Utiliser le narrateur omniscient… à bon escient

« Tu es omniscient toi ?
— Je n’en sais rien.
— Du coup, je suppose que non ? »


Je parle souvent de l’avantage d’écrire avec une narration en focalisation interne quand on vise l’immersion du lecteur, et je critique souvent la distance narrative liée à l’emploi d’un narrateur omniscient. Pourtant, il existe d’excellentes histoires rédigées avec l’omniscient, et ce n’est pas un choix « mauvais » par principe !

Hélas ! Beaucoup d’auteurs l’emploient sans le comprendre, le mélangent avec la narration focalisée sans faire exprès, et ne savent pas utiliser ses avantages – pas assez, en tout cas, pour compenser sa fameuse distance narrative. Or, pour lutter contre cette faiblesse, l’auteur a tout intérêt à connaître les points forts de l’omniscient, et à les exploiter à leur plein potentiel.

1) Le caractère du conteur

Un narrateur omniscient est un conteur, dans la plus pure tradition du genre. Si tu as déjà assisté à des contes oraux, tu dois savoir que la personnalité du conteur a une grande importance dans le succès de l’histoire auprès de l’auditoire. Dans un livre, c’est pareil : l’auteur a tout à gagner à ce que son narrateur omniscient ait une façon de s’exprimer bien à lui, un « style », et pas la langue dans sa poche.

Cela peut se faire dans la veine humoristique :

« Les Vogons. Une des races les plus antipathiques de la galaxie. Pas méchants mais caractériels, bureaucrates, psychorigides au cœur de marbre. Un Vogon ne lèverait pas le petit doigt pour sauver sa propre grand-mère au prise avec une blatte à griffes, la féroce bête de Thral, sans une autorisation en trois exemplaires, signée, transmise, approuvée, rediscutée, perdue, retrouvée, soumise au vote populaire, reperdue et finalement enterrée sous un amas de compost pendant trois mois et recyclée en allume feu. »

H2G2, tome 1 : Le Guide du voyageur galactique (Douglas Adams)

Mais cela peut aussi être plus sérieux, par exemple avec des éléments didactiques :

« Il y avait de nombreux Sacquet et Bophin, et aussi de nombreux Touques et Brandebouc ; il y avait divers Fouille (parents de la grand-mère de Bilbon Sacquet) et divers Boulot (alliés de son grand-père Touque), et une sélection de Fouine, Bolger, Sanglebuc, Trougrisard, Bravet, Sonnecor et Fierpied. Certains n’étaient que de très lointains parents de Bilbon, et d’aucuns qui vivaient dans des coins retirés de la Comté n’étaient à peu près jamais venus à Hobbitebourg. Les Sacquet de Besace n’avaient pas été oubliés. Othon et sa femme Lobelia étaient présents. Ils n’aimaient pas Bilbon et détestaient Frodon ; mais si magnifique était la carte d’invitation, écrite à l’encre d’or, qu’ils avaient trouvé impossible de refuser. Du reste, leur cousin Bilbon s’était spécialisé depuis bien des années dans la bonne chère, et sa table était hautement réputée. »

Le Seigneur des anneaux, Tome 1 : La Communauté de l’Anneau (JRR Tolkien)

Si ton texte se veut neutre, si le lecteur ne « ressent » pas le conteur derrière le narrateur, est-il bien utile que tu écrives en omniscient ? Le narrateur omniscient a tout à gagner à affirmer sa présence. Cette narration devrait te pousser à utiliser un style marqué : flamboyant, sophistiqué, poétique, humoristique ou décalé ? Fais ton choix.

Faire de même en narration focalisée sonnerait faux : la narration focalisée cherche à être la plus transparente possible et à donner l’illusion qu’il n’y a pas de narrateur. L’auteur a alors intérêt à adopter un style proche du personnage et à éviter de faire des vagues stylistiques qui nous sortiraient de sa personnalité. C’est pour cela que l’on dit souvent que la narration focalisée est « moins littéraire ».

Donc si tu aimes faire de la prose et mettre ta patte au niveau de la forme, l’omniscient est très pratique. Mais alors, assume-le, soit un vrai conteur, et déploie un véritable style ! C’est l’un des éléments qui te permettra d’agripper le lecteur en dépit de la distance narrative.

