danger, il ne va pas se faire aimer des lecteurs ! 🤣
Cela dit, dans un roman comique l’incompétence peut être un bon ressort (sans aller dans l’excès).
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La comédie est certes une exception, avec un bémol quand même : l’incompétence devient moins problématique MAIS elle ne fait pas aimer le personnage pour autant. Même en comédie je conseille de s’en méfier et de bien maîtriser son sujet quand on désire rendre un personnage incompétent.
🙂
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Le sujet de ce post est une grande source d’angoisse pour moi, donc merci pour tous ces conseils, comme toujours clairs et pertinents !
J’écris une histoire mi romance contemporaine, mi « tranche de vie » avec des personnages issus de milieux sociaux très contrastés, j’ai confiance en mon intrigue mais l’attachement de mes potentiels futurs lecteurs à mes personnages est LA clé, si je me loupe, mon histoire retombe comme un soufflé.
J’ai créée trois personnages principaux, dont l’un de profil « orphelin » qui s’est construit seul, intelligent, super curieux et qui est très en recherche de reconnaissance de la part d’une société qu’il rejette et qui le lui rend bien (Hello Will Hunting) et de ce fait, il ne peut jamais s’empêcher de confronter les autres personnages, d’engendrer des débats sur la place du travail, l’argent, la liberté, ce genre de choses.
Je suis particulièrement intéressée par ta phrase qui indique que personne n’aime les personnages qui s’engueulent, sauf si elles opposent des valeurs profondes. Je suis donc mi rassurée (mon perso est toujours en recherche de profondeur chez les autres, j’en ai fait l’un de ses trait de caractère principal) MAIS du coup, beaucoup de ses interactions avec les autres perso sont conflictuelles.
Comment minimiser au max le risque d’agacement face à un personnage comme ça ?
Je sais (grâce à toi haha) qu’il faut que je surveille le karma, qu’il soit intelligent et pertinent dans ce qu’il raconte (éviter les chicanes puériles et les pics lancés à tout bout de champs), et que je m’assure que les « engueulades » soient toujours au service du récit, pour faire avancer les uns et les autres. Mais j’ai peur que ça ne soit pas assez…
En tout cas si un jour tu fais de la bêta lecture, tu as une cliente assurée 🙂
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Je dis souvent qu’en toutes choses (et donc en écriture) le savoir est différent du savoir-faire. Je pense que tu te poses les bonnes questions et que tu as déjà les bonnes réponses. Ce qui ne veut pas dire que c’est dans la poche, car le travail que tu as à faire est difficile. Je n’ai pas d’autre conseil à te donner, tu as déjà tout dit : si tu réussis à faire *ça*, ça marchera, et *oui* ça sera assez. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Garde bien l’article « faire aimer ses personnages » à portée de main, et tout se passera bien.
🙂
Bon courage !
🙂
On me parle régulièrement de beta-lecture et de coaching, et j’ai tant de sollicitations que j’y repense, parfois. Hélas, c’est une activité chronophage et trop peu rentable (j’en fais parfois pour des personnes bien choisies, et quand je vois le temps que j’y passe, multiplié par un taux horaire même modeste, ça refroidit :))
Sans compter que je suis assez dur, et qu’il y a peu de personnes qui reviennent vers moi ensuite (rire). Je ne serais pas très bon à conserver mes clients, à part quelques masochistes de ma connaissances.
Bonne écriture !
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