2) Entrer dans les pensées de plusieurs personnages en même temps

Le narrateur omniscient n’est pas limité au point de vue du protagoniste. Voltiger d’un personnage à un autre est clairement un désavantage en termes d’immersion, mais l’omniscient peut compenser cette distance en tirant avantage de la multiplicité des points de vue : le lecteur survole les personnages, certes, mais en zoomant régulièrement et alternativement sur l’un ou l’autre.

L’auteur a donc intérêt à se servir de cette possibilité autant que possible pour mixer les points de vue, dresser des parallèles, utiliser l’ironie dramatique. Si c’est pour rester concentré sur le héros seul, tu t’es trompé de narration : autant écrire en focalisé. Plus tu as de personnages importants dans ton récit, plus le narrateur omniscient peut t’être utile.

« Pete eut l’impression de passer un examen. Il savait qu’il n’était pas bon, mais il ignorait pourquoi. Il bafouilla, tenta de l’impressionner par sa sensibilité alors que Nora se serait parfaitement accommodée d’un gars qui regarde le foot en buvant de la bière. Elle avait grandi avec des frères qui ne savaient pas s’amuser autrement qu’en se faisant des bleus. Elle aimait bien chahuter, rire grassement et faire l’idiote. Elle s’imaginait que Pete lui ressemblait, car il rigolait bien avec ses collègues de bureau. Aussi, son discours sur les mérites relatifs des visions comiques de Woody Allen et Groucho Marx eurent pour effet de la mettre mal à l’aise. Pourtant, il s’agissait bien du même Pete qui avait traversé le bar de hockey complètement nu lorsque Walter Payton avait raté son touchdown lors du vingtième Super Bowl. Si seulement ils avaient su que ni l’un ni l’autre n’avaient réussi à regarder Tess sans piquer du nez au milieu du film ! »

Exemple extrait de Personnages et points de vue (Orson Scott Card)

En narration focalisée, l’histoire ci-dessus aurait dû choisir entre le point de vue de Pete ou le point de vue de Nora. L’omniscient, lui, nous montre les deux à la fois et les mets en parallèle. Il y a beaucoup de distance narrative (donc moins d’immersion du lecteur dans les personnages), mais cela est compensé par la mise en comparaison de leurs pensées et l’ironie dramatique qui en découle (le lecteur obtient beaucoup d’informations dont les personnages n’ont pas conscience, et en conséquence la scène est savoureuse).

Donner l’impression au lecteur qu’il maîtrise l’histoire bien mieux que les personnages est un atout pour conserver son intérêt, et une façon d’utiliser la distance narrative à son avantage.

3) Se focaliser sur l’histoire plutôt que sur les personnages

La narration focalisée n’a pas le choix : elle est intrinsèquement liée aux personnages. Le texte se concentre sur ce qui leur arrive, et ne peut pas raconter des faits auxquels ils ne participent pas. L’omniscient n’a pas cette limite et peut parler de ce qu’il veut. Cela rend la scénarisation plus facile, permet d’ajouter des scènes qui se déroulent chez l’adversaire, dans un autre lieu ou à d’autres moments. Le narrateur omniscient est même le seul capable de raconter des événements qui se déroulent dans un lieu vide de tout personnage !

Exemple : Dans le bureau désert, tout semblait calme. Pourtant, une brise venue de l’extérieur s’insinua par la fenêtre entrouverte. Elle fit frissonner le post-it que Julien avait rédigé et collé en évidence sur le clavier de Nathalie. Le papier se détacha, glissa jusqu’au rebord du poste de travail. Hésita. Bascula. Et tomba directement dans la poubelle.

« Dans un ultime sursaut d’énergie, elle étincela, parut catapultée vers le clocheton, coucha ses ailes, échappa aux serres, traversa la grille comme une flèche… et heurta de plein fouet, à l’intérieur du beffroi, une vieille cloche oubliée. Un misérable bong retentit quand la petite fée rencontra le bronze centenaire. »

Les ombres de Wielstadt (Pierre Pevel)

C’est aussi un excellent moyen pour l’omniscient de créer de la tension, car il peut facilement montrer que certains personnages se trompent, échouent à voir ou comprendre quelque chose, mentent, etc.

Exemple 1 : John regarda par la fenêtre, appréciant le calme de la grande forêt qui s’étendait de ce côté-ci de la maison. Il ne remarqua pas la silhouette de la femme, dissimulée dans l’ombre d’un grand chêne, qui l’observait à la dérobée.

Exemple 2 : Le maire avait un air benêt et naïf, et n’avait visiblement aucune information utile. Sophie comprit qu’elle n’obtiendrait rien de plus de lui. Frustrée, elle sortit en claquant la porte. Dès qu’elle fut partie, le maire eut un grand sourire carnassier et se frotta les mains de satisfaction.

L’auteur a tout intérêt à exploiter au mieux ces possibilités pour rendre la narration attractive et dynamique, centrée sur l’intrigue plus que sur les protagonistes, et à utiliser l’ironie dramatique à son maximum (= montrer des choses au lecteur dont ses personnages  principaux n’ont pas conscience).

Le roman d’Estelle Faye « Les Seigneurs de Bohen » use avec subtilité de cette narration. La plupart des personnages principaux ne se connaissent pas. Fait assez rare pour être mentionné : une grande partie ne se croiseront même jamais de tout le récit ! Pourtant, grâce à cette narration, l’autrice passe de l’un à l’autre en tissant entre leurs actions des liens temporels et de causalité. Nous avons donc bel et bien l’impression que les personnages participent à un seul et même récit, une seule et même grande fresque historique. Nous, lecteurs, avons une conscience des événements bien plus claire que les personnages eux-mêmes.

4) Maîtriser le temps

L’un des défauts de la narration focalisée est que, pour conserver l’immersion, l’auteur doit montrer au lieu de raconter, et que cela prend du temps. L’omniscient est par nature une narration de présentation, qui est dans le raconté « par défaut », donc un peu plus ou un peu moins n’a pas d’importance. L’auteur peut donc se sentir libre de raconter à sa guise, et gagne ainsi la possibilité d’accélérer et ralentir le temps comme il le souhaite sans être limité par les perceptions de son personnage. Cela facilite les ellipses, l’usage de flash-back ou flash-forward, les résumés narratifs. Cela permet à l’auteur de raconter une histoire qui se déroule sur des périodes de temps très vastes, des territoires immenses et avec plein de personnages, sans pour autant écrire une saga en 9 tomes de 500 pages.

« Les sabbats des sorcières secouaient plus que de coutume les forêts des Sicambres, et des démons à la peau rubescente entraînaient hors des vallées les filles un peu trop sages pour les rendre au monde sauvage, au royaume des bois, des brumes et des eaux. Cet hiver-là, les manifestations étranges, ou du moins inhabituelles, se multiplièrent dans l’Empire. Certains, après coup, déclarèrent avoir vu là des signes avant-coureurs des événements à venir. »

Les Seigneurs de Bohen (Estelle Faye)


J’ai déjà tenté de t’en convaincre dans mes articles Choisir sa narration : une narration est un outil, et tu as tout intérêt à choisir ton outil en fonction de l’histoire que tu veux raconter – si tu comptes planter des clous, choisis un marteau ; si tu t’apprêtes à utiliser des vis, prends un tournevis (la synthèse des avantages/inconvénients de chaque narration se trouve ICI).

La grande distance narrative et le manque d’immersion de l’omniscient sont de sacrés handicaps. En conséquence, pour rendre ce genre de récit dynamique et captivant, il est indispensable :

  • d’avoir conscience qu’on écrit en omniscient ;
  • de savoir pourquoi on le fait ;
  • de connaître ses points forts et de les utiliser du mieux possible, afin de compenser ses défauts.

M’enfin, ce n’est que mon avis.


L’article se terminait et les voix off entraient en scène pour s’atteler à une conclusion, mais elles furent déstabilisées par un commentaire omniscient.
« Hey ? C’est quoi ça ? » s’étonna la première, qui visiblement ne savait pas lire puisque la phrase précédente répondait à sa question.
« Je ne sais pas mais j’aime bien ! » dit la seconde, qui n’avait rien contre le fait qu’un commentaire issu de nulle part s’occupe de la conclusion à sa place.



(25 commentaires)

  1. Comme toujours, un article passionnant et utile. Très précieux pour moi en particulier, puisque le roman sur lequel je travaille depuis une éternité a un narrateur omniscient qui correspond pas mal à ce que tu décris ici, donc il faudra que je relise tout ça dans cette perspective.

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    1. Merci Julien. La distance narrative de l’omniscient est *vraiment* un lourd handicap, mais ses immenses possibilités permettent tellement de choses ! De l’aspect « théâtral plein de panache » de la trilogie de Wielstadt de Pevel à l’aspect « fable historique » de Bohen d’Estelle Faye, en passant par l’humour débridé de Adams ou Pratchett, les exemples ne manquent pas. Mais je crois – avis personnel – qu’écrire en omniscient exige vraiment une direction claire d’entrée de jeu. Si l’auteur ne souhaite pas endormir le lecteur, s’il ne veut pas le perdre dans la langueur de sa distance narrative, il doit je pense savoir utiliser les armes de l’omniscient. Toutes ses armes. Bonne écriture !

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  2. Merci pour cet article, toujours aussi intéressant 🙂
    Le narrateur omniscient est mon préféré, autant en terme d’écriture qu’en lecture (certainement influencé par mon amour des contes oraux), il permet un jeux avec l’histoire (en assumant le fait que ce soit une histoire) qui me fait toujours jubiler ^^

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    1. J’avoue que, personnellement, c’est celle que j’aime le moins (tant à lire qu’à écrire), mais on est là complètement dans une affaire de goût. La plupart du temps, quand l’omniscient endort, c’est juste parce que la narration n’est pas maîtrisée et que l’auteur l’utilise mal. Bien gérée, oui, ça peut être jubilatoire. 🙂

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  3. Bonjour Stéphane,
    Encore merci pour cet article.

    Comme vous le dîtes, le narrateur omniscient raconte plus qu’il montre. Mais peut-il zoomer et montrer parfois, à la manière d’un narrateur focalisé ? J’ai l’impression que le focalisé ne pourra jamais narré comme un omniscient, mais l’omniscient peut narrer ponctuellement comme un focalisé ?

    Ou doit-il garder une distance au risque de perdre le lecteur ?

    J’ai réalisé un texte dernièrement en omniscient, qui suivait principalement mon héroine, cependant, je présentais le contexte et le monde qui l’entourait de façon omnisciente, parfois je me permettais même de narrer des choses sur les personnages qu’elle recontrait et qu’elle connaissait pas.

    MAIS, j’ai souhaité, pour développer mon héroine, zoomer sur elle, et écrire avec quelques « ajouts » de ses pensées. Est-ce faisable ?
    Certains lecteurs m’ont parlé d’être un peu perdu face au ton et au point de vue, et certains jugements sur des personnages dans les descriptions pouvaient être confondus entre ce que pense la narrateur (qui est normalement neutre) et donc la voix de l’auteur (moi). Décrivant une personne obèse, cela doit être important de ne pas imputé la façon de décrire à moi, mais à mon personnage.

    Par exemple ici :
    « Pauline, en pénétrant dans la réception, s’attendait à faire face à un moustachu coiffé d’un chapeau de cuir, mais n’y trouva qu’une grosse dame affalée, manquant de s’étouffer à chaque respiration rythmant sa sieste. La chaise s’apprêtait à être avalée toute entière par ce corps dégoulinant. Tout était gris, les murs, le comptoir en bois délavé, les brochures poussiéreuses. Tout, sauf elle ; paillettes bleues sur la robe et sur les paupières, teinture blonde et lèvres safranées. Ces coquetteries disgracieuses facilitaient au moins la cartographie de ce bouledogue humain. Le laiton de la sonnette cria sous le doigt de la jeune étudiante et réveilla cette peinture de Botero. Pauline exagéra sa détresse pour s’excuser de l’heure tardive. Il lui fallait absolument dormir, disait-elle. En réponse, une voix aigüe siffla entre les lèvres boudinées. Pas celle d’une cantatrice. Non. Un mélange de crécelle et d’enfant, morsure pour les tympans »

    Est-ce qu’un narrateur omniscient peut sur un paragraphe agir ainsi, ou perdra-t-il tout le monde ? Dans ce cas là, comment retranscrire l’imagerie de Pauline pour décrire de façon imaginé sans utiliser systématiquement « Pauline avait l’impression que… » « Pauline pensa… ». J’ai l’impression qu’imager une description en omniscient est très complexe et restera très « clean »/neutre, alors que justement partout vous écrivez qu’il est possible de faire une métaphore.

    Merci d’avance pour votre vision de la chose !

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    1. Bonjour Adrien !
      Tu as très bien cerné la théorie, oui : effectivement, une narration focalisée ne peut pas se permettre d’être omnisciente, mais en revanche un narrateur omniscient peut parfois se permettre d’être ponctuellement focalisé.
      Le mot important ici est « ponctuellement ». Si l’auteur a choisi d’écrire en omniscient au départ, en théorie, c’est pour utiliser au maximum les effets de l’omniscience, effets dont il ne peut pas bénéficier lorsqu’il focalise la narration (c’est antinomique). C’est l’un ou l’autre. Une narration omnisciente qui veut pouvoir utiliser ses effets au maximum devrait donc rester en grande partie omnisciente, même si elle peut parfois (le temps d’un paragraphe ou d’une scène) se focaliser soudain sur un personnage pour donner un effet particulier d’intensité ou d’immersion. Mais ça ne devrait être que ça : un effet ponctuel. Sinon, si c’est tout le temps, eh bien ce n’est plus une narration omnisciente qui parfois focalise, c’est une narration focalisée qui parfois prend de la distance (tu vois le problème ?). Cela revient à vouloir mélanger les deux narrations, ce qui cumule leurs inconvénients, non leurs avantages !
      Ce qui m’interpelle tout de suite dans ton exemple personnel est « J’ai réalisé un texte en omniscient qui suivait principalement mon héroïne », car c’est une sorte de « red flag » concernant un choix de narration. Si ta narration suit principalement ton héroïne, pourquoi choisir l’omniscient ? L’effet est immédiat : ton texte donne l’impression de vouloir être focalisé (puisqu’il ne suit que ton héroïne), mais sans y parvenir (tu le dis toi-même au début de ton commentaire : une narration focalisée ne peut pas narrer comme un omniscient). Je ne suis pas du tout surpris par la réaction de tes lecteurs : ils ont l’impression que ton texte a une volonté de focalisation mais que tu n’as pas su l’écrire comme tel, ils sont perdus entre ce qui relève du personnage ou de l’auteur, et pour eux les jugements externes sont des erreurs.
      Et en effet : le paragraphe que tu me proposes n’est ni omniscient, ni focalisé : il mélange les deux. Il donne une narration « focalisée mais distante », qui n’a ni les avantages de la focalisation, ni les avantages de l’omniscient. Et d’ailleurs c’est l’inverse de la question que tu me poses : ce n’est pas un texte omniscient qui a décidé ponctuellement d’être focalisé (ça c’est possible), c’est un texte focalisé qui est écrit de façon omnisciente (et ça, ça ne fonctionne pas).
      C’est le plus répandu des problèmes de narration chez les auteurs qui se débattent avec cette problématique : d’un côté leur texte ne suit que leur héros comme dans une narration focalisée, mais ils écrivent comme en omniscient.
      Donc OUI tu peux écrire un roman en omniscient (par exemple avec tout un groupe de héros comme dans le Seigneur des Anneaux) et parfois focaliser tout un paragraphe sur un seul d’entre eux pour donner un effet d’immersion ponctuel. Mais NON, si tu écris un roman centré sur un unique personnage mais rédigé avec des remarques distantes d’omniscient, ça ne fonctionnera pas (la distance narrative énorme que ça va générer ne sera pas compensée par les avantages de l’omniscient).
      J’espère que j’ai été clair, c’est pas évident de rentrer dans ce genre d’explications via les commentaires.
      :)))

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      1. Merci beaucoup pour la réponse. J’avais prévu de récrire ma nouvelle sous une narration focalisé, afin de m’y entraîner.
        Si j’ai choisis l’omniscient, c’est parce qu’il s’agit d’une nouvelle d’horreur, et il m’avantageait de pouvoir disséminer certaines choses en dehors de mon personnage principale. Mais j’ai beaucoup de mal à m’en tenir éloignée pour autant.

        Typiquement, sur mon paragraphe, il me semble totalement focalisé, sauf « […] de la jeune étudiante », mais sinon j’imagine pas autrement son écriture en focalisé, c’est ce qui m’inquiète de ne pas le détecter. Tout ce qui est écris viens de sa tête… Est-ce encore trop distant ? Pourquoi ?

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        1. Vraiment ?
          Personnellement, j’ai beaucoup de mal à imaginer que ces phrases viennent du personnage. « La chaise s’apprêtait à être avalée toute entière par ce corps dégoulinant » sonne typiquement comme une description omnisciente, ça ne semble pas du tout une observation de quelqu’un qui entre dans la pièce (qui pense comme ça ? Ou bien il faut que Pauline soit un personnage sacrément excentrique…).
          Il y a ensuite un mélange d’une vision tellement globale (« tout était gris ») puis tellement détaillée (« teinture blonde et lèvres safranées » : comment l’héroïne peut-elle le savoir ?) que nous n’avons pas l’impression d’observer la scène par les yeux de Pauline, mais plutôt d’assister à une description omnisciente. C’est l’un des « trucs » avec les descriptions : en omniscient, généralement, les descriptions vont souvent du général vers le particulier, ou du particulier vers le général. En focalisé, les descriptions suivent la logique de la découverte du personnage (ici, par exemple, l’héroïne pourrait d’abord voir la femme puis s’intéresser ensuite au décor autour).
          Il y a aussi énormément de jugements externes (comme par exemple « coquetteries disgracieuses », associé à « bouledogue humain ») : si c’est l’héroïne qui pense ça – si c’est elle qui insulte mentalement une inconnue qu’elle découvre pour la première fois -, je n’ai pas envie de suivre cette héroïne, ça ne la présente vraiment pas sous un beau jour. Je crois que je préfère penser que c’est de la description omnisciente plutôt que d’imaginer que l’héroïne est si grossophobe et méchante.
          Et puis, la phrase elle-même est étonnante. C’est l’héroïne qui pense ça ? Elle entre dans la pièce, voit la femme, et se dit « oh, au moins ces coquetteries disgracieuses facilitent la cartographie de ce bouledogue humain ! » Qui pense ainsi ? Qui pense « cartographie » dans un instant pareil ?
          Enfin, quand l’action commence, c’est écrit en raconté. Il y a effectivement d’abord « la sonnette cria sous le doigt de la jeune étudiante » (vue externe de l’héroïne, pas focalisée). Puis « Pauline exagéra sa détresse pour s’excuser de l’heure tardive » (au lieu de faire jouer la scène et de montrer le dialogue). C’est extrêmement distant : une narration focalisée ne ferait pas ça à cet instant, et ferait parler Pauline en style direct.
          En bref, à part la première phrase, tout ce paragraphe est absolument typique d’une narration omnisciente : c’est le style d’un conteur externe, pur jus, assez excentrique (les exagérations sur les descriptions de la dame donnent un côté « cartoon » à la scène), et à aucun moment on ne croit qu’on est dans la tête du personnage (j’en suis désolé :))
          Bon courage !

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          1. Bonjour Stéphane,

            Merci pour votre retour. Et avec les explications, cela me paraît en effet beaucoup plus clair.
            C’est dur de prendre du recul parfois… Je pense que ce sera mon plus grand chemin de bataille, les nuances entre omniscient et focalisé…
            Je vais m’y atteler en enchaînant l’écriture dans ces 2 narrations !

            Bonne journée !

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          2. Bon courage ! Il y a un ou deux exercices sur le blog qui peuvent t’aider (regarde dans la liste des articles). Tu peux par exemple essayer d’écrire deux fois la même scène avec des narrations différentes. Tu peux aussi – pour vérifier si ton texte est focalisé ou pas – te demander si ça sonnerait juste à la 1ère personne. Nous sommes tous plus habitués à raconter des histoires à la première personne, car nous le faisons souvent au quotidien dans la vraie vie, ne serait-ce que pour raconter notre journée à un conjoint le soir. Or, jamais tu ne dirais à un proche quelque chose comme : « La chaise s’apprêtait à être avalée toute entière par ce corps dégoulinant ». Si tu ne le raconterais pas à la 1ère personne, il y a peu de chance que le personnage le pense à la 3ème personne focalisée.

            Néanmoins, le plus important est surtout de se rappeler que le choix de la narration est *justement* une question de choix de l’auteur par rapport à ses objectifs. Se focaliser sur l’effet de rendu qu’on recherche permet de se concentrer sur l’important.
            Par exemple, tu disais que ton texte était destiné à être horrifique : par principe, je n’aurais donc *justement pas* choisi l’omniscient, personnellement. J’ai tendance à penser qu’une narration focalisée serait plus utile dans cet objectif, car cela limiterait les perceptions du lecteur à celles du personnage, cela rendrait les mystères plus mystérieux, et permettrait de faire ressentir les doutes et les peurs du personnages en direct. Je choisirais donc soit une narration à la 1ère personne, soit une 3ème personne focalisée. L’omniscient a pour plus grand défaut le fait d’être distant, ce qui rend tout travail sur les émotions violentes (comme la peur) plus difficile. Du moins c’est mon avis.
            Alors, certes, tu n’as pas réussi à écrire ce passage de la façon dont tu le pensais, mais surtout ton choix initial de narration n’était probablement pas le bon (du moins, tu n’as sans doute pas choisi l’outil le plus adapté à ce que tu voulais faire, ce qui t’a placé d’emblée dans une situation difficile).

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